Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach : A dix jours du premier tour de l’élection du président du RPR, ça s’emballe apparemment et ça barde : les chances de M. Alliot-Marie augmenteraient. Vous répétez paraît-il que vous serez probablement la première présidente du RPR.
Michèle Alliot-Marie : Je ne répète pas que le serai je répète que je me bats pour l’être.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous estimez que vos chances augmentent ou pas ?
Michèle Alliot-Marie : Je sens un fort courant de sympathie, c’est vrai, au cours des multiples réunions que je fais, puisque je vais aller dans pratiquement tous les départements français à la rencontre des militants.
Jean-Pierre Elkabbach : Etre une femme, ça a été longtemps un handicap en politique et au RPR. Est-ce que ça veut dire qu’aujourd’hui ce serait aussi au RPR un atout ?
Michèle Alliot-Marie : C’est le général de Gaulle qui, le premier, a donné le droit de vote aux femmes. Pourquoi est-ce que ce ne serait pas le RPR justement qui aurait la première femme président d’un grand parti politique ?
Jean-Pierre Elkabbach : Qu’est-ce qui vous différencie des trois autres ?
Michèle Alliot-Marie : Beaucoup de choses et pas simplement la longueur de mes cheveux, je vous le dis tout de suite. La première des choses, c’est que je ne fais partie d’aucun clan, que je ne suis pas une femme sous influence. La deuxième chose, c’est que je pense que l’Europe est indispensable à la France et que la France doit défendre ses intérêts en Europe. Vous savez, depuis 12 ans je vais chaque mois à la rencontre des militants, participer aux fêtes, etc., je les ai beaucoup écoutés et mon programme est aussi établi à partir de ce que j’ai entendu d’eux.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous parlez des militants, les uns et les autres, comme si c’était des masses énormes. Il y a combien de militants qui ont payé leurs cotisations au RPR aujourd’hui ?
Michèle Alliot-Marie : A jour de cotisations, nous en sommes à peu près à 65 000.
Jean-Pierre Elkabbach : A l’époque de l’élection de P. Séguin, vous étiez ?
Michèle Alliot-Marie : A peu près le double. Et moi ce que je veux, c’est très rapidement revenir de nouveau à ces chiffres que nous avons connus.
Jean-Pierre Elkabbach : En 81, vous étiez combien ?
Michèle Alliot-Marie : Aux alentours de 500 000.
Jean-Pierre Elkabbach : Qu’est-ce qui manque aux trois - F. Fillon, P. Devedjian et J.-P. Delevoye -, à votre avis, qu’est-ce qui leur manque ?
Michèle Alliot-Marie : Je crois, peut-être, une partie du contact avec les militants. Mais je ne veux pas dire qu’ils n’ont pas de qualité, je crois qu’au contraire chacun a beaucoup de qualités et moi, ce que je souhaite, c’est pouvoir utiliser les compétences et les qualités de chacun, c’est pour ça que je leur proposerai de travailler avec moi.
Jean-Pierre Elkabbach : Et à tous ?
Michèle Alliot-Marie : A tous, absolument.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous proposeriez à M. Delevoye d’être votre secrétaire général, par exemple ?
Michèle Alliot-Marie : Ce n’est pas une question de “secrétaire général”, c’est de faire partie d’une équipe. Le secrétaire général doit mettre en œuvre les options du président, mais une équipe elle doit représenter l’ensemble du mouvement.
Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous êtes donc partisane de l’unité du rassemblement. Si c’est J.-P. Delevoye qui gagne, est-ce que vous accepteriez de travailler avec lui ?
Michèle Alliot-Marie : Ah, écoutez, moi, j’ai toujours travaillé pour le RPR…
Jean-Pierre Elkabbach : Non, mais dans ce cas.
Michèle Alliot-Marie : Même dans ce cas, j’essaierai d’apporter ma compétence ou mon expérience, ce que je pourrais, comme je l’ai fait depuis que je suis rentrée dans ce mouvement.
Jean-Pierre Elkabbach : Pour bien comprendre, qu’est-ce que vous avez qu’ils n’ont pas ?
Michèle Alliot-Marie : Eh bien vous m’avez parlé des différences que j’avais, je pense qu’il y a ce contact avec les militants et une volonté de faire gagner le mouvement.
Jean-Pierre Elkabbach : Hier R. Muselier a choisi la retraite. Est-ce qu’il a fait un beau geste ou tout simplement il s’est dégonflé ?
Michèle Alliot-Marie : Je crois qu’il ne faut pas attaquer les gens, ça ne sert à rien, chacun fait son choix…
Jean-Pierre Elkabbach : Non, mais comment vous l’avez perçu ?
Michèle Alliot-Marie : J’ai été très surprise parce que R. Muselier a été le premier à s’engager dans la compétition, qu’il avait dit qu’il irait jusqu’au bout. Moi, je pense surtout aux gens qui l’ont soutenu, qui doivent être un peu déçus aujourd’hui. Peu importe ses raisons, encore une fois j’ai dit que je souhaitais travailler avec tout le monde, y compris avec R. Muselier.
Jean-Pierre Elkabbach : Pour gagner, est-ce que vous demandez, vous, aujourd’hui, à F. Fillon ou à P. Devedjian, à l’un ou à l’autre, de se retirer avant le 20 en votre faveur ?
Michèle Alliot-Marie : Certainement pas ! Je ne vois pas quel serait l’intérêt. Il faut que chacun exprime ses idées…
Jean-Pierre Elkabbach : A l’intérêt… peut être au deuxième tour et peut être de gagner.
Michèle Alliot-Marie : Mais pourquoi voulez-vous que je ne sois pas au deuxième tour ? Moi, je vous confère le sentiment que les choses se présentent bien et j’ai bien l’intention de gagner, mais gagner aussi avec ceux qui auront défendu d’autres idées, c’est comme ça d’ailleurs que c’est intéressant de gagner.
Jean-Pierre Elkabbach : Acceptons le jeu des hypothèses. Vous présidez le RPR, prenons des exemples précis. Les neuf du Conseil constitutionnel ont estimé hier que le Pacs est en gros conforme à la Constitution, E. Guigou est heureuse et elle prévoit les premiers Pacs pour la fin de l’année. Est-ce que vous demandez, vous, au Président de la République, de remettre en cause la loi ?
Michèle Alliot-Marie : Non, parce que je dis que le Conseil constitutionnel a effectivement décidé qu’il y avait conformité juridique à la Constitution. Ceci dit, j’estime que ce texte ne règle rien pour le problème des famille et ce que je demande au Président de la République, c’est d’aider à faire des textes pour les familles et pour aider la famille.
Jean-Pierre Elkabbach : Mais arrivant un jour au pouvoir, vous la supprimez ou vous la gardez, cette loi, le Pacs ?
Michèle Alliot-Marie : Non, dans le Pacs il y a des choses qui peuvent être utiles parce qu’il y avait des cas extrêmement difficiles pour des gens qui ont vécu ensemble pendant très longtemps et qui se trouvent abandonnés. Ceci dit, il y a aussi tout un aspect déclamatoire, déclaratoire et paillettes - comme le font souvent les socialistes - et qui ne sert rigoureusement à rien. Enfin quand quelque chose ne sert à rien, on n’en tient pas compte.
Jean-Pierre Elkabbach : Donc, là on l’applique ! On ne peut pas faire autrement, on applique le Pacs !
Michèle Alliot-Marie : Ecoutez, quand il s’agit d’améliorer une situation fiscale - d’ailleurs si nous avions des impôts un peu moins élevés en France, on aurait moins de difficultés en la matière - je dis oui, quand il y a une amélioration…
Jean-Pierre Elkabbach : On continue : L. Jospin veut que le parlement discute dès janvier 2000 de la parité en politique, à appliquer pour toutes les prochaines élections - européennes, régionales, sénatoriales et municipales dès 2001. Est-ce que vous votez, oui ?
Michèle Alliot-Marie : Je demande surtout à M. Jospin d’être moins hypocrite et par conséquent, en même temps, j’émettrai cette condition : je lui demande de nommer un peu plus de femmes - comme il a le pouvoir de le faire chaque semaine - à la tête des grands postes de la fonction publique française. Est-ce que vous savez que depuis qu’il est arrivé à Matignon, M. Jospin a nommé un pourcentage de femmes à ces hauts postes de la fonction publique, là où il y a vraiment le pouvoir, bien inférieur à celui des femmes à l’Assemblée nationale ?
Jean-Pierre Elkabbach : Oui, mais vous savez qu’il a innové dans de nombreux domaines, y compris dans son gouvernement avec les postes les plus importants. Là au moins vous devriez lui tirer un coup de chapeau parce que d’autres autour de vous pourraient l’imiter. Et puisque vous aimez travailler avec des femmes - je me souviens que vous étiez ministre -, si vous êtes au RPR vous donnerez des chances à des femmes, donc c’est oui d’une manière conditionnelle ?
Michèle Alliot-Marie : Absolument, non mais que M. Jospin nous montre d’abord qu’il a une réelle volonté de faire quelque chose en la matière et que ce n’est pas simplement de la poudre aux yeux.
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous croyez qu’aujourd’hui il faut harceler le gouvernement Jospin, par exemple, à propos de la Mnef ou d’autres choses ?
Michèle Alliot-Marie : Je crois qu’aujourd’hui il faut dénoncer tout ce qui ne va pas dans le gouvernement Jospin. Et sur la Mnef, je demanderai là aussi simplement à M. Jospin de dire la vérité et de n’être pas hypocrite. Il ne peut pas avancer “l’inventaire” systématiquement pour tout, il était premier secrétaire du parti socialiste au moment où se sont passés les problèmes avec ses principaux collaborateurs qui sont d’ailleurs toujours ses principaux collaborateurs, que ce soit M. Le Guen ou M. Cambadélis ou autres. Alors, que M. Jospin nous explique un peu et clairement quels étaient les rapports…
Jean-Pierre Elkabbach : Vous pensez qu’il était au courant, si je vous comprends ?
Michèle Alliot-Marie : Ecoutez, je vois mal un premier secrétaire du parti socialiste ne pas être au courant de la façon dont sont rémunérés ses principaux collaborateurs.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous avez noté que, d’après des récents sondages, à chaque agression contre L. Jospin c’est pour vous tous la tactique maso du boomerang ?
Michèle Alliot-Marie : Eh bien écoutez, moi je dis aussi qu’il faut dire la vérité aux français et que l’opposition est là aussi pour dire certaines vérités que d’autres essaient de camoufler.
Jean-Pierre Elkabbach : Autre chose, E. Balladur a été applaudi hier à l’Assemblée par la droite et même une partie de la gauche, il dit qu’il faut réformer la procédure pénale et supprimer la mise en examen. Est-ce que vous lui donnez raison, vous soutenez la proposition Balladur ?
Michèle Alliot-Marie : Je crois effectivement qu’il est indispensable que la justice fonctionne mieux et Madame Guigou ferait mieux de s’occuper de cela. Quand vous avez des personnes qui sont mises en examen et qui ne voient pas un juge pendant quatre ans ou cinq ans - pour peu d’ailleurs que ces personnes ne soient pas connues, je dirais qu’il y a toute une pression médiatique qui va s’exercer pendant tout ce temps - ce n’est pas de la justice et ça n’est pas le respect des personnes. Donc il y a là des dysfonctionnements, c’est certain, il faut y mettre fin et cela ne concerne pas simplement les politiques, je le dis tout de suite, ça concerne les gens dans leur vie de tous les jours.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous demandez qu’on limite les pouvoirs et les responsabilités des juges ?
Michèle Alliot-Marie : Je dis que chaque fois qu’il y a pouvoir, il doit y avoir aussi responsabilité et contrôle de cette responsabilité.
Jean-Pierre Elkabbach : Alors, vous êtes présidente du RPR, est-ce que vous demandez le 24 janvier, au RPR, à Versailles, de ne pas voter la réforme Guigou de la justice.
Michèle Alliot-Marie : Ah oui, je pense que, dans l’état actuel - cela dépendra de ce que fera Mme Guigou d’ici là -, ce texte présente de graves insuffisances.
Jean-Pierre Elkabbach : Donc vous vous mettez en contradiction avec ce qu’avait fait, vous avait demandé le Président de la République et que vous avez fait vous-mêmes.
Michèle Alliot-Marie : Non, car je dis très clairement que si sur certains textes j’ai effectivement voté pour, il y en a d’autres - puisque c’est tout un ensemble - pour lesquels j’ai voté contre.
Jean-Pierre Elkabbach : Je ne vous demande pas si vous soutiendrez J. Chirac, candidat en 2002, ça c’est une évidence…
Michèle Alliot-Marie : Mais bien sûr que je le soutiendrai…
Jean-Pierre Elkabbach : C’est une évidence, c’est une évidence. Mais d’ici là, à l’égard du Président de la République, est-ce que le RPR, si vous le présidez, doit donner des gages d’indépendance ?
Michèle Alliot-Marie : Le Président de la République est tenu par son statut à certaines réserves auxquelles n’est pas tenu le RPR. Ceci dit il n’y a pas de différence idéologique entre le RPR et le Président de la République, c’est lui qui a créé le RPR. Mais je dis simplement que nous avons plus de liberté de manœuvre et plus de liberté de critique et j’ai bien l’intention de les exercer.
Jean-Pierre Elkabbach : Et qu’est-ce que le Président de la République ne doit plus attendre du prochain pésident du RPR ?
Michèle Alliot-Marie : Je crois que le Président de la République peut compter sur la loyauté du prochain président du RPR. En revanche, je pense que ses conseillers risquent de compter aussi sur le fait d’être moins écoutés.
Jean-Pierre Elkabbach : C’est à dire.
Michèle Alliot-Marie : Simplement je dis que les conseillers, n’ayant pas par eux-mêmes une légitimité puisqu’ils n’ont pas été élus, peuvent donner un avis, mais cet avis n’a pas à être suivi systématiquement.
Jean-Pierre Elkabbach : Que fait M. Alliot-Marie, présidente du RPR, avec l’UDF de F. Bayrou ?
Michèle Alliot-Marie : Nous nous connaissons bien. Je connais à la fois les qualités et les défauts de F. Bayrou. Moi, je pense que ce qui est important, c’est que nous travaillions ensemble pour gagner les prochaines échéances électorales, et pour cela, il faut le faire notamment sur des idées. J’ai l’intention de redemander des états-généraux de l’opposition, comme nous l’avions fait en 86, pour établir un vrai programme qui servira de base à nos accords électoraux.
Jean-Pierre Elkabbach : Dans un livre que vous avez publié chez Odile Jacob, il y a quelques semaines, La République des irresponsables, vous dénonciez justement les irresponsables. Il y en a beaucoup aujourd’hui encore au RPR, des irresponsables ?
Michèle Alliot-Marie : Je crois que dans toute notre société les gens sont trop incités à ne pas assumer leurs responsabilités et que ceux qui veulent les prendre en sont souvent découragés. Eh bien, il faut changer cela parce que notre société a aussi besoin de recouvrer le goût et le sens des responsabilités.
Jean-Pierre Elkabbach : Il semble à beaucoup que cette campagne fait un effet révélateur sur vous-même. Comment vous expliquez cette métamorphose de M. Alliot-Marie ?
Michèle Alliot-Marie : Je suis heureuse de faire campagne, je suis heureuse d’être au contact avec les militants et à travers eux avec les français. Je pense qu’il y a plein de choses à faire, je suis confiante dans l’avenir et j’ai envie d’entraîner le RPR à la victoire parce que je pense que ce sera aussi une victoire pour notre pays, nous avons besoin de sortir du socialisme.
Jean-Pierre Elkabbach : S’il y avait une image, on vous verrait avec les deux poings comme ça, parce que vous vous agitez et apparemment vous confirmez ce que dit votre mère au Figaro, il y a quelques jours : vous aimez la castagne.
Michèle Alliot-Marie : Ah, disons que je suis d’un pays de rugby.