Interview de M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Le Provençal" le 4 février 1997, sur les programmes d'aide communautaire dans la région PACA et sur le choix de l'Europe communauté de nations plutôt que du modèle fédéral.

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Circonstance : Forum régional dans le Vaucluse et la région Provence Alpes Côte d'Azur dans le cadre du "Dialogue national pour l'Europe" le 4 février 1997

Média : LE PROVENCAL - Presse régionale

Texte intégral

Le Provençal : Aux adversaires de l’Europe, que dites-vous pour les convertir à cette grande idée ?

Michel Barnier : D’abord, d’exprimer leurs questions et leurs doutes ! Il n’y a pas de débat interdit : au contraire, il est indispensable de parler de l’Europe, car elle est là, elle se construit maintenant, et nous sommes dedans. C’est le sens du « dialogue national pour l’Europe ».

À tous ceux qui s’interrogent, il faut poser une simple question : quels sont les moyens qui permettent à la France d’exister dans ce monde qui s’est ouvert d’un coup et qui va continuer à s’ouvrir ? Est-ce en se recroquevillant sur elle-même ou bien en décidant de réunir ses forces avec celles de ses partenaires européens pour faire face ensemble aux mêmes défis ?

Prenez l’exemple de la monnaie : isolées, leurs parités flottant au gré des décisions des marchés financiers, les monnaies nationales des pays de l’Union européenne sont ballottées. À terme, c’est alors la monnaie jugée la plus solide – aujourd’hui, le mark allemand – qui s’imposerait à tous. En revanche, en fondant nos monnaies respectives dans une monnaie unique, puisque nous vivons maintenant dans un marché unique, nous récupérerons ensemble la stabilité et la solidité monétaires qu’en pratique nous ne possédons plus en étant divisés.

Les gens qui ont peur de la construction européenne doivent dépasser leurs appréhensions et se rendre compte qu’au contraire l’Europe apporte une réponse et même une sécurité face aux risques de la mondialisation des échanges de l’argent, de l’information, des techniques.

Le Provençal : Concrètement, l’Europe apporte quoi au Vaucluse, à la région PACA ?

Michel Barnier : Les programmes d’aides communautaires ont déjà contribué à la réalisation d’actions en région PACA pour un montant de plus de 1,3 milliard de francs entre 1989 et 1993. Aujourd’hui, une seconde génération de programmes est mise en œuvre pour la période 1994-1999 : durant cette période, les investissements européens en PACA représentent un milliard et demi de francs. C’est donc un effort financier important et soutenu.

L’intérêt des programmes communautaires est double : d’une part, ils viennent souvent en appui des initiatives de l’État, de la région et des collectivités territoriales ou des associations, au travers de cofinancements : d’autre part, ils sont ciblés, et soutiennent des projets très concrets. Ici, en PACA, tel programme bénéficie aux quartiers difficiles, tel fond structurel combat les conséquences du déclin industriel, tels autres soutiennent les reconversions dans le secteur de la pêche, de la défense, etc. L’action de l’Union européenne vient donc en renfort des efforts déployés par les pouvoirs publics, avec des objectifs bien définis.

L’Union européenne a ainsi participé à de nombreux chantiers dans la région : réalisation de l’autoroute Manosque-Sisteron, mise en place d’équipements de tourisme près des domaines skiables des Hautes-Alpes, travaux forestiers dans les Alpes-Maritimes et le Var, intervention sur les eaux en Camargue, alimentation en eau de la vallée du Cavalon, ce ne sont pas les exemples qui manquent. Je constate, par ailleurs, l’intérêt des Provençaux pour ce qui concerne l’Europe, si j’en juge par le dynamisme des « Maisons de l’Europe ».

Le Provençal : Les Français vous semblent-ils mûrs pour se fondre dans une Europe plus politique, plus fédérale, de véritables États-Unis d’Europe ?

Michel Barnier : Le concept « d’États-Unis d’Europe » – employé dès 1849 par Victor Hugo, le premier ! – pouvait sembler séduisant, parce qu’il donne l’illusion qu’on peut comparer les États-Unis d’Amérique et l’Europe qui se construit. Mais, depuis 1957, avec le traité de Rome, nous n’avons pas choisi cette voie d’une Europe fédérale, mais celle d’une Communauté de nations. Au sein de l’Union européenne, toutes les décisions importantes sont prises non par une autorité supranationale, mais par les représentants des États : c’est le président de la République, lors des « sommets » européens, ce sont les ministres, dans chacun des conseils auxquels ils participent. Mais nous arrivons à un moment de vérité.

Si les Français et les autres Européens, dans leur très grande majorité, ne veulent pas d’une Europe fédérale, ils souhaitent que la construction européenne devienne plus politique et plus sociale : qu’elle permette de lutter plus efficacement contre le chômage, qu’elle préserve la qualité de vie et notre modèle social, qu’elle assure vraiment la paix et la stabilité sur notre continent. Les Français ne veulent pas d’une Europe qui serait simplement un grand supermarché. Tous les efforts du président de la République vont dans le sens de cette nouvelle étape politique et humaniste de la construction européenne.