Texte intégral
L’Express : Vous côtoyez souvent le Président de la République. Comment réagit-t-il aux attaques et aux mauvais sondages ?
Charles Millon : Jacques Chirac a les qualités d'un homme d'État. Il sait rester indifférent à l’impopularité exprimée dans les sondages. Il souhaite que la réforme du pays se poursuive. Dans ses relations avec les ministres, il garde une grande sérénité, mais, à juste titre, il appelle leur attention sur le fait qu'une réforme vaut autant par la qualité des mesures techniques que par l'écoute portée à ceux qui sont concernés.
L’Express : Les critiques portent d'ailleurs autant sur la forme que sur le fond !
Charles Millon : La forme et le fond sont étroitement liés. On en revient au problème de la technostructure. Pour réformer, il ne faut surtout pas faire des effets d'annonce, c'est-à-dire livrer la solution sans expliquer la méthode.
L’Express : Et que préconisez-vous ?
Charles Millon : L'effet de surprise à une efficacité négative. Surprendre l'opinion, c'est la vexer. Les gens ne veulent pas être mis devant le fait accompli. Il faut donc les rendre complices, ou au moins les impliquer. Cela n'a rien à voir avec le consensus, qui, comme le dit l'historien Michel Winock, est forcément mou. Prenez les lois de décentralisation, au début des années 80. Gaston Defferre a laissé durer le débat pendant des mois. Du coup, tous les Français se sont sentis concernés. Le sujet a imprégné le pays. Ce n'était plus une affaire de spécialistes. La réforme exige que les responsables prennent le temps de dialoguer, d'expliquer. Elle s'accommode mal des coups médiatiques.
L’Express : L’UDF réclame une gestion plus paritaire, moins bonapartiste. Qu'en pensez-vous ?
Charles Millon : Le problème n'est pas de savoir si la gestion est trop bonapartiste, le problème, c'est la réhabilitation du politique. Les Français ont été abreuvés de discours technocratiques, ils attendent aujourd'hui un discours politique. On ne doit pas se laisser enfermer dans la gestion du quotidien. La politique, c'est savoir écouter, négocier avec des acteurs sociaux, mais c'est surtout être capable d'exposer sa vision. Et nous devons tous le faire, chacun à notre niveau. Nous ne devons pas laisser le scepticisme s’installer. Quand nous parlons de la monnaie unique, il faut dire pourquoi nous voulons l'euro, expliquer que c'est un moyen au service de l'Europe et pas une fin en soi. Que cela permettra de bâtir un espace de progrès économique et social.
L’Express : Le gouvernement est-il impopulaire parce qu'il fait des réformes douloureuses ou parce qu'il donne l'impression d'être totalement ligoté et impuissant ?
Charles Millon : La non-popularité se transformera en impopularité durable si l'on hésite ou si l'on recule. Il est important de ne pas s'arrêter. À terme, les Français nous jugeront sur notre capacité à mener les réformes dont la France a besoin.
L’Express : Quels sont les domaines où, à votre avis, il faut une plus forte impulsion ?
Charles Millon : Le domaine le plus important pour l'avenir, c'est celui de la diffusion des responsabilités. D'abord sur le plan économique. Il semble qu'un très grand nombre de Français souhaitent créer une entreprise. Il faut donc accélérer le processus et prendre des mesures fortes pour favoriser la création d'entreprises. Deuxièmement, la diffusion des responsabilités politiques. Je suis un décentralisateur. Ce n'est pas parce que quelques élus ont failli, du fait d'un manque de contrôle, qu'il faut revenir en arrière. La décentralisation demeure essentielle. Il faut aller plus loin. C'est une nécessité. Il ne peut plus y avoir de réponse globale et uniforme à des problèmes de plus en plus complexes. Il faut raisonner par expérimentation et transférer davantage de moyens de gestion aux collectivités territoriales. Dans cette optique, je suis favorable à une limitation du cumul de mandats.
L’Express : Concrètement, dans votre domaine, comment procédez-vous ?
Charles Million : Dans un dossier comme les restructuration de l'armement, toutes les démonstrations de la terre ne suffiraient pas à convaincre tout le monde que la réforme est bonne et juste. Mais, en revanche, l'attention que je peux porter aux situations des personnes touchées renforce, sinon crédibilise, ma démarche. Pour la réforme de la défense, par exemple, j'ai vu plus de 8 000 personnels civils et militaires. Avant de mettre en œuvre la réforme de la Direction des chantiers navals, j'ai fait travailler 2 000 personnes dans des groupes de réflexion pour recueillir leurs suggestions.
L’Express : La ténacité, l'opiniâtreté du chef de l'État ne risquent-elles pas de passer pour de l'entêtement ?
Charles Millon : La plus grande des vertus en politique, c'est le courage. Le courage d'affronter une situation extrêmement difficile. Et le courage de supporter l’impopularité. Le Premier ministre l’a. Je suis sûr que les Français, au fond d’eux-mêmes, ont de l'admiration pour l'action menée et du respect pour ceux qui la conduisent. Ils aiment bien jouer et ils veulent voir comment le gouvernement fait face aux critiques, à l'ironie. Mais ils savent que les problèmes sont trop graves pour que tout se joue sur la dérision.
L’express : Les propositions socialistes ont été, semble-t-il, bien accueillies, et on parle de victoire de la gauche aux prochaines législatives…
Charles Millon : Mais les socialistes ne veulent pas gagner les élections. Et les Français le savent ! Le PS a repris les vieilles recettes, qui ont échoué. François Mitterrand disait : « Il faut d'abord réconcilier la gauche avant de conquérir le pays ». Ils en sont à la phase de la réconciliation.