Déclaration de M. Georges Sarre, président délégué du Mouvement des citoyens, sur le projet de budget de la recherche pour 2000, notamment l'abandon par la France du projet de synchrotron Soleil, à l'Assemblée nationale le 2 novembre 1999.

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Intervenant(s) : 
  • Georges Sarre - président délégué du Mouvement des citoyens

Circonstance : Débat sur le projet de budget civil de la recherche et du développement technologique à l'Assemblée nationale le 2 novembre 1999

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mes chers collègues,


Le Budget civil de la recherche et du développement technologique tel qu'il nous est soumis, préoccupe les députés du Mouvement des Citoyens.

L'un des axes principaux de votre projet de budget consiste à en réorganiser la structure interne. Vous avez plusieurs fois, M. le ministre, déploré la part trop importante des très grands équipements dans le budget de la recherche.

C'est ce constat qui justifie selon vous l'abandon du projet de synchrotron SOLEIL dont l'origine remonte à 1989. La France n'aurait pas les moyens de le financer seul.  Vous avez donc annoncé en plein mois d'août dernier la participation de la France à la construction sur le sol britannique d'un synchrotron de troisième génération. Notre conviction est que les besoins de la recherche française nécessitent la construction de cette machine sur notre sol. Par conséquent, ce sont tous les éléments de votre argumentation que je vais m'employer à réfuter, l'un après l'autre.

Premier point : comme je l'ai dit, vous incriminez, M. le ministre, la part excessive prise par les grands instruments au détriment du fonctionnement au jour le jour des laboratoires. Tout d'abord, il faut rejeter l'amalgame entre des équipements qui n'ont rien à voir entre eux. Il n'est pas possible de ranger dans la même catégorie les vols spatiaux, ou un détecteur d'ondes gravitationnelles comme Vigro, et d'autres équipements aux applications directes comme le synchrotron. Ensuite, si le but est de redéployer des crédits en direction des laboratoires, il y a dans votre pratique une contradiction manifeste. Avec le Fonds de la Recherche Technologique et le Fonds National de la Science, vous avez constitué des cagnottes, pour centraliser la distribution des crédits, et les distribuer de manière sélective. Enfin vous semblez oublier que les utilisateurs du synchrotron viennent des laboratoires. Il est parfaitement vain d'opposer les deux catégories d'équipement.

Deuxième point clé : la question des besoins en « ligne de lumière » pour les expériences. Vous prétendez que rien ne prouve que nous manquerons de temps de synchrotron pour réaliser des expériences. Tout indique le contraire : les besoins estimés à vingt ans pour les équipes françaises correspondent à une croissance de 120 % par rapport à ce que fournit aujourd'hui le LURE, à Orsay. Concernant les machines dites de « troisième génération », les plus récentes, les stations expérimentales sur des sections droites sont les plus convoitées. Pour certaines catégories de rayons X, la pénurie menace dans ce domaine. Vous avez déclaré, M. le ministre, qu'avec deux synchrotrons sur le sol français, nous pourrions faire face aux besoins. Vous savez pourtant que le LURE d'Orsay est un vieil équipement de deuxième génération dont certains éléments menacent de tomber en panne. Au lieu de le remplacer, vous proposez de le prolonger. Quant au « plus bel équipement du monde » pour reprendre vos termes, je veux parler du synchrotron ESRG situé à Grenoble, c'est un instrument cofinancé par plusieurs pays. La part de la France y est saturée. La jouissance d'un tiers du potentiel de la machine Diamond que vous avancez comme solution de rechange ne suffira pas à maintenir la capacité d'expérience des équipes françaises. Celle-ci passe par un nouvel équipement d'au moins 24 lignes. Notre pays court le risque de voir la compétitivité de sa recherche se dégrader.

Troisième point : vous affirmer que le coût du projet SOLEIL serait prohibitif par rapport aux priorités du ministère. La solution de rechange franco-britannique Diamond libérerait des capacités de financement. D'une part le projet Diamond avec rénovation du LURE crée 14 lignes, SOLEIL en crée 24. Si l'on tient compte dans les coûts du projet SOLEIL du retour vers le Trésor public et les régimes sociaux du fait des emplois créés en France, le coût d'une heure par instrument est deux fois moins élevé pour SOLEIL. En plus, il faudra louer des lignes complémentaires sur d'autres machines en Europe. D'autre part, en ce qui concerne l'équilibre interne du budget, il faut comparer ce qui est comparable. Votre méthode de calcul consiste à comparer le coût consolidé de SOLEIL évalué à deux milliards avec d'autres données comme l'ensemble des dépenses Université-Recherche, à des fins d'affichage. Opposer le plan social étudiant au synchrotron, c'est pourtant mélanger deux lignes budgétaires radicalement différentes.

Quatrième point : SOLEIL serait un équipement insuffisamment européen. Mais une ouverture de SOLEIL à des participations étrangères, par exemple vers l'Espagne ou la Belgique, est envisageable. Une optimisation en fonction des besoins et en liaison avec les autres machines européennes est en mesure de remplir les objectifs scientifiques désirés, ce qui est le principal. Cet instrument est un facteur de rayonnement pour la France, pas de repli.

Le seul point qui ne soit pas vraiment en discussion, c'est l'utilité du rayonnement synchrotron en lui-même. Chimie, biologie, physique, technologies de l'infiniment petit : tous ces domaines font aujourd'hui l'objet d'une compétition mondiale. C'est pourquoi logiquement depuis dix ans, tous les rapports commandés sont favorables. Le seul rapport négatif, réalisé par un certain Monsieur Clavin, est resté secret. Il est vrai qu'il valait peut-être mieux ne pas le rendre public, puisque Monsieur Petroff, actuel directeur du synchrotron européen ESRF l'a jugé « bâclé, imprécis, en grande partie faux ». Vous connaissez bien d'ailleurs le scepticisme de la communauté scientifique française quant à votre façon de prendre des décisions. Notre prix Nobel de physique le plus récent, Claude Cohen-Tannoudji ne vient-il pas d'annoncer sa décision de démissionner du Conseil national de la science après avoir constaté qu'il était impossible de faire entendre une voix divergente concernant le synchrotron ?

Son caractère indispensable, son coût relatif, l'avenir de la recherche française, amènent le Mouvement des Citoyens à demander la réalisation de SOLEIL. À défaut ses députés ne voteront pas les crédits du budget de la recherche.