Conférence de presse et déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur l'application des accords de Dayton et Paris, la mise en place des institutions de la Bosnie-Herzégovine et le plan de consolidation de la paix, Paris les 12 et 13 novembre 1996.

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Circonstance : Entretien de M. de Charette avec MM. Izetbegovic, Zubak et Krajisnik, Président de Bosnie Herzégovine le 13 novembre 1996 à Paris à l'occasion de la conférence sur la Bosnie le 14

Texte intégral

Conférence de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette (Paris, 12 novembre 1996)

Première partie

Je voulais simplement, et tel est l’objet de cette rencontre d’aujourd’hui, faire le point avec vous sur la conférence qui se tiendra jeudi prochain à Paris au sujet de la Bosnie-Herzégovine.

L’objet de cette conférence est d’adopter le plan de consolidation de deux ans pour la Bosnie-Herzégovine, de donner, par conséquent, une nouvelle impulsion politique au processus de paix et de fixer une sorte d’engagement contractuel entre les autorités bosniaques et la communauté internationale. Nous avons convenu, en accord avec M. Bildt, de réunir le bureau directeur de la conférence de mise en œuvre des accords de paix et les trois présidents de Bosnie-Herzégovine. Cette conférence qui se tient au niveau ministériel précède la conférence de Londres qui aura lieu au début du mois de décembre. Pour votre information, le bureau directeur comprend l’Allemagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Russie, la présidence de l’Union et la Commission européenne, les Pays-Bas, le Canada, le Japon et la Turquie, la Turquie pour l’Organisation des pays islamiques. Un certain nombre d’organisations internationales seront présentes : l’ONU, le HCR, I’OSCE et l’OTAN, et puis pour la présidence collégiale de Bosnie, les trois présidents : M. Izetbegovic, M. Krajisnik et M. Zubac. Enfin, les ministres des Affaires étrangères de Croatie et de RFY seront également présents. Voilà donc le cadre de cette rencontre.

Vous vous souvenez que le plan de consolidation est une idée française. Je l’ai proposé à la conférence de Florence, le 13 juin dernier. Cette suggestion avait d’abord été reçue avec quelque timidité et, progressivement, l’ensemble des pays concernés ont constaté, comme nous l’avions fait, que c’était une bonne idée puisqu’elle permet de passer, avec une période de deux ans qui est en quelque sorte une période de transition, de l’année d’application stricto sensu des accords de Paris, signés le 14 décembre dernier, à la période définitive qui s’ouvrira au bout de ces deux ans, au terme de laquelle la Bosnie-Herzégovine aura la plénitude de sa responsabilité. Dans cette période de deux ans, il s’agit naturellement de consolider les acquis du processus qui sont très importants. Le principal de ces acquis, c’est l’arrêt des combats – il arrive parfois qu’on l’oublie, il s’est passé pendant cette période, de ce point de vue, un progrès considérable – la mise en place progressive des institutions de la Bosnie-Herzégovine, après les élections du 14 septembre dernier, et puis le travail engagé sous la responsabilité du haut représentant, M. Bildt, auquel, naturellement, je veux rendre hommage pour l’énorme action qui a été la sienne. Mais en même temps il reste, vous le savez, un certain nombre de fragilités. C’est vrai pour la mise en place des institutions communes qui a pris du retard : le gouvernement n’est pas encore constitué. C’est vrai s’agissant du report des élections municipales. C’est vrai s’agissant du retour des réfugiés qui a connu, vous le savez, beaucoup de difficultés. C’est vrai enfin pour la reconstruction qui elle-même est à peine engagée. Enfin, c’est vrai aussi s’agissant du travail que doit accomplir le tribunal pénal international à l’égard des personnes qui sont accusées de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Donc, cette période de consolidation de deux ans doit permettre pendant les deux années 1997 et 1998, de réaliser un certain nombre d’objectifs prioritaires, d’achever la mise en place des institutions communes, de coopérer de la part des autorités locales de bonne foi pour construire une Bosnie-Herzégovine pacifique, unie, démocratique et construire une économie de marché. Il s’agit de faciliter aussi le retour des réfugiés, d’appliquer pleinement les accords de maîtrise des armements en ex-Yougoslavie au plus bas niveau possible d’armement, de participer activement au déminage du territoire et, bien sûr, de livrer les personnes inculpées au Tribunal pénal international. Tels sont les objectifs.

Dans cette période de deux années, nos efforts vont changer de nature. La période sera marquée, de toute évidence, par la réduction progressive de la présence militaire internationale et par, au contraire, l’accroissement de l’action civile de la communauté internationale sur le terrain. Dans ce but, nous pensons qu’il convient d’accroître les responsabilités du haut représentant et nous souhaitons que cette conférence permette à la fois de confirmer l’engagement de la communauté internationale pour faire face à la situation en Bosnie-Herzégovine et en même temps de confirmer l’engagement des dirigeants de Bosnie-Herzégovine quant à l’application de l’intégralité du dispositif prévu et négocié à Dayton.

Nous pensons que dans cette période il conviendra que plusieurs étapes soient prévues. Et, de ce point de vue, nous souhaitons que tous les six mois, le comité directeur puisse se réunir et faire le bilan. Il y a un quasi-engagement contractuel : c’est à la demande des autorités de Bosnie-Herzégovine que la communauté internationale poursuit son action et c’est en fonction de la mise en œuvre, pleine et entière, des obligations souscrites par la Bosnie-Herzégovine que la communauté internationale poursuit et, le cas échéant, développe son soutien à la reconstruction de celle-ci. Tel est l’enjeu, tel est l’objet. Ensuite viendra la conférence de Londres qui aura pour mission de fixer le programme pratique de la première période à suivre. Nous souhaitons que, deux fois par an dans cette période de deux ans, la communauté internationale puisse faire le point avec les autorités de Bosnie-Herzégovine sur la mise en œuvre de ces objectifs que j’ai rappelés devant vous.

Alors, sans doute, vous demandez-vous ce qu’il en sera du « post-Ifor ». Pour vous éviter de me poser la question, je vais donc y répondre tout de suite. Cette question fait l’objet de travaux approfondis, depuis plusieurs semaines, des spécialistes au sein de l’Alliance atlantique. Je vous confirme, cependant, que ce sujet ne sera pas à l’ordre du jour de la conférence de Paris, jeudi prochain, et que les réflexions et les discussions se poursuivent sur les modalités pratiques du maintien de la présence internationale sur le terrain.

Voilà, mesdames et messieurs, ce que je voulais vous dire rapidement pour vous présenter les travaux qui commenceront le matin, seront suivis par un déjeuner et se termineront à l’Élysée pour une manifestation finale de cette rencontre.

Q. : Vous avez parlé de la conférence de Paris. Vous aviez des divergences avec les Américains sur l’armement au plus bas niveau. Les Américains, après avoir réarmé la Croatie, de manière discrète, ont entrepris de réarmer, de manière ouverte, la Bosnie. Vous savez que, depuis deux mois, les Américains ont suspendu leur programme de réarmement de l’armée bosniaque tant que resterait en place un vice-ministre de la Défense bosniaque très lié à l’Iran. Alors je voudrais vous demander comment a évolué votre dialogue avec les États-Unis, depuis un an, sur cette question de l’armement de la Croatie et de la Bosnie.

R. : D’une manière générale, le dialogue avec les Américains se passe toujours très bien. Je voudrais vous rassurer, parce que je lis parfois des papiers qui laissent à penser que ce n’est pas le cas. C’est une totale erreur, franchement. Je recevrai demain M. Warren Christopher pour un diner de travail ici. Je m’en réjouis beaucoup. Les relations franco-américaines se portent bien. Bien sûr, nous avons nos analyses et les Américains ont les leurs, comme avec d’autres pays. C’est tout à fait légitime. Je vous le répète, il y a entre la France et les États-Unis un dialogue de très grande qualité et, je crois, une très grande cordialité et je serais tenté, au risque de faire sourire votre scepticisme habituel, de dire une réelle chaleur.

Alors, sur la question que vous avez évoquée, nous n’avons pas changé d’avis. Nous pensons que la meilleure façon de contribuer au retour durable de la paix et à la construction de la Bosnie-Herzégovine comme État, c’est de faire en sorte que l’équilibre des moyens militaires, dont je ne méconnais pas l’utilité, se fasse non pas par l’accroissement du nombre et de l’efficacité des armées présentes sur le terrain mais plutôt par leur réduction. Nous travaillons dans cet esprit et j’ai toujours maintenu cette ligne. Il est arrivé que cela ne se passe pas tout à fait comme cela. Mais je maintiens que c’est l’idée et le choix de la France.

Q. : Cette réunion n’a de sens qu’à partir du moment, si je comprends bien, où vous tenez pour acquis que le « post-Ifor » aura lieu. On ne peut pas imaginer et parler de reconstruction ou de retour des réfugiés si on n’est pas certain que la situation…

R. : Oui, vous voyez bien que nous sommes partis d’une situation dans laquelle l’objectif premier, l’objectif dominant c’était de séparer ceux qui s’étaient combattus et qui marquaient, comme ils l’avaient fait à Dayton puis à Paris, leur intention désormais de travailler ensemble. Il était donc légitime que dans la première partie, pendant l’année 1996, les aspects de sécurité, les aspects militaires l’aient emporté, et notamment au cours des premiers mois où ils ont été quasi exclusifs. Mais jour après jour, cette préoccupation-là devient moins lourde, même si elle se maintient, et l’emportent les objectifs de la reconstruction et de la mise en place des institutions et du retour à une vie normale. Je suis persuadé que c’est ce que souhaitent les populations. Et c’est ce à quoi nous voulons nous employer.

Alors, on nous dit qu’il est encore souhaitable qu’il y ait une présence militaire internationale pendant la période qui vient. Soit, mais forcément réduite et appelée progressivement à disparaître. Nous n’allons pas, je dirais, installer une force internationale ad perpetuam. Ce sera, jour après jour, progressivement, aux autorités sur place, notamment aux forces de police locales, d’assumer la responsabilité du maintien de l’ordre et de la sécurité des citoyens, puisque c’est de cela dont il s’agit.

Q. : Pensez-vous que les Bosniaques puissent prendre en charge cette sécurité ?

R. : Depuis tout à l’heure, j’ai déjà répondu, il m’avait semblé, à cette question. Simplement, nous pensons qu’il faut aller vers un dispositif appelé à se réduire progressivement et à tendre vers zéro, de telle sorte que, progressivement, la responsabilité des forces de police locales et des autorités locales, pour assurer la sécurité des personnes et des biens, prenne la place du rôle qui a été assumé à l’origine, en totalité, par la communauté internationale et qui déjà est retourné, pour une partie, aux autorités locales. Voilà le scenario. Mais, je le répète, cette question de la présence militaire de la communauté internationale sur le terrain en Bosnie-Herzégovine n’est pas inscrite à l’ordre du jour, même si bien sûr c’est une question sur laquelle on travaille.

 

Conférence de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette (Paris, 12 novembre 1996)

Deuxième partie

Q. : Lors de votre rencontre avec M. Christopher, est-ce que vous espérez avoir de lui confirmation de l’engagement des Américains à rester en Bosnie dans le cadre d’un « post Ifor » de format réduit ? Et puisque vous rencontrez M. Christopher, j’imagine que vous parlerez aussi du Zaïre, est-ce que vous espérez aussi entendre de sa bouche la confirmation que les États-Unis sont disposés, maintenant, à participer à une force internationale d’aide humanitaire au Zaïre ?

R. : Si vous le voulez bien continuons sur la Bosnie. À la fin si vous voulez poser quelques questions sur le Zaïre, je ne m’y refuserai pas. Sur la Bosnie, il nous paraît en effet tout à fait raisonnable, sage et prudent de prévoir qu’un dispositif militaire de la communauté internationale puisse rester sur place dans la période des deux années qui s’ouvrent de mise en œuvre du plan de consolidation qui sera, je l’espère, approuvé jeudi. Je vous ai aussitôt dit que, naturellement, cette période devait permettre de transférer un certain nombre de responsabilités, et de plus en plus au fur et à mesure du déroulement de cette période, en matière de maintien de l’ordre et de sécurité des personnes et des biens, aux autorités et à la police locale. Cela veut dire que nous sommes favorables à ce qu’il y ait un dispositif de la communauté internationale sur place, mais à la condition qu’il soit d’entrée de jeu moins important que le dispositif actuel et qu’il soit appelé à se réduire par étapes, en accompagnement de la mise en œuvre du plan de consolidation, afin de tendre vers zéro, c’est-à-dire vers le retrait des forces internationales à la fin de cette période de deux ans, disons le 1er janvier 1999. La France est prête, une fois encore, à assumer ses responsabilités, mais, n’ayez pas de doute, il est tout à fait clair que la participation française restera dans la proportion où elle est actuellement. Il est également clair que si l’un des partenaires majeurs de ce dispositif devait se retirer, nous en ferions autant. Nous souhaitons que le dispositif s’inspire des règles que nous avons appliquées ensemble.

Je voudrais ajouter que l’on critique souvent l’Europe et on la critique souvent s’agissant de la Bosnie-Herzégovine, non sans raison d’ailleurs. On a dit qu’à l’origine de la crise, l’Europe n’avait pas été capable de définir une ligne commune, une attitude commune. C’est vrai. Pourquoi le contester, vous le savez aussi bien que moi. Je constate qu’aujourd’hui, au contraire, l’Europe travaille de façon extrêmement cohérente, avec des attitudes étudiées en commun, adoptées en commun et qui témoignent que, dans le cas de la Bosnie-Herzégovine d’aujourd’hui, les Européens sont ensemble.

Q. : Est-ce que vous pensez que la France va proposer au bureau directeur une augmentation des pouvoirs de la police internationale ? Vous savez qu’il y a une police internationale qui est déployée sur place, qui coûte fort cher et qui n’a pas été capable, vous avez parlé du retour des réfugiés, d’aider les réfugiés musulmans qui souhaitaient revenir chez eux, qui avaient été chassés par l’épuration ethnique de l’été 1992, et qui n’a pas été capable, non plus, d’empêcher qu’on chasse les Serbes des banlieues de Sarajevo qui, au titre des accords de Dayton, avaient été redonnées au gouvernement du président Izetbegovic. Donc cette police s’est montrée incapable d’une quelconque efficacité d’un côté comme de l’autre.

R. : Ce n’est pas une question, c’est un jugement.

Q. : Oui, je rappelle des faits qui ont été signalés un peu partout. La question est : est-ce que la France compte proposer à ses collègues du bureau directeur un changement du mandat de cette police internationale en Bosnie ?

R. : Nous allons voir quel est le dispositif de sécurité qu’il convient de mettre en place en accompagnement du plan de consolidation. La question que vous avez évoquée est tout à fait digne d’intérêt. Personnellement, je persiste à penser qu’il est absolument nécessaire que les autorités de police locale assurent une part croissante de leurs responsabilités. Cela veut dire aussi, et c’est un point très important, que les autorités de Bosnie-Herzégovine, la présidence collégiale mais aussi les responsables des entités, assument pleinement leurs responsabilités et les engagements qui ont été pris dans les accords de Paris du 14 décembre 1995. Et puisque vous parlez de cette question, laissez-moi, une fois de plus, lancer un appel à l’ensemble des dirigeants de Bosnie-Herzégovine, à quelque niveau qu’il soit. Leur responsabilité est désormais pleine et entière. Ils peuvent compter sur le concours de la communauté internationale et ils peuvent compter sur le concours de l’Europe pour les aider à progresser. Nous comprenons bien qu’il n’est pas facile de passer d’une situation de guerre, d’une brutalité inouïe, à une situation de paix et de vie en commun. Nous comprenons qu’il faut des étapes transitoires, qu’il faut accepter que les choses ne soient pas parfaites du jour au lendemain. Il y a une certaine indulgence de la communauté internationale, mais, aujourd’hui, l’heure est venue des vraies responsabilités. Ce plan de consolidation de deux ans ne doit pas être interprété comme la poursuite pure et simple de ce que nous avons fait pendant cette année. C’est quelque chose de nouveau, dans lequel il y a d’un côté la détermination affirmée, dans le document que nous soumettons à l’examen et à l’adoption des participants à la conférence, l’engagement de la présidence collégiale de mettre en œuvre la totalité du dispositif tel qu’il résulte des accords négociés à Dayton, et de l’autre la disponibilité de la communauté internationale à poursuivre son effort, principalement dans le domaine civil. L’un et l’autre, mais pas l’autre sans l’un. Et mesurez bien que notre disponibilité est directement liée au respect de leurs engagements par les autorités de Bosnie-Herzégovine. C’est un point très important et dont je suis content que vous me donniez l’occasion de le mettre en valeur.

Q. : Pour rester sur ce point, monsieur le ministre, est-ce que cela veut dire que s’il y a l’autre sans l’un, l’autre doit partir.

R. : Pourriez-vous préciser votre question.

Q. : Vous dites que c’est l’un et l’autre et pas l’autre sans l’un. Si l’engagement de la partie bosniaque n’est pas respecté, quelles sont les conséquences que vous êtes prêts à tirer ?

R. : Vous savez, le sablier est en marche. Dans deux ans, les dirigeants de Bosnie-Herzégovine, comme les populations, seront en face d’elles-mêmes et d’eux-mêmes. Ils y sont jour après jour davantage. Nous sommes prêts à continuer à les aider, mais il faut qu’ils assument la plénitude de leurs responsabilités et des engagements qu’ils ont souscrits. Si je le dis aujourd’hui, c’est parce que je crois que c’est utile que ce soit dit avec clarté. Sachez d’ailleurs que j’ai dit tout cela lors des nombreuses rencontres que j’ai eues avec les dirigeants de Bosnie-Herzégovine, de la façon la plus claire.

Q. : Monsieur le ministre accepteriez-vous, maintenant, de répondre aux questions concernant le Zaïre ?

R. : Oui, bien sûr, monsieur, parce que je sens que c’est le Zaïre qui vous presse. Moi aussi d’ailleurs.

Il y a un million cent mille, peut-être un million deux cent mille, on ne sait pas, d’hommes, de femmes, d’enfants qui errent sur des routes boueuses sans savoir où est leur destin et où est leur espoir. Je crois que la responsabilité de la communauté internationale est forte. Elle est engagée. Je n’ai pas l’idée d’accuser qui que ce soit, ni de montrer du doigt qui que ce soit. Je crois que, simplement, cette responsabilité-là, est sur nos épaules. La France a dit ce qu’elle pensait qu’il fallait faire. Nous ne demandons pas à diriger cette troupe. Nous n’avons pas d’intérêt autre que les valeurs pour lesquelles notre pays s’est battu dans le passé, auxquelles il croit et qu’il porte dans le monde d’aujourd’hui. Nous ne sommes pas les seuls. Nous pensons qu’il est temps, qu’il est urgent, vraiment urgent, que le Conseil de sécurité puisse se réunir, délibérer, créer cette force que j’ai appelé une force de sécurisation, qui permettra aux organisations humanitaires de venir et, je l’espère, à ces malheureuses populations, de trouver une issue à leur drame.

Q. : Cette force pourrait-elle travailler sans les Américains ?

R. : La France a dit depuis le début que cette force était nécessaire, qu’elle devrait être créée par les Nations unies. Il ne s’agit pas d’un acte unilatéral qui serait pris par qui que ce soit, pas même par un ensemble de pays. C’est donc au Conseil de sécurité d’en délibérer, et cette force doit avoir le soutien et le concours de l’Organisation de l’unité africaine, car il s’agit de l’Afrique. Il faut agir, naturellement, avec le plus grand respect pour l’Afrique dans son ensemble, pour les pays de la région qui sont les premiers concernés.

L’Europe a bien entendu, une fois encore, sa responsabilité. Je crois qu’on peut dire qu’elle l’assume. Avec le concours de la présidence irlandaise, plusieurs pays européens ont apporté une réponse positive à la démarche française : les Espagnols, les Italiens, je crois, les Britanniques, sans doute, les Néerlandais... d’autres suivront certainement. L’Europe, me semble-t-il, est prête à assumer sa responsabilité. II faut aussi que les États-Unis le fassent. Nous sommes partie prenante d’une action internationale que nous demandons, que nous pressons. Nous ne nous engagerons pas dans des actions unilatérales.

Q. : Monsieur le ministre, à l’heure où nous parlons, avez-vous le sentiment que l’objet de votre impatience sera satisfait très rapidement et avez-vous des informations dans ce sens ?

R. : Non, je n’ai pas d’informations. Mais, je crois que les choses évoluent de façon positive.

Q. : À quoi attribuez-vous l’hésitation des États-Unis ?

R. : Posez-moi toutes les questions que vous voudrez sur les décisions que nous prenons, que nous ne prenons pas, mais sur les décisions des autres, je ne porte pas de jugement.

Q. : Monsieur le ministre, que la France ne veuille pas y aller seule, on l’a compris, mais pourquoi l’Europe ne peut pas y aller sans les États-Unis ?

R. : Je répète, il s’agit de l’un des plus grands drames de ce siècle. Un million cent mille, dans les dernières évaluations, réfugiés et personnes déplacées, c’est un événement épouvantable. L’ensemble de la communauté internationale doit se trouver réunie pour y faire face. C’est pourquoi j’ai évoqué, je vais le refaire une fois de plus, ceux qui sont directement concernés. Bien entendu, l’Afrique. Je vous répète que dans cette affaire, il faut manifester beaucoup de respect vis-à-vis de l’Afrique, au sein de l’Organisation de l’unité africaine, et vis-à-vis des pays de la région. Il s’agit de l’Europe et il s’agit du continent nord-américain. II n’y a là rien d’extraordinaire.

 

Point de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à l’issue de son déjeuner avec les trois présidents de la Bosnie-Herzégovine, MM. Izetbegovic, Zubak et Kajisnik (Paris, 13 novembre 1996)

 

Mesdames et messieurs, juste quelques mots pour vous dire combien nous avons été heureux de ce déjeuner de travail que j’ai pu avoir avec la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, les présidents Izetbegovic, Krajisnik, et Zubak, avec lesquels nous avons préparé la réunion de demain de façon très attentive.

J’ai insisté sur la nécessité que se poursuive la mise en place des institutions de la Bosnie-Herzégovine, en particulier qu’avant la conférence de Londres puisse être désigné le nouveau gouvernement, le premier gouvernement de Bosnie-Herzégovine. Nous avons évoqué l’ensemble des éléments qui seront discutés demain, c’est-à-dire le plan de consolidation de deux ans que – je vous le rappelle – j’ai proposé à la conférence de Florence au mois de juin dernier et qui est maintenant à la base des travaux de la conférence de Paris qui se tiendra demain.

Enfin, nous avons évoqué ensemble, avec les trois membres de la présidence collégiale, ce qu’était la nouvelle donne, c’est-à-dire le contrat moral que la communauté internationale s’apprête demain à passer avec les plus hautes autorités de la Bosnie-Herzégovine. D’un côté, celles-ci, désormais constituées et bientôt, je l’espère, totalement mises en place, s’engagent dans l’achèvement de l’application des accords signés le 14 décembre dernier à l’Élysée. D’autre part, la communauté internationale convient de poursuivre son action afin de faciliter le développement économique et la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine. Tout ceci doit comprendre naturellement la solution à apporter à la question du retour des réfugiés, de la coopération avec le Tribunal pénal international et s’accompagnera enfin, je l’espère dans les semaines qui viennent, des décisions appropriées pour le maintien d’une force internationale susceptible de continuer d’apporter, dans la période qui vient, l’aide nécessaire à la stabilisation de la Bosnie-Herzégovine. Merci beaucoup.