Texte intégral
En rejetant le plan Juppé, les médecins s'opposent à une étatisation rampante, dont les patients feront les frais.
Si le déficit de la Sécurité sociale dépasse cette année les 50 milliards de francs au lieu des 17 milliards annoncés par le gouvernement il y a quelques mois, c'est, entend-on, de la faute des médecins.
De l'aveu même des services du ministère des affaires sociales, cette erreur de prévision est imputable à la récession économique, et non à une dérive des dépenses de santé. Chaque chômeur de plus, c'est un cotisant en moins.
Le gouvernement préfère trouver des boucs-émissaires : les médecins jetteraient l'argent de la Sécurité sociale par les fenêtres. On les décrit comme des ordonnateurs de dépenses irresponsables.
Si les médecins sont en grève, c'est que le plan Juppé est doublement contestable.
Il est contestable dans la forme. Dès le départ, les médecins ont été mis hors-jeu. On ne les a pas consultés, ou si peu. Déjà touchés par la hausse des cotisations sociales qui leur est appliquée, ils sont à présent pénalisés dans leur rémunération. Quelle profession accepterait une réforme sans concertation ? Quelle profession accepterait aujourd'hui de voir ses revenus baisser ?
Il est aussi contestable sur le fond. Le gouvernement a fait le choix de l'étatisation de la santé et n'a pas hésité à porter atteinte au principe de la médecine libérale.
Le principe des quotas annuels empêchera les médecins de recevoir des patients dès lors qu'il y aura risque de dépassement. La liberté de prescription du médecin est, elle aussi, remise en cause, puisque ce n'est pas seulement l'intérêt médical qui devra guider la rédaction des ordonnances. Enfin, que dire du foisonnement des textes, de la multiplication des structures s'ajoutant à celles existantes, de la complexité des procédures ? Que dire de la disparition du paiement à l'acte, qui fera du patient un consommateur irresponsable ?
Et pourtant, une autre politique de la santé est possible. Il convient, avant de s'intéresser aux véritables causes du déficit de la Sécurité sociale, de mettre en oeuvre une autre politique économique, une autre politique familiale. Le déficit existe aujourd'hui parce que les gouvernements successifs ont échoué dans la lutte contre le chômage et la relance de l'économie.
Pour un partenariat
Le non-renouvellement des générations pèse et pèsera plus lourd dans l'avenir sur le déséquilibre du régime vieillesse. Sans véritable politique familiale. Il n'y a pas de solution durable.
Plutôt que de culpabiliser les médecins, il aurait été fortement préférable de les associer à la gestion du système de protection sociale. Un partenariat pouvait être mis en oeuvre avec les médecins. Il est aujourd'hui évident que les médecins, conscients des difficultés de la Sécurité sociale, auraient accepté une maîtrise des dépenses de santé fondée sur l'autodiscipline, avec un système de régulation préalablement négocié avec eux.
Enfin, d'importantes économies, qui ne pénalisent pas les patients, pouvaient être mises en oeuvre. D'abord, grâce à une meilleure gestion des caisses de la Sécurité sociale, comme l'a indiqué très clairement dans son rapport l'IGAS, et une solution moderne devrait nous conduire, comme en Allemagne, à instituer une concurrence entre les caisses.
En ce qui concerne l'hôpital public, il faut inverser la logique du budget global, qui déresponsabilise les médecins hospitaliers et qui constitue une cause majeure du déficit.
Il serait urgent d'accélérer le processus de complémentarité entre les établissements et les acteurs existants, en mettant en place, par exemple, des structures mixtes (hôpitaux-médecins libéraux) de médecine ambulatoire qui diminueraient le coût des séjours, des transports, et amélioreraient le confort des malades, en augmentant le nombre de places d'hospitalisation de jour et en supprimant le nombre de lits correspondants. Autant de pistes qui n'ont pas été exploitées.
Le système libéral de santé en France a fait preuve de son efficacité. En rejetant le plan Juppé, les médecins s'opposent à une étatisation rampante de la médecine, dont les patients, c'est-à-dire nous tous, feront les frais.