Interview de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, à France 2 le 12 novembre 1999, sur la situation en Tchéthénie, le refus français d'importer du boeuf britannique, l'OMC, la situation économique en France et la démission de Dominique Strauss-Kahn.

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Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

Texte intégral

Françoise Laborde : Bonjour. Avec Laurent Fabius ce matin nous allons évoquer la situation économique du pays, évidemment la question de la vache folle, mais d'abord, monsieur le Président j'aimerai vous poser une question en ce qui concerne la situation en Tchétchénie : on vient de fêter la fin du Mur de Berlin, on a une situation extrêmement dramatique dans le Caucase qui est à nos portes et on a le sentiment d'une grande impuissance des pays occidentaux face à cette situation.

Laurent Fabius : Oui, en Tchétchénie, j'ai l'impression que les pays occidentaux se sont laissés un peu abusés par les Russes. Les Russes nous ont expliqué au début qu'ils étaient obligés d'intervenir en Tchétchénie parce qu'il y avait des attentats, il y avait un aspect fondamentaliste et finalement les pays occidentaux, en particulier la France ont été assez discrets. Mais maintenant, il s'agit manifestement d'autre chose donc je dis clairement : il faut arrêter les massacres, la solution ne peut être que politique…

Françoise Laborde : Et comment ?

Laurent Fabius : Eh bien en faisant une pression très forte. Bon, alors, la Russie, dans ses dernières déclarations est en train de montrer les dents mais il n'y a pas de raisons de tolérer dans un pays, quelle que soit sa puissance, des exactions, des massacres, des crimes que l'on ne tolère nulle part, donc il faut le dire clairement, ce que je fais.

Françoise Laborde : Et vous préconisez quoi au-delà de le dire clairement ?

Laurent Fabius : Il va y avoir par exemple à Istanbul prochainement, une réunion de l'OSCE, il y a différents canaux pour exercer les pressions, il faut dire tout simplement ce que l'on pense et redire que les massacres là-bas comme partout sont inacceptables et donc il faut se mettre à une table, pour discuter, pour négocier.

Françoise Laborde : Alors, dans cette partie-ci de l'Europe, les préoccupations heureusement sont moins réelles même s'il y a de la tension, mais sur un tout autre dossier, c'est entre la France et la Grande Bretagne sur la vache folle. D'abord, est-ce que vous en tant qu'élu, puisque vous êtes d'une région… ?

Laurent Fabius : Mais je n'ai pas de vache folle dans mon coin parce que j'ai surtout des usines mais cela dit c'est un problème important, très important, mais je me pose la question, tout le monde se la pose aujourd'hui : comme on va s'en sortir avec cette histoire qui est un peu, sans mauvais jeu de mots, une histoire de fous, c'est-à-dire qu'il y a des scientifiques qui disent quelque chose au niveau européen et puis d'autres scientifiques au niveau français qui disent autre chose. Je dis en passant d'ailleurs que l'on aurait pu y penser lorsque l'on à créer l'Agence Française de Sécurité Sanitaire, on pouvait imaginer qu'il y aurait peut-être des controverses, des différends, entre ce que l'on estimait en France et ce qui se passait au niveau européen. Alors, on a jusqu'à mardi, mercredi, pour trouver une solution, j'espère que l'on va le faire. Évidemment, je comprends les autorités françaises qui ont un avis des scientifiques disant : « Les précaution ne sont pas respectées. », mais on a aussi des réglementations européennes, donc j'espère que d'ici mardi ou mercredi on va être capable de trouver une solution.

Françoise Laborde : ça n'augure pas bien, si je puis dire, de la suite parce que l'on va avoir en plus des négociations avec les Américains bientôt, sur le plan commercial, avec un volet agricole qui sera important...
 
Laurent Fabius : C'est autre chose parce que là-dessus…

Françoise Laborde : Oui mais le fait que les Européens se disputent entre eux juste avant des échanges aussi importants…

Laurent Fabius : Oui mais sur l'OMC, puisque vous faites allusion à la négociation de Seattle, les Européens sont unis et heureusement parce que s'ils y allaient en ordre dispersé ils ne pourraient rien du tout obtenir. Bon, ça ne vas pas être facile là non plus à se mettre d'accord avec les autres, mais je pense qu'il tenir bon, sur le plan de l'agriculture, sur le plan de la culture et puis parce qu'il y a la présidence américaine, l'élection présidentielle américaine, nous, nous avons du temps, et puis il deux conceptions de la mondialisation, il y a la mondialisation à l'américaine, c'est-à-dire tout le monde uniforme, on prend en considération seulement les aspects financiers et puis la mondialisation à l'européenne qui accepte la diversité, qui dit : il faut tenir compte de l'environnement, il faut tenir compte des éléments sociaux, de l'homme, de la personne humaine, et donc ce sont ces deux conceptions qui vont être face à face sans oublier évidemment les intérêts des pays en développement, donc je prévois une discussion longue.

Françoise Laborde : Est-ce qu'aujourd'hui la situation économique et sociale de la France permet d'être plus solide face à ça ?

Laurent Fabius : La situation macro-économique est très bonne, les chiffres que l'on a au niveau macro-économique sont excellents…

Françoise Laborde : Le chômage diminue…

Laurent Fabius : Le chômage qui diminue, la Bourse est bonne etc., bon, enfin beaucoup de choses positives, simplement je crois qu'il y a deux ou trois questions qui sont posées au moins, la première c'est qu'il y a quand même malgré la diminution du chômage, toute une série de gens et des bassins d'emplois où il en grande difficultés en particulier avec les personnes non formées et pour ça il faut faire un effort particulier. Deuxièmement, comme toujours, quand il y a une très bonne situation économique, la question de la répartition se pose et donc il faut que la situation profite aussi, j'allais dire d'abord aux salariés et aux petites ressources, et puis…

Françoise Laborde : Sous quelles formes, avec…

Laurent Fabius : Je pense qu'il faut, dans les négociations salariales,  notamment, dans la discussion que l'on va avoir sur l'actionnariat salarié, que l'on puisse associer tout le monde à la bonne marche du pays et puis vous savez qu'un des thèmes qui me tient à coeur c'est le thème de la réduction des impôts en particulier la taxe d'habitation, ces jours-ci on doit payer la taxe d'habitation, soit par la suppression de la part régionale, soit peut-être, ce serait plus facile sans doute, par une suppression de ce que fait payer l'État pour prélever la taxe d'habitation et ça je souhaiterais vraiment que ce soit fait dès l'an prochain. Nos impôts sont trop lourds, il faut les diminuer et en même temps il faut rendre l'État plus efficace.

Françoise Laborde : Laurent Fabius, on ne vous a pas du tout entendu sur le dossier de la MNEF ni d'ailleurs sur la démission de Dominique Strauss-Khan. D'abord, vous pensez qu'il a raison ?

Laurent Fabius : Ce problème qui est un problème terrible, c'est que la présomption de culpabilité a remplacé la présomption d'innocence, c'est comme ça que ça se pose, évidemment pour les personnages publics mais aussi pour les personnes privées et les simples citoyens et donc on a une situation qui est un peu sur la tête, qui marche sur la tête et Dominique Strauss-Khan a dû tenir compte de cela et évidemment, pour lui, sur le plan humain c'est quelque chose de très très lourd. Alors, sur le plan économique, je ne pense pas que ça aura de conséquences puisque Christian SAUTER est un homme compétent et très sérieux ; sur le plan judiciaire, non seulement la question de la MNEF mais beaucoup d'autres problèmes que l'on a, qui existent depuis quelques années d'ailleurs montrent que la question n'est pas essentiellement la question de l'indépendance de la justice parce que cette indépendance elle existe évidemment mais il y a la question de la responsabilité des juges, il n'y a pas d'indépendance sans responsabilité.

Françoise Laborde : Ça veut dire que quand le juge décide de faire un complément d'enquête, il sait que par définition le ministre va démissionner.

Laurent Fabius : Ça je n'en sais rien, mais le problème se pose d'une façon générale puisque les juges ont un pouvoir considérable, ils sont indépendants, c'est très bien, il faut qu'il y ait aussi la responsabilité, sinon ça aboutirait à un déséquilibre. Il y a la question aussi de la rapidité et de l'accès à la justice, çà ça vaut pour tous les citoyens, pour les citoyens les plus connus comme pour les citoyens anonymes, et puis il y a une question dont on ne parle pas et je trouve que l'on a tort de ne pas en parler parce que c'est un scandale depuis des années, c'est la condition pénitentiaire, la façon dont la vie existe dans nos prisons, à la fois pour les prisonniers et pour les gardiens est un scandale et je crois que ce serait à l'honneur de notre démocratie, à la fin du XXe siècle, de changer ça profondément.

Françoise Laborde : Merci Laurent FABIUS d'être venu nous voir ce matin.

Laurent Fabius : Merci beaucoup.

Françoise Laborde : très bonne journée à vous, très bonne journée à tous.