Texte intégral
Le Figaro : Vous êtes des alliés fidèles du PS. On ne vous entend guère. Avez-vous vraiment une place à part entière au sein de la majorité ?
Michel Crépeau : Nous sommes les mal-aimés de cette majorité. On ne nous a rien donné en échange de notre fidélité. Les socialistes ont gardé dans l’esprit que le PC est le partenaire puissant et naturel de l’union de la gauche, qu’il faudrait ménager. Pour employer une métaphore européenne, je dirais qu’ils nous considèrent un peu comme la Belgique, alors que le PC serait l’Allemagne ! Quant aux Verts, qui sont deux fois moins nombreux que nous, ce sont des gens nouveaux, très fringants, auxquels le PS s’intéresse car il les assimile à la jeunesse, à la qualité de la vie, à la fantaisie. On traite toujours mieux une jeune amante qu’une vieille maîtresse. Ce n’est pas convenable ! Mais contrairement à eux, je n’ai jamais aimé user du chantage.
Le Figaro : Le PS n’a-t-il jamais fait de geste à votre égard ?
Michel Crépeau : Lors du débat budgétaire, j’ai demandé une baisse de la TVA sur les voitures électriques. Finalement, le Gouvernement a proposé une baisse de l’électricité consommée sur les voitures électriques. C’est se moquer du monde.
Le Figaro : Y a-t-il des textes avec lesquels vous êtes en désaccord ?
Michel Crépeau : Nous ne voterons jamais le projet d’Élisabeth Guigou sur l’indépendance du parquet, qui est une folie. Pas plus que nous ne voterons la loi sur le cumul des mandats. Je suis pour un mandat national et un local. Nous réclamons aussi la suppression de la détention provisoire en matière délictuelle. Car les juges d’instruction pratiquent le culte de l’aveu, dans des conditions dégradantes pour l’individu. D’une manière générale, les socialistes sont intrinsèquement dirigistes, ils veulent toujours encadrer, interdire, alors que nous voulons accroître les espaces de liberté.
Le Figaro : Vous êtes les seuls à réclamer l’annualisation du temps de travail…
Michel Crépeau : Le Gouvernement veut passer toutes les entreprises à la toise, mais c’est lui qui court le risque d’être toisé. Parce qu’il y a des mots tabous en France. Soyons réalistes, donnons de la souplesse aux entreprises. Que l’on appelle cela annualisation, modulation ou flexibilité… Je veux bien offrir un dictionnaire des synonymes à chaque ministre. Tous les mots se valent. Essayons d’être intelligents ! En refusant notre amendement, le Gouvernement risque de créer un front commun qui ira de la grande industrie à l’artisanat, en passant par les PME. Or il faut au contraire éviter que le grand patronal avance protégé par les PME, seul vivier d’emplois dans notre pays. J’ai le sentiment que le projet sur les 35 heures est le drapeau derrière lequel Lionel Jospin veut mobiliser la gauche, et sonner la charge à quelques semaines des régionales. Le débat est profondément politisé.
Le Figaro : Comment expliquez-vous que Martine Aubry n’ait pas évoqué dans son discours l’élargissement des 35 heures au secteur public ?
Michel Crépeau : Le Gouvernement a ouvert la boîte de Pandore, il n’évitera pas que le problème soit posé ipso facto. Prenons l’exemple de la santé. Les 35 heures seront applicables au personnel des cliniques privées. Croyez-vous que le secteur public hospitalier va rester inerte ? Le Gouvernement devrait anticiper l’événement, avant que la vague des revendications des fonctionnaires ne déferle.