Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à RTL les 14 et 30 janvier 1997, sur la retraite à 55 ans, les fonds de pension et les stages diplômants, et sur les obsèques du leader syndical Abdelhak Benhamouda à Alger.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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RTL : mardi 14 janvier 1997

J.-M. Lefèbvre : En dépit de l'opposition dominante dans la classe politique, le débat semble bien relancé sur la retraite à 55 ans. Est-ce que vous comprenez ce débat et quelle est votre attitude ?

N. Notat : Je me demande si l'on ne ferait pas bien, dans ce pays, de supprimer peut-être les syndicats et de décider que les instituts de sondages sont désormais ceux qui sont susceptibles de faire émerger les revendications des salariés. Car à ma connaissance, aucune organisation n'a aujourd'hui revendiqué la retraite à 55 ans. Nous sommes dans un débat virtuel ! Nous sommes dans la fiction ! Il est vraiment temps que nous revenions les pieds sur terre.

J.-M. Lefèbvre : La conclusion du conflit des camionneurs – l'obtention de la retraite à 55 ans en décembre dernier – n'a pas été un élément-clé ?

N. Notat : Oui, mais on mélange tout, et on fait des énormes erreurs dans la manière dont on nomme les choses. Les routiers n'ont pas obtenu la retraite à 55 ans, ils ont obtenu une cessation d'activité à 55 ans ; mais ce ne sont pas les caisses de retraite qui paient leur allocation de 55 à 60 ans. Je dis que, pour les routiers, finalement, ils récupèrent en fin de carrière des heures supplémentaires qu'ils ont faites et qui ont été non payées, non récupérées, de manière abusive tout au long de leur carrière. C'est une mesure de justice sociale. Et il y a un autre secteur où, derrière ce conflit des routiers, la revendication a mûri : c'est celle des transports urbains.

J.-M. Lefèbvre : Il y a, à ce sujet quand même une revendication puisqu'il y a un appel de tous les syndicats dont, je crois la CFDT, sur te thème de la retraite à 55 ans, non ?

N. Notat : Sur le thème beaucoup plus large de la réduction de la durée du travail et d'une négociation qui doit s'ouvrir sur l'ensemble de ces sujets ! Dans les transports urbains, quand on prend le bus à Rouen, à Nice, à Calais, il y aujourd'hui des accords qui ont été faits entre employeurs et syndicats. Des accords qui s'appuient sur la loi de Robien, et qui concluent à une amélioration du service pour les usagers, qui prévoient la réduction de la durée du travail dont certaines formes peuvent se situer en fin de carrière - mais ce n'est pas la retraite ! – et des emplois supplémentaires. Savez-vous ce que répond le Gouvernement ? C'est très bien, ce que vous venez de faire, mais cette loi n'est pas applicable pour votre secteur. J'entends le Président de la République qui, encore récemment – il n'y a pas longtemps, aux vœux qu'il a formulés aux forces vives de la nation – nous a dit : « mais enfin dans ce pays, est-on obligé toujours de passer par le conflit ? Est-on obligé toujours de passer par l'affrontement ? Ne peut-on pas dialoguer ! Ne peut-on pas négocier ! » Mais je lui dis : Monsieur le Président, nous avons négocié, mais l'État aujourd'hui conduit le secteur des transports urbains au conflit, à l'affrontement ! La balle est dans le camp du Gouvernement. Qu'il dise que la loi de Robien s'applique dans ce secteur, et je puis vous dire que la nature de l'affrontement du conflit va changer.

J.-M. Lefèbvre : Quand la CGT demande une loi-cadre sur la retraite à 55 ans que répondez-vous ?

N. Notat : Je crois que la CGT est allée un petit vite. Peut-être avait-elle envie de se faire rapidement l'écho de revendications qu'elle croyait réelles chez les salariés.

J.-M. Lefèbvre : Pour vous, ce n'est pas une revendication réelle ?

N. Notat : Ce n'est pas une revendication réelle des salariés. Moi, si on me demande par l'intermédiaire d'un sondage, si je veux vivre en bonne santé et riche, je vous réponds : oui ! Et on peut faire un débat virtuel, on peut recommencer, créer un événement social autour de la question : comment vivre riche et bien portant ! On est dans ce cas de figure. Aujourd'hui je pense que les gens sont tentés de répondre oui à cette question parce qu'ils pensent que cela va être une réponse à l'emploi. Eh bien, malheureusement ce n'est pas une réponse à l'emploi. Les régimes de retraite ne seraient pas en capacité de financer cela, car pour le coup, cela ferait les beaux jours pour les fonds de pension et pour les assureurs si on allait dans cette direction-là ! En réduisant d'ailleurs à soixante ans la retraite, nous pensions que cette mesure aurait des conséquences sur l'emploi. Nous avons été obligés de constater que les entreprises ont laissé partir les gens en retraite à 60 ans, mais n'ont pas véritablement réembauché derrière. Donc aujourd'hui, toute mesure de réduction de la retraite ou de départ avant 60 ans, cela sert à quoi ? Pas à l'emploi mais à réduire les effectifs ! Regardez ce que demandent Peugeot, Renault ! À l'Unedic, nous avons créé, à certaines conditions, des départs anticipés – qui d'ailleurs ne sont toujours pas payés par les retraites –, avec des obligations d'embauche de jeunes. C'est une autre logique ! Et c'est une logique qu'il faut développer : à savoir la cessation progressive d'activité en fin de carrière.

J.-M. Lefèbvre : La bataille sur les fonds de pension, c'est en fait la bataille sur les retraites par répartition ou capitalisation. Quand L. Fabius dit que « les fonds de pension sont les fonds de démolition de la retraite ». Qu'en pensez-vous ?

N. Notat : Aujourd'hui la question n'est même pas de choisir l'un ou l'autre système parce que personne n'imagine sérieusement que l'on puisse se passer de la répartition. Mais c'est qu'aujourd'hui, le Gouvernement n'est pas crédible quand il dit que les fonds de pension ne vont pas grignoter le niveau des retraites obtenues par répartition. Pourquoi ? Depuis Bérégovoy, suivi de Balladur, les salariés du régime général n'ont plus 50 % de leur assiette de référence de garantie comme premier niveau de la retraite, ils n'ont déjà plus que 47 % – et ce, par une mesure technique insidieuse que je ne vais évidemment pas développer. Tous les ans ça descend un peu plus, si bien que, dans 10, 12, 15 ans, on atteindra 42 %, 41 %, 40 % du niveau de la retraite qui était de 50 % au démarrage. Donc on voit bien qu'avec ou sans fonds de pension il y a un problème immédiat qui est de stopper la dégradation du niveau qu'assure le régime général, le premier étage, avant les régimes complémentaires sur la répartition.

J.-M. Lefèbvre : Les stages diplômants verront-ils le jour ?

N. Notat : Là encore, quel joli feuilleton ! Les stages diplômants, je trouve d'ailleurs que ce sont deux mots qui ne vont vraiment pas ensemble ! Ou bien on est en stage, ou bien on prépare un diplôme, mais cela ne va pas ensemble. Alors, nous, nous disons deux choses : il y a des jeunes aujourd'hui qui ont besoin, dans leur cursus scolaire universitaire de faire des stages en entreprise, parce que cela fait partie d'une obligation de leur formation initiale. Alors si le CNPF se bouge un peu et qu'il assure pour tous ces jeunes des stages de qualité, bravo ! Mais s'il imagine qu'il va s'en sortir avec cette seule proposition par rapport à ce que doit être son engagement collectif beaucoup plus important pour accueillir des jeunes ! Nous, nous disons 400 000 jeunes cette année, par de l'accès direct à l'embauche, car il est possible, il doit être possible d'embaucher des jeunes directement aujourd'hui, ou en augmentant sérieusement les contrats de formation en alternance qui sont des contrats qui permettent l'acquisition d'une qualification sous contrat de travail. Voilà ce que nous attendons du CNPF.


RTL : jeudi 30 janvier 1997

RTL : D'Alger, après les obsèques du responsable de la centrale syndicale UGTA.

N. Notat : Ce que j'ai vu ce matin, pendant les obsèques, c'est une foule immense, faite de tout le peuple algérien, les gens les plus âgés, les plus jeunes, des gens habillés de façon très traditionnelle comme de façon t ès moderne, des gens qui, je crois, représentaient toutes les couches de la population et j'ai eu le sentiment qu'étaient là des gens debout, des gens qui refusaient cette violence qui avait été faite à un homme qui incarnait un espoir par rapport à l'avenir, par rapport à la démocratie, à la démocratie vraie, authentique. Je crois que cet homme laisse un vide énorme, mais que c'est vrai qu'il ne faut pas mettre ces gens en quarantaine. Peut-être que la mort de cet homme aura permis à plusieurs pays, en dehors de l'Algérie, de savoir qu'effectivement il existe une force authentique dans ce pays qui avait un leader qui était devenu charismatique. Il refusait les petites luttes de petite politique, il voulait vraiment rassembler le plus largement, mais rassembler dans la clarté, rassembler sans aller sur le terrain de la violence, en résistant bien sûr au terrorisme qu'il fuyait de toutes ses forces. Il faisait tout cela avec une grande sérénité. Je peux vous dire que ce que j'ai vu ce matin me permet de penser qu'il y a des forces de progrès en Algérie qui aspirent à continuer son combat aujourd'hui.