Texte intégral
Q. : Lors de la récente réunion des ministres de la Défense de l’OTAN à Bergen, la France et les États-Unis se sont opposés sur la question de la réforme de la structure dans la structure de l’OTAN, fermement soutenu par le gouvernement fédéral, semble piétiné, alors qu’il vient à peine d’être engagé et qu’une nouvelle intervention de l’Allemagne est envisagée en Bosnie- Herzégovine. L’Allemagne et la France ont-elles défendu les mêmes positions au cours du débat sur la structure de commandement de l’OTAN ? M. Rühe vous a-t-il suffisamment soutenu ?
R. : Absolument.
Q. : Que vouliez-vous dire, lorsque vous avez affirmé que la France pouvait aussi rester là où elle était, si certaines conditions n’étaient pas remplies ?
R. : Je n’ai pas utilisé cette expression. J’ai simplement dit que « la France souhaitait une réforme de l’Alliance atlantique qui prenne aussi en compte l’identité de défense européenne ». Pour se faire, j’ai cité des exemples :
– l’institution de groupements de forces interarmées multinationaux : les GFIM (en anglais : CJTF, Combined Joint Task Forces) ;
– une nouvelle répartition des compétences régionales dans les quartiers généraux de l’OTAN en Europe ;
– la répartition des commandements dans les différents quartiers généraux.
Si nous parvenons à réformer non seulement la structure militaire, mais aussi la structure politique de l’Alliance, alors la France reprendra sa place, et toute sa place. Mais si l’Alliance n’est pas réformée et si elle conserve ses structures actuelles, la France alors continuera de participer à l’Alliance dans les limites que nous avons annoncées le 5 décembre 1995, et elle n’ira pas plus loin. Je ne voudrais pas être mal compris : il n’est pas question d’une humeur française, mais d’un grand défi, à savoir, la mise en place d’un nouveau partenariat américano-européen.
Q. : Pensez-vous qu’il est possible que le sommet de l’OTAN, prévu pour le printemps prochain, puisse échouer ?
R. : Je suis convaincu que des discussions approfondies doivent encore être menées avant que la réforme de l’Alliance atlantique, qui est déjà engagée, ne puisse aboutir. Si nous avions annoncé il y a six mois que les Seize s’entendraient pour instituer un représentant européen du commandant suprême de l’OTAN, avec un état-major et des missions propres, personne ne nous aurait cru. Et il semble que nous ne soyons pas seulement d’accord sur l’institution de ce poste, mais aussi sur les missions qui seront les siennes et sur son rôle dans l’Alliance et face à l’UEO.
Il existe cependant toujours quelques points qui doivent absolument être éclaircis ; il existe toujours des malentendus qui doivent être levés. Nous souhaitons que ce dont nous avons parlé à Bergen soit un début, et non pas la fin des débats. Nous devons mener maintenant une véritable discussion de fond sur la structure et la répartition des commandements. Nous comprenons fort bien que les Américains se penchent très attentivement sur la question de savoir qui doit exercer le contrôle sur leurs forces très conséquentes basées en Méditerranée.
Q. : On réfléchit à l’heure actuelle au sein de l’OTAN à un nouveau mandat pour une intervention en Bosnie-Herzégovine. La brigade franco-allemande doit aussi y participer. S’agira-t-il de la totalité de la brigade, ou seulement d’une partie ?
R. : Je ne suis pas en mesure d’apporter maintenant une réponse précise à votre question. La France souhaite que les instances politiques de l’Alliance prennent une décision aussi vite que possible. L’Allemagne souhaite, tout comme la France, que, dans le cas d’un nouveau mandat, on réfléchisse à une intervention de la brigade franco-allemande. Je ne peux pas vous dire aujourd’hui quel serait son ampleur. Mais je serais très favorable à ce que la brigade franco-allemande puisse assumer des missions.
Q. : Des missions semblables à celles que remplissent actuellement les forces françaises ?
R. : Elle ferait partie des forces qui servent dans la zone de responsabilité française.
Q. : M. Rühe a proposé que de nouvelles forces armées soient instituées en Bosnie-Herzégovine afin de pourchasser les criminels de guerre. Partagez-vous ce point de vue ?
R. : Nous devons mener ce débat dans le cadre du débat sur le mandat et la mission des nouvelles troupes.
Mais si vous souhaitez connaître mon point de vue personnel, je vous dirais que je persisterais à maintenir la différenciation entre les forces armées et forces de police. Tout comme la police a pour mission de mener des enquêtes et d’arrêter des criminels de guerre, l’armée a, je crois, la mission de garantir la paix, la stabilité et la sécurité en évitant de nouvelles attaques. Et je crois que l’on ne devrait pas mélanger les deux missions. Si l’OTAN décide qu’il y aura des forces militaires et des forces de police, alors elles devront disposer de deux mandats distincts et clairement définis.
Q. : Pour finir, encore deux questions qui sont importantes dans le cadre du sommet franco-allemand du 9 décembre. Les deux gouvernements veulent définir ensemble les missions des forces armées dans les deux pays. Pouvez-vous dire si cela présente des difficultés, et, si c’est le cas, préciser lesquelles ?
R. : Lorsque nous avons commencé à la fin du mois de février la réforme de l’armée française, nous avons eu l’impression que certains pensaient en Allemagne que nous réorganisions notre stratégie. Ce n’est absolument pas le cas.
La mission des chefs de gouvernement qui consiste à élaborer un concept commun le prouve. Ce faisant, ils veulent montrer que la France et l’Allemagne partagent le même point de vue quant aux défis existants dans le domaine de la sécurité. Dans cette perspective, l’élaboration d’un nouveau concept ne devrait poser absolument aucun problème.
Q. : On parlera aussi lors du sommet des programmes d’armement. Où en est cette discussion ?
R. : Les buts fixés dans le cadre des projets de fabrication d’hélicoptères ont été confirmés. Quant au projet de satellites Helios 2, il existe un accord de principe. Nous souhaitons, en France, que les travaux puissent bientôt commencer.
Q. : Mais vous connaissez le point de vue de votre homologue allemand ?
R. : Je sais que mon homologue allemand est en effet quelque peu réservé – du fait des coupes opérées dans son budget, ce que je comprends très bien. Je dis simplement qu’il existe un accord entre le Chancelier et le Président ; et je souhaite qu’une décision soit prise bientôt, car la capacité de l’Europe de s’informer et d’observer est un élément décisif pour une politique de défense européenne.
Q. : Mais dans le doute, la France serait-elle prête à différer la décision
R. : Pour le satellite Helios. Non.
Q. : Et qu’en est-il de l’avion de transport ?
R. : La France a proposé – et l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie ont accepté cette proposition – de constituer pour la production du futur avion de transport un consortium européen qui aurait à rassembler les capitaux nécessaires et à mener les études pour le développement du projet.
Dans le même temps, les pays européens devraient s’engager, en prenant des options fermes, à acheter un certain nombre d’avions de transport. Et l’on peut aussi profiter des recherches qui ont été faites dans le secteur civil. Et alors, nous commencerons à bâtir une industrie de défense véritablement européenne, qui devrait bénéficier d’une sorte de préférence européenne.