Texte intégral
Jean-Michel Salvator : Avec la création d'EADS, les Européens sont-ils maintenant à égalité avec les Américains ?
Dominique Strauss-Kahn : Oui. Nous jouions en deuxième division. Nous venons d'entrer en première division. À l'heure de l'euro, nous devons regrouper nos forces et créer des grands champions européens capables de relever les plus grands défis internationaux. Nous passons aujourd'hui de la dimension nationale à la dimension européenne. Vive l'industrie européenne ! Oui, la fusion d'Aérospatiale Matra et de Dasa marque un grand jour de la construction européenne. Elle montre que l'Europe n'est pas une idée abstraite et qu'elle se construit sur de grands chantiers, dans des domaines aussi stratégiques que l'aéronautique et l'espace. Aujourd'hui, je suis fier d'être européen.
Jean-Michel Salvator : Dès lors, comment réagissez-vous à la demande du PCF de geler cette fusion parce qu'elle serait plus favorable à la bourse qu'à l'emploi ?
Dominique Strauss-Kahn : Je ne crois pas que la question se pose en ces termes, l'emploi contre la bourse. Dans la future société, 60 % du capital seront détenus par l'État, le groupe Lagardère, Daimler-Chrysler. 40 % seulement seront placés sur le marché. Ce qui fonde cette opération, c'est son enjeu industriel, stratégique et européen. Ce n'est pas une motivation financière. Dans un contexte marqué par une accélération des alliances et de la compétition internationale, nous devons doter nos entreprises d'une stratégie industrielle conquérante.
Jean-Michel Salvator : Quelles conséquences cette fusion aura-t-elle sur l'emploi en France ?
Dominique Strauss-Kahn : L'emploi est lui aussi gagnant de cette fusion. Les complémentarités très fortes entre les deux groupes, dans un secteur dont les perspectives de développement sont considérables, doivent être créatrices d'emplois. C'est notre ambition d'actionnaire : faire une fusion de croissance et non de régression. Pour vous donner un exemple, la création d'EADS, permet d'envisager, comme nous le souhaitons avec Jean-Claude Gayssot, le lancement rapide de l'A3XX, le très gros porteur d'Airbus.
Jean-Michel Salvator : Le premier actionnaire d'EADS est le groupe germano-américain Daimler-Chrysler. L'influence allemande ne risque-t-elle pas d'être plus forte que celle des français ?
Dominique Strauss-Kahn : Nous devons aujourd'hui avoir une approche équilibrée, qui joue l'Europe gagnante et non tel ou tel, l'un contre l'autre. La bataille industrielle n'est pas entre les pays européens, mais entre l'Europe et les autres. C'est dans cet esprit que la fusion a été menée. La partie française et la partie allemande détiendront la même part du capital d'EADS (30 %) et les mêmes pouvoirs. Le principe est celui d'un strict équilibre, sans que l'une quelconque des parties puisse s'imposer à l'autre. Le couple franco-allemand vit lui aussi à l'heure de la parité.
Jean-Michel Salvator : L'État français a-t-il l'intention de conserver durablement les 15 % qu'il possède dans EADS ?
Dominique Strauss-Kahn : Oui. L'État n'a aucune intention de se désengager d'EADS. Aucun des partenaires n'est d'ailleurs obligé à le faire. Mais n'y voyez pas là une réponse de principe. La question de la priorité du capital n'a de sens qu'au service d'une ambition. C'est tout l'enjeu de l'action que nous menons depuis vingt-huit mois. Souvenez-vous de juin 1997 : notre industrie aéronautique et de défense était paralysée ; dans un autre domaine, Thomson Multimédia valait « 1 F » et devait être cédée à l'encan… Aujourd'hui, notre secteur industriel a retrouvé une vraie mobilité stratégique et se retrouve au centre du jeu européen. La totalité de nos entreprises sont désormais sorties des turbulences, dotées d'un actionnariat stable, d'une stratégie claire et de partenariats forts. La fusion d'Aérospatiale Matra et de Dasa montre une nouvelle fois que la présence de l'État au capital des entreprises n'est pas un frein aux restructurations ou aux évolutions. C'est particulièrement vrai dans cette opération pour laquelle l'État a joué un rôle moteur. Nous avons réglé les grands sinistres publics ; nous pouvons maintenant avoir une vision offensive de l'État actionnaire.
Jean-Michel Salvator : La création de ce nouveau groupe, qui contrôle 80 % d'Airbus, va-t-elle accélérer sa transformation en société de plein exercice ?
Dominique Strauss-Kahn : EADS renforce Airbus et favorise le regroupement de ses activités industrielles. Je souhaite que l'ensemble de nos partenaires dans Airbus puisse constituer la société intégrée que nous appelons de nos voeux depuis longtemps. Cette opération le facilite à l'évidence.