Texte intégral
P. Lapousterle : C'est jour d'ouverture, aujourd'hui, du Sommet franco-espagnol à Marseille, votre ville. Cette nuit, des poseurs de bombe ont adressé un signal au Gouvernement en plastiquant la Poste principale d'Aix-en-Provence. Quel signal leur adressez-vous ce matin ?
J.-C. Gaudin : D'abord, on ne sait pas qui revendique cet attentat Donc, n'attribuons pas toujours aux Corses ce qui peut être fait par d'autres. S'il s'agissait des Corses, je dis que nous faisons tout pour aider nos compatriotes corses et que ce genre d'action est inacceptable et intolérable.
P. Lapousterle : J'imagine que la ville de Marseille n'a pas été choisie au hasard pour recevoir le Sommet franco-espagnol ce matin. Quelle signification voulez-vous donner ?
J.-C. Gaudin : Un grand honneur, d'abord, de recevoir le Président de la République française, le Premier ministre espagnol. Nous avons en commun, la France et l'Espagne, le fait que nous devons éponger quatorze années de socialisme. Ce qui ne va pas sans quelques difficultés et pour les Espagnols et pour le Gouvernement français - les difficultés que vous connaissez.
P. Lapousterle : Ce sera à l'ordre du jour de la réunion ?
J.-C. Gaudin : Je ne sais pas, mais enfin c'est un symbole.
P. Lapousterle : Vous avez été ébranlé, troublé, scandalisé par l'affaire dite « Hernu », c'est-à-dire des rumeurs concernant son rôle éventuel pendant des années ?
J.-C. Gaudin : Quand j'étais jeune député, C. Hernu était aussi député du Rhône. Ensuite, je l'ai connu dans ses fonctions de ministre de la Défense de notre pays. Je n'arrive pas à imaginer cela. Je n'y arrive pas. J'ai entendu ce matin que le fils de C. Hernu souhaitait être reçu à l'Élysée et demande une commission d'enquête. Oui, sur des choses aussi graves que celles-là, on doit pouvoir faire la clarté totale.
P. Lapousterle : Vous êtes le membre éminent d'un Gouvernement qui, d'après les sondages, rencontre le scepticisme de la population. Alors, je sais bien qu'il ne faut pas gouverner un œil rivé sur les sondages, mais est-ce que pour autant on peut gouverner contre l'opinion publique comme cela semble être le cas ? Je dis cela parce que les sondages d'A. Juppé, le Premier ministre, sont les plus mauvais depuis que la Vème République existe.
J.-C. Gaudin : Nos compatriotes sont assez extraordinaires : ils demandent à la fois une chose et son contraire. Ils nous demandent de faire des réformes – et le gouvernement d'A. Juppé est un gouvernement réformateur – pour essayer de relancer l'économie, pour essayer d'assurer la sécurité, notamment la Sécurité sociale aux personnes âgées, aux plus démunis, pour de nombreuses années. Et dès que l'on fait une réforme, les conservatismes de tous bords s'unissent et empêchent ou entravent la réforme. Rarement, nous avons eu un Premier ministre aussi courageux, aussi intelligent, aussi déterminé qu'A. Juppé. A. Juppé est de cette race d'hommes qui lorsqu'ils disent quelque chose, ils le font Et moi, il a toute mon amitié, toute ma confiance. Je suis heureux de faire partie de son équipe. C'est lui qui me l'a demandé, et je le soutiens.
P. Lapousterle : Donc, les Français ont tort ?
J.-C. Gaudin : Les Français ne peuvent pas, encore une fois, nous demander une chose et son contraire, ils ne peuvent pas nous demander de réformer cette société sans que l'on apporte de temps à autre quelques idées nouvelles ou quelques changements dans le système établi. Le gouvernement d'A. Juppé fait des réformes, il fait des réformes pour les plus défavorisés, il fait des réformes pour la majorité des Français et des Françaises. Cela va dans le bon sens et si on décortiquait, vous verriez que j'arriverais aisément à vous en faire la démonstration.
P. Lapousterle : À votre avis, il faut que le Gouvernement continue, même si les Français n'approuvent pas ?
J.-C. Gaudin : Oh, vous savez ce n'est pas parce que vous mettriez trois ministres nouveaux au Gouvernement que tout serait changé du jour au lendemain. Allons, allons, revenons un peu les pieds sur terre et que certains ne s'envolent pas en dirigeable.
P. Lapousterle : Qui, par exemple ?
J.-C. Gaudin : Un certain nombre de personnalités ne sont bien que si elles sont à l'intérieur du Gouvernement.
P. Lapousterle : F. Léotard ?
J.-C. Gaudin : Mais non ! Permettez-moi de ne pas citer de noms mais de parler dans l'ensemble. Pour autant, ce n'est pas parce qu'on ajouterait trois ou quatre noms, fût-ce des nom connus, que cela changerait l'état d'esprit des Français. Rarement ce gouvernement a été aussi solidaire et rarement ce gouvernement n'aura autant parlé d'une seule voix autour du Premier ministre. Il applique les idées et la volonté du Président de la République. Quand j'entends dire par certains : « Ah ! oui mais on ne critique pas le Président de la République, on critique le Premier ministre. » Que croyez-vous que nous fassions au Gouvernement ? Nous appliquons la politique voulue par le Président de la République.
P. Lapousterle : Est-ce qu'il n'est pas délicat, à votre place, d'être ministre d'un gouvernement lorsque le président de votre formation, l'UDF, critique sévèrement Je Gouvernement et tout ce qu'il fait, à la télévision et devant des millions de Français ?
J.-C. Gaudin : Oui, il faut minimiser tout cela d'ailleurs, parce que cela fait un peu partie du jeu et je ne crois pas que cela change beaucoup la situation politique. Il est certain qu'à chacun son rôle : aux chefs de formations politiques, éventuellement, de mettre l'accent sur la critique, au Parlement d'en demander un peu plus au Gouvernement D'ailleurs, le Parlement ne se prive pas ; la majorité ne se prive pas de demander des efforts au Gouvernement et le Gouvernement, chaque fois que nous le pouvons, répond favorablement à notre majorité à l'Assemblée nationale ou au Sénat Donc, je crois simplement qu'il faut avoir les yeux fixés, maintenant, sur l'échéance de 1998. Or, vous l'avez vu dans l'élection de Gardanne, un candidat se réclamant peu ou prou de la majorité, ayant un pied à l'intérieur et un pied à l'extérieur, c'est-à-dire se déclarant favorable au Gouvernement et puis ne cessant de le critiquer, vous avez vu où cela mène : à l'échec pour le candidat. Eh bien, si d'autres sont tentés par cette voie, ils devront sortir de la vie politique et ils ne sortiront pas la tête haute.
P. Lapousterle : A quelques encablures d'ici, se trouve la Corse. Le Conseil économique et social s'est prononcé contre le principe de la zone franche que vous voulez appliquer à la Corse.
J.-C. Gaudin : Oui, cela m'a surpris parce que, là-aussi, le Premier ministre respecte ses engagements. Il avait promis une zone franche à la Corse, c'est-à-dire de multiples avantages financiers, fiscaux, compensés d'ailleurs par le Gouvernement. Nous avons eu beaucoup de mal à obtenir l'accord de Bruxelles pour ne pas créer une concurrence déloyale par rapport à d'autres îles d'autres pays européens. J'espère, je ne vais pas aujourd'hui faire pression se serait mal venu alors que l'assemblée de Corse va dès ce matin se saisir de ce document - mais je souhaite du fond du cœur que ce document soit adopté. Quand j'entends le Conseil économique et social ou des syndicats dire : « On n'a pas de résultats. » Mais comment voudriez-vous des résultats puisque cela ne sera applicable qu'au 1er janvier 1997 ? Alors, on ne peut pas toujours nous dire : « Aidez la Corse » et quand nous le faisons, nous dire aussi que cela n'est pas assez.
P. Lapousterle : Après Gardanne, l'élection dont vous parliez, le Front national montre à chaque élection partielle que son influence politique grandit. Est-ce que vous êtes inquiet de l'apparente progression du Front national ?
J.-C. Gaudin : Le Front national progresse surtout lorsqu'il y a des élections partielles. Il atteint même quelquefois des sommets. Rappelez-vous, quand j'ai cédé mon siège de député à mon ami le professeur J.-F. Mattei, le Front national est monté jusqu'à 47 % contre lui. Aux élections suivantes, il était retombé à 25 %. Donc, ne nous faisons pas, non plus, une situation dramatique des choses. Je crois qu'il appartient à la majorité présidentielle de bien se positionner et de dire ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Nous, nous voulons rassembler, nous ne voulons pas exclure, nous voulons unir et nous ne voulons pas écarter. C'est cela la différence et c'est cela qui fait le fondement d'une politique et d'une philosophie politique qui est le contraire de celle qu'emploie aujourd'hui le Front national qui veut utiliser tous les moyens, y compris même par des propos, aujourd'hui, de déstabilisation des institutions de la République. Ce qui est quand même quelque chose de très grave et qui est une étape qui n'avait pas encore été franchie par le Front national.
P. Lapousterle : M Halter ou B. Bardot à Toulon ?
J.-C. Gaudin : M. Halter a le droit d'aller où il veut, comme il veut, et ce n'est sûrement pas à Marseille que j'aurais écarté M. Halter.