Article de M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Le Figaro" du 16 mai 1997, sur le programme européen de la gauche, notamment le passage à la monnaie unique, intitulé "Europe : quatre questions à Lionel Jospin".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Sur l’Europe, les formations de gauche sont profondément divisées.

La gauche est une force d’opposition ; pour la construction européenne, elle n’est pas une alternative.

Voici la campagne désormais bel et bien lancée. Un enjeu de société se dégage clairement. Au cœur de cet enjeu se trouve l’Europe.

Sur ce sujet, les formations de gauche, qui aspirent à gouverner ensemble le pays, sont profondément divisées. Les explications embarrassées de Lionel Jospin, notamment sur le passage à la monnaie unique, n’ont jusqu’à maintenant jeté aucune lumière sur le « programme » européen de la gauche, réduit à des déclarations d’intentions.

Pour clarifier un peu les choses, il suffirait que Lionel Jospin réponde clairement à quatre questions :

1) Oui ou non, les socialistes veulent-ils que la France entre dans la monnaie unique à la date prévue, le 1er janvier 1999, comme c’est son intérêt ? On est en droit de poser la question : les dirigeants socialistes de 1992 ont négocié le traité de Maastricht, ont fixé les critères de convergence, et voilà que le Parti socialiste découvre sans cesse de nouvelles « conditions » !

Ainsi, la participation de la France devrait-elle dépendre de celle de l’Italie ? Chacun souhaite ici que l’Italie puisse respecter les critères. Mais, si les critères existent, c’est précisément pour que l’entrée dans l’euro ne suscite aucune contestation dont l’effet serait désastreux sur la crédibilité de la nouvelle monnaie unique !

D’autres conditions sont tout bonnement absurdes : ainsi celle que l’euro ne soit pas trop « fort » face au dollar. Louable intention ! Mais qui « ne peut être qu’un souhait », comme le concède Jacques Delors : simplement parce qu’aujourd’hui une parité ne se décrète pas.

Europe « sociale » ou « socialiste » ?

Alors, pourquoi faire des « conditions » nouvelles ? Parce que la vraie condition, qui s’impose aux socialistes dans leur volonté soudaine de « changer l’Europe », c’est que M. Hue soit d’accord… Otage des voix communistes, Lionel Jospin n’a donc, électoralement, pas d’autre choix que cette surenchère démagogique sur fond de « conditions », sans cesse changeantes, à la réalisation de la monnaie unique.

2) Oui ou non, M. Jospin veut-il vraiment faire l’Europe sociale ? Certes, pour paraphraser Raymond Queneau, l’Europe sociale, les socialistes en parlent, en parlent, mais c’est tout ce qu’ils savent faire. Ce sont eux qui ont laissé le protocole social en annexe du traité de Maastricht, et c’est en 1997 que ce texte essentiel sera intégré dans le traité, comme l’a souhaité Jacques Chirac.

De même, pour nos services publics : le gouvernement de Michel Rocard avait capitulé en rase campagne à leur sujet. S’ils sont maintenant reconnus, c’est dû au travail de fond dirigé par Alain Juppé. Directive par directive, secteur par secteur, nous avons dû batailler pour obtenir de nos partenaires les garanties indispensables pour les citoyens et les entreprises de service public. Et c’est encore Jacques Chirac qui veut obtenir, dans le traité d’Amsterdam, la garantie pour les citoyens des services publics essentiels. Oui, l’Europe sociale est en marche, mais c’est nous qui la faisons avancer ! Prisonnier de leurs schémas archaïques, Lionel Jospin et ses amis la confondent avec une Europe socialiste.

3) Oui ou non, M. Jospin dénie-t-il le droit aux démocraties d’Europe centrale et orientale d’entrer dans l’Union européenne dès qu’elles y seront préparées ? Pour Laurent Fabius, c’est une « folie ».

Les socialistes voient un risque là où nous voyons une chance pour la France, et un devoir : du temps de l’oppression communiste, nous avons promis aux Européens de l’Est de les accueillir dès qu’ils retrouveraient la démocratie. Les socialistes, qui semblent n’avoir toujours pas tiré les conséquences de la chute du Mur de Berlin, préféreraient-ils construire une Europe des beaux quartiers pour les Quinze, et une Europe de seconde zone pour les autres ? Autant rebâtir le Mur !

4) Oui ou non, M. Jospin est-il attaché au couple franco-allemand ? Et veut-il faire l’Europe uniquement avec des socialistes, comme le souhaite ouvertement M. Rocard ? Sans les Allemands, sans les Espagnols ? Pas de jour, en tout cas, sans qu’un dirigeant socialiste n’affiche sa volonté de « rediscuter avec les Allemands », ne persifle sur un diktat monétaire dont ils seraient les auteurs. Vaine et mauvaise querelle. Il y a, derrière cette volonté subite de tout « remettre à plat » avec nos plus proches alliés, un mobile évident : otage de l’obsession allemande de Jean-Pierre Chevènement et de ses amis, Lionel Jospin est contraint de flatter leurs préjugés.

On ne place pas la France dans le peloton de tête de l’Europe avec des hésitations et des soupçons comme seule feuille de route.

Entre socialistes et communistes, il y a plus de critères de divergence que d’accord sur l’essentiel. La gauche est une force d’opposition : pour la construction de l’Europe de demain, elle n’est pas une alternative.