Texte intégral
France Inter - jeudi 5 décembre 1996
A. Ardisson : « Face au terrorisme, les Français doivent être unis » avez-vous dit hier, à l’Assemblée nationale, applaudi unanimement par les députés. Cette affirmation, cette volonté, résistera-t-elle au temps, car c’est un combat de longue haleine alors que les calendriers électoraux sont courts ?
L. Fabius : Oui elle résistera au temps. Pourquoi ai-je dit que les Français doivent être unis ? C’est à cause de l’expérience que nous avons vécue au cours de ces dernières années. Le terrorisme n’est pas un fait nouveau et j’ai constaté que, pour lutter efficacement contre lui, il fallait absolument récuser toute exploitation politicienne. Parfois, il y a des tentations mais il ne faut pas y céder. C’est un fait trop grave pour qu’il puisse y avoir des différences de second ordre. Cela ne veut pas dire pour autant que l’on ne se pose pas de questions, comme se posent tous les Français aujourd’hui : qu’y a-t-il derrière ces attentats ? Y avait-il des signes précurseurs ? Est-ce qu’on peut attendre de nouveaux attentats ? Quelles dispositions prendre ? Les pouvoirs publics se posent aussi ces questions. Mais, sur le fond, il faut absolument faire bloc, et j’ai ajouté, hier, qu’il faut être dur avec ces crimes. Il n’y a aucune compromission d’aucune sorte à passer. Il faut être dur parce que c’est ça que méritent ces assassins.
A. Ardisson : « Y a-t-il des signes avant-coureurs ? » avez-vous dit, mais avez-vous le début d’une réponse ?
L. Fabius : Non, je n’en sais rien. Je sais simplement, parce que vos collègues de la presse y ont fait allusion, qu’il y a, dans quelques jours, un procès lié aux gens qu’on appelle de « Marrakech », que, parait-il, les services secrets avaient reçu telle ou telle indication, mais je n’ai pas d’autres éléments. Je sais que c’est extrêmement difficile de lutter contre le terrorisme, que tous les moyens doivent être mobilisés pour le faire et que, s’agissant des responsables politiques, ils doivent tout simplement être unis. Cela n’empêche pas, sur d’autres terrains – politique économique, politique sociale, politique européenne – d’avoir dès différences voire des divergences, mais sur ce terrain-là, je plaide pour l’unité.
A. Ardisson : Pensez-vous que l’on soit parti pour une guerre de longue durée, un petit peu comme les Britanniques avec l’IRA, compte tenu de la haine inexpiable que sous-tendent ces attentats ?
L. Fabius : Je n’en sais rien. Ceux qui suivent de plus près ces problèmes disent qu’en général, un attentat ne vient pas seul et qu’il y a une campagne, très souvent, qui est organisée. Bien entendu, je souhaite que ce ne soit pas le cas. En tout cas, il faut prendre les dispositions pour éviter que ces attentats ne se poursuivent. C’est ce qui est en train d’être fait et je pense qu’on ne peut qu’être d’accord avec les dispositions très fermes à prendre.
A. Ardisson : Et qui vous paraissent suffisantes ?
L. Fabius : Tout doit être fait. J’ai dit : être dur avec ces crimes et faire le maximum pour prévenir et pour sanctionner.
A. Ardisson : La vie continue, ça n’exclut pas les divergences politiques, par exemple sur l’affaire Thomson. Les socialistes ont critiqué hier la décision du Gouvernement, très contents, finalement, du revers qu’il a subi. Mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
L. Fabius : Non, pas contents parce que c’est un gâchis tout ça. Au moment où le Gouvernement, le président de la République ont annoncé la privatisation – il y a de cela plusieurs mois –, les conditions dans lesquelles ils voulaient la faire, au moment où ils ont énoncé leur préférence, violant toute procédure normale, nous avons dit, j’ai dit que ça me paraissait une mauvaise décision et que tout ça n’aboutirait à rien de bon. Et j’ai relevé en particulier que, s’agissant de Thomson Multimédia, les conditions dans lesquelles la vente était faite à Lagardère groupe – en réalité à Daewoo – n’étaient ni conformes à nos intérêts industriels, ni conformes à nos intérêts financiers et que les engagements sociaux ne valaient rien. La commission de privatisation a rendu son avis – qui a été rendu public hier – et elle reprend, point par point, ces arguments. D’une certaine manière, et même d’une façon certaine, c’est un camouflet, c’est un désaveu total pour la politique du Gouvernement Ce n’est pas le premier. Rappelez-vous la privatisation du CIC – là aussi nous l’avions dénoncée –, ça ne marche pas ! Le Crédit Foncier, c’est aussi une situation lamentable, donc on ne peut pas jouer comme ça avec l’industrie de la France. Maintenant, puisque le chemin qui avait été emprunté par le Gouvernement a échoué, qu’est-ce qu’on fait ?
A. Ardisson : C’était la question parce que c’est un secteur sensible, en tout cas la partie militaire de Thomson.
L. Fabius : Les deux sont sensibles. Nous ne sommes pas favorables à la privatisation. Nous ne pensons pas que ce soit la solution miracle, mais ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’il y a besoin de passer des alliances et, dans une certaine mesure, d’opérer des recapitalisations. Les alliances doivent être ouvertes.
A. Ardisson : Est-ce qu’on peut passer des alliances sans passer par la privatisation ?
L. Fabius : Bien sûr que oui, il y a beaucoup d’exemples de cette sorte. Prenez l’exemple de la SNIAS, qui est une grande société et qui développe ses alliances sans pour autant qu’il y ait privatisation. France Telecom a passé des alliances nombreuses avant d’être privatisée et elle s’est développée d’une façon magnifique. Il n’y a pas de lien entre les deux. Et, en plus, en ce qui concerne l’industrie de défense, c’est tout de même un secteur stratégique où il y a des intérêts particuliers du pays, à défendre. Donc il va falloir tout reprendre.
A. Ardisson : Si, malgré tout, le choix de la privatisation était maintenu – et c’est la volonté du Gouvernement, c’est encore ce que souhaitait M. Arthuis il y a quelques heures, en disant que cela devait aller vite et, si possible, en bloc ?
L. Fabius : M. Arthuis a le talent très particulier pour que les résultats soient, en général, contraires à ce qu’il propose.
A. Ardisson : Concernant cette affaire Thomson, les Coréens protestent officiellement contre le Gouvernement et demandent des explications. Est-ce que ça ne va pas nous porter tort dans nos échanges avec ce pays, qui sont parfois importants ?
L. Fabius : Je pense qu’il ne faut pas lier les mêmes choses. La commission de privatisation a très justement dit ce que nous mêmes nous avions soutenu auparavant, c’est que Daewoo, dans cette affaire, n’apportait pas grand chose et recevait beaucoup. C’est quand même rare dans la vie publique et dans la vie courante, que ce soit le vendeur qui paie l’acheteur. C’est assez rare ! Si ça existait, il y aurait probablement plus d’acheteurs. Là, dans la proposition qui était celle du Gouvernement, Daewoo récupérait une technologie qui est vraiment à la pointe dans le numérique – c’est-à-dire l’industrie de demain –, dans tout le domaine de la communication, prenait des engagements en matière d’emploi qui n’étaient fondés malheureusement sur rien – c’est ce que· reprend la commission de privatisation –, parce qu’il n’y a pas de liens juridiques. Financièrement, Daewoo n’apportait pas grand chose et recevait beaucoup. Je comprends donc que Daewoo soit déçu. D’ailleurs, il faut remarquer – et, en général, c’est un juge de paix qui ne trompe pas – que, lorsque l’offre Lagardère-Daewoo avait été privilégiée, le titre Daewoo avait immédiatement beaucoup monté en Bourse.
A. Ardisson : Dans une semaine, il y a le Sommet de Dublin. On a l’impression que les socialistes en général, et vous-même en particulier, êtes maintenant très en retrait par rapport à vos positions antérieures sur la monnaie et sur l’Europe ?
L. Fabius : En retrait non, mais inquiet c’est vrai, parce que nous sommes européens. Nous pensons que l’Europe, c’est une grande perspective et une grande chance pour la France et que ça doit être une grande chance pour la fin du siècle et pour le siècle qui vient. La politique européenne qui est suivie en ce moment c’est un peu à la godille. On a le sentiment que, dans beaucoup de domaines, on est plutôt à la dérive d’autres pays – notamment les Allemands – plutôt qu’on affirme une position propre. Vous avez raison de souligner que la semaine prochaine, il va y avoir une réunion très importante à Dublin où on va, en particulier, examiner le pacte stabilité – c’est-à-dire comment fonctionnera tout le système de la monnaie unique s’il intervient – et là, nous avons une divergence avec le Gouvernement. Le Gouvernement est en train d’accepter des disciplines qui, en fait, brideront toute possibilité de croissance. Nous, nous pensons que s’il faut faire la monnaie unique – nous sommes pour –, c’est pour développer l’emploi et non pas pour amener la récession. Là, nous avons une divergence nette et j’espère que les positions du Gouvernement français vont évoluer d’ici là et qu’elles vont prévaloir auprès de nos partenaires.
France Inter - vendredi 13 décembre 1996
J. Dorville : Laissons de côté, un instant, les réflexes partisans. Vous êtes un téléspectateur presque ordinaire, le Président s’est adressé à vous pour ce qui était avant tout un exercice pédagogique. Est-ce qu’il a touché au but ? Est-ce qu’il vous a parlé ? Est-ce qu’il a renoué ce dialogue avec les Français ?
L. Fabius : Moi, j’ai regardé comme un téléspectateur presque ordinaire l’intervention du président de la République, le dialogue avec les journalistes et le sentiment que j’ai eu à la fin se résume ainsi : Ah, que de belles choses feraient M. Chirac s’il était élu président de la République ! C’est cela qui m’a frappé, c’est-à-dire cette position absolument extraordinaire de se placer en analyste, en spectateur, beaucoup plus qu’en décideur ou qu’en acteur qu’il est ! J’en étais presque à oublier que M. Chirac est président de la République depuis presque deux ans ; qu’il dirige la majorité parlementaire depuis quatre années ; que son parti a les responsabilité principales du pays depuis quinze ans sur les 25 dernières années et c’est ce décalage qui m’a frappé. Et je pense qu’il a frappé beaucoup de monde et qu’il a donc donné ce qu’un certain nombre de vos collègues appellent un sentiment d’impuissance. La description était là mais c’est quand même lui, le Président !
J. Dorville : Ce diagnostic que porte J. Chirac sur la société française, une société assez conservatrice qui recule devant bien des changements, vous ne pouvez pas nier qu’il y a une part de vérité, non ?
L. Fabius : Bien sûr, il y a des blocages, il y a des difficultés. J’ai eu le sentiment que parfois l’insistance mise sur le conservatisme est une espèce d’excuse trouvée aux propres échecs du Gouvernement Dans cette émission, on a appris deux choses. La première, relevée par beaucoup de vos collègues est qu’il va y avoir une commission qui va être créée sur les problèmes judiciaires. Et la deuxième chose principale est que l’on ne va rien changer à la politique qui est suivie. Or, c’est cette politique qui est contestée par une majorité de Français et la nouvelle que nous avons appris hier, même si elle était distillée d’une façon subtile, c’est que l’on ne change rien.
J. Dorville : Il y a eu peu d’annonces mais une, tout de même, très importante qui est la mise sur les rails d’une réforme de la justice et, en particulier, une réforme qui viserait à couper ce fameux cordon ombilical entre la Chancellerie et le Parquet. Allez-vous l’encourager dans cette voie ?
L. Fabius : Distinguons le fond et la forme. La forme, c’est la nomination d’une commission. Vous vous rappelez cette fameuse phrase de Clémenceau : « Si on veut enterrer un problème, on crée une commission » et une deuxième phrase de Clémenceau qui disait « Qu’est-ce qu’un dromadaire ? C’est un cheval dessiné par une commission ». Si on laisse cela de côté, sur le fond la question est, d’une part, d’assurer le respect des personnes. C’est vrai que c’est un objectif majeur ancien mais qui jusqu’à présent n’est pas assumé. C’est la présomption d’innocence. Et deuxièmement, comme on a coupé le cordon ombilical, il faut faire de telle façon que les juges puissent suivre normalement leur travail. Moi, je pense que c’est une excellence idée. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que cela aboutisse et que cela ne serve pas de rideau de fumée par rapport à un certain nombre de difficultés actuelles.
J. Dorville : Au chapitre social, lorsque J. Chirac assure fortement qu’il restera le garant de la Sécurité sociale, des acquis sociaux même des services publics à la française, c’est tout de même de nature à vous rassurer, vous ?
L. Fabius : La pétition de principes est excellente. Simplement, il faut la mettre en regard d’un certain nombre de pratiques. Vous savez que l’on est en train de discuter à l’Assemblée et au Sénat la question dite des fonds de pension. Les gens qui connaissent bien ces sujets sont inquiets et se demandent si cela ne va pas remettre en cause des systèmes actuels de Sécurité sociale, notamment les régimes complémentaires. D’autre part, il est quand même à noter que les modifications apportées par M. Juppé en matière de Sécurité sociale ont remis en cause un certain nombre de droits. Du point de vue des principes, il y a beaucoup d’affirmations dans lesquelles on peut ou on doit se retrouver, mais c’est à mettre en contradiction avec un certain nombre de faits, de décisions. Par exemple, j’ai regretté que les journalistes ne posent pas cette question qui est en ce moment posée à l’Assemblée nationale : d’un côté, on demande aux parlementaires de voter un allégement de l’impôt sur la fortune et de l’autre, la loi sur l’exclusion sociale, qui était annoncée depuis longtemps, est retardée encore pour plusieurs mois, sinon une année. Donc, ce qui m’a frappé et qui a du frapper beaucoup d’autres Français, c’est un décalage entre un discours général et parfois généreux de pétitions de principe avec des « il faut », « on doit » – et je suis sûr que les journalistes feront une comptabilité du nombre de fois où il a été dit « il faut » – et d’autre part, une pratique qui est très souvent différente.
J. Dorville : Il y a deux débats de nature sociale qui traversent le pays désormais. Il y a la retraite et le problème de la flexibilité. On s’aperçoit que le mot d’ordre en ce qui concerne la retraite est 55 ans. Les routiers l’ont obtenu, les traminots à Toulouse, à Rouen, dans votre région, la grève continue. Est-ce que l’on a pas cédé un peu facilement sur ce point ? Est-ce que l’on a pas là une véritable bombe à retardement, compte tenu de la situation financière des caisses et compte tenu de la démographie ?
L. Fabius : C’est vrai que c’est un énorme problème et là aussi l’intervention de M. Chirac était intéressante à suivre. Premier temps du raisonnement : il est regrettable que dès qu’il y a un conflit en France, on se tourne vers l’État. Deuxième temps du raisonnement : alors qu’un de vos collègues lui a fait remarquer que l’État avait cédé lorsque les routiers se sont tournés vers lui, il y a cet aveu du cœur que l’on ne pouvait pas faire autrement. Il y a un vrai problème en France, qui a été repris dans les colonnes du Monde, et qui est le suivant : à partir du moment où, déjà, notre système de retraite va être déséquilibré, si on généralise l’avancée de l’âge de la retraite, cela va créer des difficultés supplémentaires. Je ne pense pas à la question spécifique des routiers, qui, c’est vrai, ont des difficultés de conditions de travail considérables et qui sont usés avant le temps. Je crois que la généralisation à beaucoup d’autres secteurs de l’économie française n’est pas praticable.
J. Dorville : L’autre débat que l’on entend actuellement beaucoup, c’est celui sur la flexibilité. J. Chirac a dit clairement qu’il n’aimait pas ce mot pour sa connotation antisociale. Cela vous a rassuré également ?
L. Fabius : Je crois qu’il faut appeler un chat un chat et quand on parle de flexibilité, c’est de précarité qu’il s’agit. Et je ne crois pas beaucoup qu’on puisse bâtir une France économique prospère, revenir sur le chômage en développant la précarité. C’est une voie qui n’est pas bonne et qui d’ailleurs ne serait pas acceptée. Là encore, la position de principe était tout à fait sympathique mais ses ministres dont il doit, tout de même, de temps en temps, entendre parler disent des choses différentes. Vous avez sans doute entendu l’autre jour M. Barrot – au demeurant excellent homme – dire : « Il faut aller dans le sens d’une flexibilité plus grande » et beaucoup de responsables de la majorité disent la même chose. Donc, je crois qu’il y a un ajustement à faire entre les différents responsables de la majorité. En tout cas, pour ce qui me concerne, il est certain que la précarité n’est pas la voie à développer.
J. Dorville : Un mot sur l’Europe. Le Sommet de Dublin qui s’ouvre aujourd’hui doit tenter de régler les modalités du passage à la monnaie unique. On parle d’un pacte de stabilité exigé par l’Allemagne, et qui paraît à certains trop contraignant. On a l’impression que l’Europe à quinze, ça patine, ça n’avance pas. Sur ce point, est-ce que vous faites crédit à J. Chirac d’une vraie détermination à construire l’Europe ?
L. Fabius : Il a varié au fur et à mesure du temps. Je ne sais pas si vous vous rappelez qu’il était l’auteur du fameux « appel de Cochin » et qu’à l’époque celui contre qui il était destiné était V. Giscard d’Estaing. Les rôles se sont inversés, semble-t-il, avec le temps ; cela arrive. Sur le fond, ces affaires européennes sont non seulement extérieures, mais vont de plus en plus devenir des affaires intérieures. Aujourd’hui, il y a trois problèmes à régler. Le président nous a parlé un petit peu d’un de ces problèmes. Première question : est-ce qu’on va être capable de renforcer les institutions européennes ? C’est ce qui est en discussion à Dublin. J’espère qu’on va y arriver. D’après mes informations, on n’a pas beaucoup avancé. Deuxième question, qui n’a pas été abordée hier et qui est fondamentale : l’élargissement de l’Union européenne. Il serait irresponsable d’élargir à de nouveaux pays l’Union européenne, si on ne s’est pas mis d’accord au préalable sur ce renforcement. Troisième question, celle que vous aborder : la question de l’euro et du pacte de stabilité. Là, on a eu des paroles générales, mais je demande à voir et, jusqu’à présent, les textes que j’ai vus font état d’une espèce de « suivisme » de la position française par rapport à l’Allemagne. Moi, je suis pour la monnaie unique à condition qu’elle permette la croissance et non pas qu’elle l’entrave.
TF1 - vendredi 13 décembre 1996
TF1 : Un nouvelle commission ou une réforme nécessaire ?
D. Strauss-Kahn : Sans doute une réforme nécessaire, mais vous avez bienfait de choisir ce passage, parce que, en près de deux heures d’intervention, c’est à peu près la seule proposition vraiment concrète qu’a faite le chef de l’État. Pour le reste, je l’ai trouvé quand même très observateur de la situation : il fait l’analyse mais il ne fait pas beaucoup de projets et je crois que ce qui a manqué dans cette émission, c’est surtout ça, le projet politique, là où il veut amener les Français. Je l’ai trouvé un peu désemparé et ayant un peu un sentiment d’impuissance devant un certain nombre de questions. Là, il y a une proposition, c’est vrai…
TF1 : Vous seriez d’accord ?
D. Strauss-Kahn : Je serai d’autant plus d’accord que sans doute L. Jospin l’avait lui-même proposé pendant la campagne présidentielle et – petite facétie – si L. Jospin avait été élu, ce serait peut-être déjà fait. Donc nous sommes clairement pour. Est-ce qu’il faut pour cela une commission ? Oui, si c’est pour approfondir, non, si c’est pour enterrer le dossier et on verra en effet rapidement ce qu’il en est. Mais, ce qu’il ne faudrait pas, c’est que le débat qu’il faut tenir sur cette question et avancer fasse oublier les autres aspects de la justice et hier, dans l’émission, les problèmes qui touchent la mairie de Paris, par exemple, ont quand même été assez rapidement occultés.
TF1 : Abordés, quand même.
D. Strauss-Kahn : Rapidement abordés, reconnaissez-le. Et je ne voudrais pas qu’une réforme nécessaire de l’institution judiciaire soit une réforme qui permette de faire passer un peu sur le coté des questions qui touchent aussi aujourd’hui très directement et le RPR et le maire de Paris.
TF1 : J. Chirac parle d’un côté de conservatisme mais aussi de dialogue et de défense des avantages acquis. C’est assez nouveau, non ?
D. Strauss-Kahn : Oui. Ce qui est curieux, c’est que les Français ne sont pas contents de J. Chirac et, hier, J. Chirac nous dit qu’il n’est pas content des Français : ce n’est quand même pas une situation très raisonnable pour un président de la République. Est-ce que les Français sont conservateurs ? Il y a dans tout peuple un peu de conservatisme et une volonté d’avancer…
TF1 : On sent toujours qu’il y a une crispation sur certains projets.
D. Strauss-Kahn : C’est normal ! La question que l’on peut avancer est que si justement le dialogue est là, et qui mieux que J. Chirac l’a dit hier : la contradiction c’est qu’il réclame le dialogue pour avancer et qu’il maintient en place un Gouvernement qui est le contraire du dialogue, il l’a presque reconnu lui-même. Si bien que dans tous les événements qui ont marqué ces dernières semaines, que ce soit la pantalonnade de Thomson, ou le problème des routiers, que ce soit le recul sur le CIC ou la capacité à régler le problème corse, que ce soit même le fait d’avoir fait une affaire d’État élevant la moitié de la France contre l’autre sur la question de l’heure d’été et de l’heure d’hiver… On voit bien que tout ce qui a manqué ces fois-là, c’est le dialogue, la capacité de discuter. Alors, moi je veux bien que le président de la République ait l’air de dire : « ça n’est pas de ma faute, ça n’est pas de la faute de mon Gouvernement, c’est de la faute des Français, des syndicats, des autres… » Regardons les choses en face. C’est toujours difficile de réformer, mais pour réformer, il faut faire accepter la réforme, il faut discuter et être capable de dialoguer et je pense que ce Gouvernement, aujourd’hui – si tant est qu’il y ait encore un Gouvernement d’ailleurs ! – mais ce Gouvernement est incapable de dialoguer.