Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "l'Express" du 30 janvier 1997, sur le terrorisme en Algérie et la non-ingérence de la France, intitulé : "A l'Algérie de résoudre ses problèmes".

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Média : Emission Forum RMC L'Express - L'Express

Texte intégral

L’Express : Le martyre des sept moines de Tibhirine et l’assassinat de l’évêque d’Oran vous ont bouleversé. Comment réagissez-vous aux massacres d’aujourd’hui ?

Hervé de Charette : Je ressens la même épouvante devant cette horreur, cette sauvagerie. Je suis révolté par ce spectacle tragique, ainsi que je l’avais été par tout ce que j’avais appris sur la mort des moines, lors de mon voyage en Algérie, en août 1996. Le peuple algérien montre un courage magnifique auquel je veux rendre hommage, comme je suis admiratif devant la dignité des 2 millions d’Algériens ou de Français d’origine algérienne qui vivent ici. J’éprouve aussi de l’inquiétude. Le terrorisme – que la France condamne de toutes ses fibres, et celui-ci en particulier – ne se cantonne pas dans un seul pays. Il peut traverser la Méditerranée. A ce terrorisme nous ne ferons aucune concession.

L’Express : Cette crainte explique-t-elle en partie le choquant silence gouvernemental ? Ou faut-il l’attribuer au soutien de fait qu’elle accorde au pouvoir algérien ?

Hervé de Charette  : Je trouve votre question particulièrement agressive et partisane. Que voulez-vous ? Que le gouvernement dise aux Algériens ce qu’ils ont à faire ? L’Algérie n’est pas la France, il faudra bien le comprendre et l’admettre une fois pour toutes. C’est une nation souveraine. A elle de régler ses problèmes, au peuple algérien de décider de son destin. J’ajoute que les différents responsables politiques algériens ne nous demandent pas d’intervenir. Quant à moi, je ne suis pas chargé du destin de l’Algérie, mais de la politique étrangère de la France et d’apporter ma contribution à la sécurité des Français. En d’autres termes, notre position peut se résumer ainsi : ni indifférence ni ingérence. Un dernier mot : chaque fois que l’Algérie aura besoin de la France, elle pourra compter sur son amitié. Chaque fois qu’elle accomplira des progrès vers la paix civile et la démocratie, nous serons là pour l’y encourager, mais tout dépendra – toujours – d’elle.

L’Express : Pas d’ingérence, dites-vous. Cependant, Jacques Chirac en avait fait, lui-même, en déclarant, avant l’élection présidentielle algérienne de 1995, que le soutien de la France à l’Algérie serait subordonné à une démocratisation du régime. Alors, pourquoi ce retournement ?

Hervé de Charette : La position de la France n’a pas changé. Nous avons avec l’Algérie des relations d’Etat à Etat. Des relations de partenaires que nous souhaitons sereines, cordiales, équilibrées et denses. J’ajoute que la France a constamment exprimé le souhait que l’Algérie s’engage dans la voie d’élections démocratiques. Nous nous sommes réjouis de l’élection présidentielle que la communauté internationale avait jugée équilibrée. Le président Zeroual a annoncé les élections législatives pour une date prochaine.

L’Express : Vous seriez donc opposé à un blocus économique ?

Hervé de Charette : Le président de la République l’a déclaré en décembre 1996 : rien ne serait pire que d’isoler l’Algérie et son peuple. Nos exportations vers ce pays atteindront 12 milliards de francs en 1996. C’est un montant en réduction par rapport à 1995, mais qui reste élevé.

L’Express : Aït Ahmed, patron du Front des forces socialistes (FFS), vient d’en appeler, pour sa part, à une conférence internationale…

Hervé de Charette : J’ai été profondément choqué par les propos d’Aït Ahmed quant à notre « écrasante responsabilité » dans le drame algérien. La France n’a aucune part dans le drame algérien ni de près ni de loin. En revanche, il lui arrive d’en subir les effets. Hélas ! c’est contre cela que j’entends nous protéger.

L’Express : Négocier avec les islamistes pour sortir de l’impasse, est-ce une attitude recevable ?

Hervé de Charette : Aux Algériens de décider, je le répète.

L’Express : Lors des élections législatives du printemps prochain, les islamistes dits modérés risquent de l’emporter. Ils partageraient alors le pouvoir avec une armée très puissante, détentrice de Scud. La France peut-elle l’accepter ?

Hervé de Charette : Vos propos sont étranges… Il y aura des législatives en Algérie. Nous nous en félicitons. Tout le reste relève de la fantaisie.

L’Express : Pourquoi ne soutenez-vous pas le camp des démocrates algériens qui défendent les mêmes valeurs que les nôtres ? Parce que la plupart sont kabyles ?

Hervé de Charette : Je ne crois pas que le gouvernement français doive intervenir dans les débats internes de l’Algérie, même si, naturellement, nous éprouvons de la sympathie pour tous ceux et toutes celles qui expriment, dans ce pays voisin et ami, des valeurs auxquelles nous sommes nous-mêmes attachés.