Interview de M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d'État chargé de l'action humanitaire d'urgence, dans "La Tribune" du 21 janvier 1997, sur la transformation du revenu minimal d'insertion en salaire d'activité (contrats d'initiative locale) prévu dans le projet de loi de cohésion sociale.

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Média : La Tribune

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La Tribune : Le RMI a été mis en place en 1988 pour « éradiquer la nouvelle pauvreté ». Pouvait-on s’attendre à plus d’un million de RMistes aujourd’hui ?

Xavier Emmanuelli : Je ne crois pas, en effet, que l’on s’attendait à ce que plus d’un million de personnes soient titulaires du RMI en 1997. Ce qu’il me paraît important de souligner, c’est que depuis très longtemps, notre dispositif de protection sociale prenait en charge, non les situations de pauvreté elles-mêmes, mais les événements sociaux susceptibles d’entraîner des difficultés : santé, famille, handicap, vieillesse, chômage. Avec la crise économique persistante a émergé la nécessité de compléter ces réponses catégorielles par une réponse globale au risque économique.

La Tribune : Est-ce le signe d’un appauvrissement de la société française ?

Xavier Emmanuelli : Je crois que ceci est d’abord le signe d’une prise en compte des difficultés que connaissent les personnes et le signe d’une meilleure information de celles-ci sur l’aide que peut leur apporter la collectivité publique. Je me souviens de la surprise qui fut celle des services sociaux en 1988 qui, peu à peu, virent se présenter des personnes en situation de pauvreté qui n’étaient pas connues d’eux. Mais il y a également une montée des situations de pauvreté.

La Tribune : Notre société a-t-elle les moyens de cette prise en charge à l’heure où l’on ne parle que de rigueur budgétaire ?

Xavier Emmanuelli : C’est une question de choix politique et le gouvernement auquel j’appartiens a clairement manifesté son souci de renforcer la cohésion sociale par la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. Il faut essayer de faire en sorte que l’argent public encourage davantage les personnes à reprendre une activité, plutôt que de dépenser toujours plus. C’est le sens du volet « activité » du projet de loi de cohésion sociale. Il s’appuie notamment sur des « contrats d’initiative locale », qui permettront de transformer en salaire d’activité la prestation versée aux bénéficiaires du RMI. Nous leur proposons 300.000 de ces contrats en cinq ans. L’autre partie de leur rémunération sera fournie par leur employeur, qui pourra être, par exemple, un hôpital, une commune ou une association.

La Tribune : Seulement 47 % des RMistes arrivent à se réinsérer socialement. Peut-on éviter le piège de l’assistanat ?

Xavier Emmanuelli : Revenu minimum garanti ou revenu minimum d’insertion, c’est la question essentielle. Les pays étrangers qui avaient été précurseurs en la matière avaient fait le choix d’un revenu minimum garanti, tandis que la France avait retenu un revenu minimum d’insertion. 47 % des personnes titulaires du RMI qui arrivent à se réinsérer, ce n’est pas négligeable. Pour éviter « le piège de l’assistanat », la loi a proposé un outil de participation et de dignité, le contrat d’insertion, signé avec le bénéficiaire et sa famille, auquel nous allons rendre son sens en renforçant l’offre d’insertion.

La Tribune : L’augmentation du nombre de RMIstes de moins de trente ans vous paraît-elle alarmante ?

Xavier Emmanuelli : Les situations qu’elle révèle sont très préoccupantes. Ceci montre qu’un effort exceptionnel doit être fait pour développer la formation professionnelle et surtout redonner espoir à des milliers de jeunes souvent en désespérance. Il n’y a pas de problème plus grave aujourd’hui dans ce pays. Il faut s’y attaquer en amont du RMI, entre seize et vingt-cinq ans : pour les jeunes les plus menacés d’exclusion, la loi de cohésion sociale prévoit de mettre sur pied des itinéraires personnalisés, qu’ils choisiraient eux-mêmes avec l’aide des missions locales ou des PAIO, et pour lesquels ils bénéficieraient d’un véritable tutorat et du suivi d’un organisme de formation.