Interview de M. Bernard Stasi, vice-président de Force démocrate, dans "La Vie" du 13 février 1997, sur l'élection municipale de Vitrolles et la stratégie électorale du Front national.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Victoire de la liste Front national de Catherine Mégret au 2è tour de l'élection municipale de Vitrolles le 9 février 1997

Média : CFTC La Vie à défendre - La Vie

Texte intégral

La Vie : Avez-vous l’impression que la victoire de Vitrolles marque une étape importante dans la stratégie de conquête du Front national ?

Bernard Stasi : Pour la première fois, le candidat du FN est élu à la majorité absolue. Cela dit, il ne faut pas y voir la preuve que la France entière est sur le point de basculer dans l’extrémisme. Des circonstances locales expliquent la situation de Vitrolles. Face à cette élection qui donne de la France une très mauvaise image, il faut que tous les républicains s’interrogent. Le comportement d’un certain nombre d’hommes politiques de la majorité est répréhensible, dans la mesure où ils reprennent les thèses du Front national.

La Vie : C’est la contagion des idées ?

Bernard Stasi : Oui, une contagion qui me paraît très répréhensible au plan de la morale politique, et un mauvais calcul électoral, car ce n’est pas en adoptant ses thèses qu’on fera reculer le FN. Or, on a vu, lors du récent débat sur l’immigration, que certains députés souhaitaient faire adopter des mesures préconisées par le FN. En agissant ainsi, on apporte une respectabilité à ce parti, on banalise ses théories et des propositions. Heureusement, Jacques Chirac et Alain Juppé ont adopté une position très claire vigoureuse et courageuse. Je dis courageuse, car beaucoup de militants du RPR étaient prêts à écouter un autre discours, celui d’une certaine complaisance à l’égard du FN.

La Vie : Quelle est la bonne solution pour lutter contre le Front national ?

Bernard Stasi : Il n’y a pas de bonne solution, mais de multiples solutions. Il faut lutter dans tous les domaines, aux plans politique, juridique, idéologique, judiciaire s’il le faut. Il faut agir sur le terrain, contre toutes les formes d’exclusion. Il faut expliquer aux Français que les valeurs du Front national sont tout à fait à l’opposé des valeurs de l’humanisme laïque ou chrétien, qui, d’ailleurs, sont très proches les unes des autres.

La Vie : L’effacement du clivage droite/gauche ne fait-il pas le jeu du FN ?

Bernard Stasi : Étant centriste, je n’aime pas beaucoup la notion de clivage droite/gauche ! Mais le sentiment que les hommes politiques sont tous d’accord et qu’ils sont impuissants et pourris fait bien sûr son jeu. Il faut qu’il y ait des projets séparés, une possibilité d’alternance, un débat politique qui présente des enjeux clairs, pour que le Front national n’apparaisse pas comme la seule alternative à une politique menée de la même manière par les uns ou par les autres.

La Vie : Les partis politiques n’ont-ils pas laissé le terrain au FN ?

Bernard Stasi : Bien sûr ! Je suis de ceux qui se sont réjouis de la chute du mur de Berlin et de l’affaiblissement du Parti communiste. Il n’empêche que le militantisme pratiqué par le PCF dans les banlieues a largement disparu, ce qui a laissé la place au militantisme du FN. Nous avons trop négligé le terrain : faire du porte-à-porte, écouter les gens, discuter avec eux, distribuer des tracts, c’est aussi cela, la politique. On a ramené la politique à la gestion. La politique, c’est à la fois les idées, les valeurs qui donnent un sens à l’aventure collective, à la vie d’une nation, mais c’est aussi le terrain, au plus près des préoccupations des gens.

La Vie : N’a-t-on pas eu tort de longtemps assimiler le FN à la seule personne de Jean-Marie Le Pen ?

Bernard Stasi : Le Pen a joué un rôle important dans la montée du FN. Mais croire que si Jean-Marie Le Pen prenait sa retraite, le FN se dégonflerait comme une baudruche, c’est se faire des illusions. Il est malheureusement incrusté dans la société française, et il n’a pas fini de ronger la conscience nationale.