Interview de M. Patrick Devedjian, porte-parole du RPR, à RMC le 6 décembre 1999, sur l'attitude du RPF dans l'élection législative partielle de la 21e circonscription de Paris, la nouvelle image du RPR après l'élection de Michèle Alliot-Marie à la présidence et sur le refus du RPR de voter le texte sur la réforme de la justice.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Philippe Lapousterle : L'élection hier Paris dans le XXe arrondissement : M Charzat, candidat du Parti socialiste, l'a emporté. Votre camp était dans cette affaire désuni. Est-ce que la position du RPF, du parti de M Pasqua, qui a refusé de soutenir au deuxième tour le candidat dit d'union, est responsable de l'échec ?

Patrick Devedjian : Il l'est en partie. Je ne veux pas dire qu'il en soit le seul responsable mais il l’est en partie quand même, dans la mesure où il avait refusé d'appeler à voter contre la gauche pour D. Bariani. Et puis, y a aussi la mauvaise image de Paris.

Philippe Lapousterle : Le RPR n'a pas soutenu non plus M. Bariani.

Patrick Devedjian : Si, si, le RPR a soutenu très activement M. Bariani. Très activement bien sûr ! C'était notre candidat. Il n'y a aucun doute à cela. En revanche, j’espère que cette attitude du RPF ne pourra pas durer. J'ai vu que ça donnait lieu à un débat à l'intérieur. J'espère qu’il penchera du côté de la raison. Cette attitude du RPF a été possible parce que le RPF n'avait pas d'autre candidat engagé dans une compétition par ailleurs. C'était un coup pour rien. Mais lorsqu'il y aura des élections générales, le RPF aura des candidats partout. Je ne doute pas que, voulant bénéficier de la réciprocité, devienne plus raisonnable.

Philippe Lapousterle : Donc, vous n'imaginez pas que ça devienne un parti qui vous soit hostile dans les campagnes électorales à venir ?

Patrick Devedjian : Il se condamnerait à disparaître parce que, à ce moment-là, n'être ni à droite, ni à gauche, c'est être nulle part. S'il continue à avoir cette ligne, c'est ce qui le menace.

Philippe Lapousterle : Vous avez entendu M Hollande dire hier que la victoire de M Charzat était le début d'une longue marche qui devait mener à la victoire à Paris.

Patrick Devedjian : Oui, j'ai entendu les espoirs de la gauche. Eh bien, ça doit nous convaincre, nous, de nous mobiliser, surtout de nous rénover à Paris.

Philippe Lapousterle : C'est possible ?

Patrick Devedjian : Mais bien sûr ! Je pense qu'avec la nouvelle direction du RPR c’est l'objectif numéro un.

Philippe Lapousterle : Pendant votre campagne, vous aviez dit qu'il fallait absolument régler le problème Tiberi. Vous pensez que c'est une urgence et ce qu'à dit Mme Alliot-Marie - que tout soit bien pesé dans cette affaire - vous convient ? La méthode ?

Patrick Devedjian : Moi, j'avais une méthode, que je conserve, qui est de faire appel aux adhérents et de leur demander de se prononcer sur la future tête de liste. Ce que je souhaite en tous les cas, c'est qu'on en sorte très rapidement. Je crois que Mme Alliot-Marie en est convaincue.

Philippe Lapousterle : L’élection de Mme Alliot-Marie : est-ce que vous pensez que son élection va changer quelque chose dans le parti ?

Patrick Devedjian : Oui, bien sûr ! Elle va donner une dynamique. D'abord, c'est une image de modernité du RPR. On sait toujours plu à le dépeindre - vous-même, d’ailleurs, j'ai entendu ça ce matin - comme un parti machiste.

Philippe Lapousterle : Vous n'allez pas contester ça quand même ?

Patrick Devedjian : Si, je vais le contester !

Philippe Lapousterle : Il y avait des réflexions, c'est une vieille habitude.

Patrick Devedjian : Non, non, ce n'est pas vrai ! Non, je le conteste. C'est le général de Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes ! Nous avons, au contraire, depuis longtemps une tradition d'émancipation de la femme. Et ça n'est sans doute pas un hasard, nous sommes le premier grand parti politique à être dirigé par une femme et avec un vrai mouvement venu de la base, un vrai choix de nos adhérents

Philippe Lapousterle : Ça change quoi alors ? « Modernité » vous avez dit.

Patrick Devedjian : Oui, je crois, modernisation, dynamique à l’évidence, et je crois une possibilité de renouer avec la victoire. Je crois qu'en tout cas que Mme Alliot-Marie est porteuse d'espoir.

Philippe Lapousterle : Ce n'est pas ce que vous disiez pendant la campagne ?

Patrick Devedjian : Non. Bien sûr, j'ai été son concurrent pendant la campagne.

Philippe Lapousterle : Je me souviens de vous disant qu'elle n'avait pas de projet.

Patrick Devedjian : C'est tout à fait vrai. J’ai été son concurrent au premier tour. Et je regarde le résultat. Moi, j'aurais préféré faire un meilleur succès. Mais je regarde ce qu'elle a fait et je lui rends hommage. Elle a fait presque 63 % au deuxième tour. Elle a su mobiliser autour d'elle. Et je crois qu'elle est en train de réussir. Eh bien, je suis très heureux pour le RPR et je veux l’aider à cela.

Philippe Lapousterle : Vous participerez à la direction du parti ?

Patrick Devedjian : Sans doute, oui.

Philippe Lapousterle : Je voudrais vous poser une question vis-à-vis du Président de la République. On sait que Mme Alliot-Marie n’était pas la favorite du Président de la République dans cette bataille, au moins au début. Est-ce qu’il y a un coup politique pour le Président de la République ? Est-ce qu'il y a une émancipation à votre avis des militants du RPR vis-à-vis des opinions et des choix du Président de la République ?

Patrick Devedjian : Je crois qu'il y a surtout l'apparition d'une évidence : le RPR est dans une autre logique que celle de la cohabitation. Le Président de la République est tenu par les exigences de la cohabitation, son devoir est de permettre aux socialistes de gouverner, de faire la politique pour laquelle ils ont été élus par un bon fonctionnement des institutions. Le devoir du RPR - et ses parlementaires ont été élus pour ça - c'est de s'opposer au gouvernement socialiste. Ce n'est donc pas du tout la même logique. Ça n'empêche pas des rapports de confiance, au contraire, entre le Président de la République et la direction du RPR. Mais chacun a une mission différente.

Philippe Lapousterle : Ce n’est pas générateur de conflits ce que vous venez de dire là ?

Patrick Devedjian : Non, je ne crois pas. Ça suppose un rééquilibrage, des ajustements…

Philippe Lapousterle : Des ajustements difficiles.

Patrick Devedjian : Pas difficiles, non.

Philippe Lapousterle : Mais M. Séguin y avait échoué.

Patrick Devedjian : Oui, parce qu’il avait été incapable, de mon point de vue, d'instaurer un climat de confiance entre la direction du RPR et l'Élysée. C'est-à-dire que nous, nous avons le plus grand respect pour le Président de la République, nous soutiendrons sa prochaine candidature aux prochaines élections présidentielles. Et mieux encore, nous sommes d'accord pour relayer sa parole quand elle est l'expression de l'homme politique et non pas du Président de République, gardien des institutions. Quand l’homme politique s'exprime, nous sommes en accord total avec lui. Ce n'était pas le cas de l'ancienne direction du RPR.

Philippe Lapousterle : Mme Alliot-Marie a dit que son pire ennemi était M. Jospin. Ce 'est pas une maladresse ?

Patrick Devedjian : Oui, oh, C'est un propos de campagne. Il ne faut pas y attacher trop d'importance.

Philippe Lapousterle : À partir d'aujourd'hui, le RPR va être l'élément le plus dynamique de l'opposition, engagé le plus fortement contre le gouvernement socialiste ?

Patrick Devedjian : Le RPR va retrouver sa place naturelle. On croyait qu'il allait disparaître. Eh bien, vous le voyez, pour faire disparaître les gaullistes, il en faut un peu plus.

Philippe Lapousterle : Pour profiter du juriste que vous êtes, est-ce que le projet de Mme Guigou, du Gouvernement Jospin, concernant la réforme de la justice, a des chances de passer au congrès le 24 janvier prochain ?

Patrick Devedjian : Je ne crois pas, parce que c'est un projet qui est confus et contradictoire. Ce n'est pas un bon projet. Est-ce que c'est un projet qui assure davantage d'indépendance des magistrats ? Non. Tout le discours sur la mobilité est en réalité un discours sur davantage de mainmise sur les magistrats du siège cette fois-ci. C'est beaucoup plus grave que ceux du Parquet.

Philippe Lapousterle : C'est-à-dire que le tourniquet est une dépendance supplémentaire ?

Patrick Devedjian : Le tourniquet est une vraie dépendance puisque, à l'issue des cinq ans, la question qui se pose, c'est : à quel poste va-t-on être nommé ? Comme le Gouvernement garde la haute main sur la procédure, eh bien il faudra avoir été bien gentil pendant les cinq ans pour pouvoir bénéficier d'un poste intéressant.

Philippe Lapousterle : Et le fait d'être nommé par ses pairs, le CSM, et des personnalités indépendantes ? Vous l'aviez voté, ce projet. Le RPR l'a voté ce projet !

Patrick Devedjian : Le Conseil supérieur de la magistrature a un droit de veto. Il peut empêcher que soit nommé quelqu'un qui bénéficierait d'un passe-droit. Mais parmi les gens qui sont utilement proposables, il y a le choix. Et ce choix, c'est le Gouvernement qui le fait et il le fera en faveur de ceux qui se seront montrés dociles pendant les cinq années à leur place. Et donc, c'est un projet qui met très sérieusement en cause l'indépendance des magistrats du siège. On parle de l’accusation. Là, moi, je parle du juge impartial qui va se retrouver sous domination. C'est donc très grave.

Philippe Lapousterle : Donc, le nouveau RPR depuis ce matin va voter contre le projet que l'ancien RPR d'il y a quelques mois avait voté ?

Patrick Devedjian : Mais écoutez, le projet du Gouvernement, tous les jours, on nous en rajoute une tranche supplémentaire et toujours d'ailleurs dans la plus grande imprécision, dans la plus grande contradiction et dans la plus grande confusion. Je pense que, si ce Gouvernement était raisonnable, il demanderait le report du congrès qu'il a lui-même sollicité et il mettrait à plat toutes ces propositions pour qu'on puisse en débattre et qu'on puisse arriver à quelque chose de précis. Parce que là,  bientôt une chatte n'y retrouvera plus ses petits.