Texte intégral
S. Attal : Toute la presse dit ce matin que Chirac et les patrons se sont réconciliés. C’est donc qu’il y a eu une brouille, vous pouvez nous en parler, maintenant.
A. Leenhardt : Je ne sais pas s’il a eu une brouille. C’est vrai que le Président de la République est venu nous rendre visite deux fois en moins d’un mois. Je pense que peut-être, chacun a ses problèmes et chacun est plus à l’écoute des problèmes de l’autre. Les patrons ont leurs problèmes et peut-être que le Président de la République a mieux compris quelles étaient nos craintes, et nous avons peut-être mieux écouté aussi, nous sommes peut-être plus à l’écoute des difficultés du Gouvernement.
S. Attal : Il a mieux compris : vous lui avez mieux expliqué ?
A. Leenhardt : C’est peut-être notre faute, effectivement.
S. Attal : Quel est, pour le CNPF, le meilleur moyen pour retrouver une croissance significative dans ce pays ?
A. Leenhardt : La croissance significative, c’est vraiment la recherche des produits nouveaux, voir quels sont nos talents à nous, pays développés, pour introduire des produits. La recherche et le développement : il faut que nous pensions à ce qui reste notre particularisme et je crois que ce sont vraiment les produits nouveaux qui peuvent nous amener, et pas tout de suite, ces meilleurs emplois. Nous avons beaucoup d’autres choses à faire au niveau de l’emploi dont on ne peut pas peut-être parler ce matin.
S. Attal : Le Président de la République a dit hier qu’il y avait beaucoup trop de chefs d’entreprise de talent qui allaient à l’étranger parce qu’ils étaient mieux traités là-bas. C’est un problème fiscal ?
A. Leenhardt : Le Président de la République nous a dit qu’il considérait que le poids de l’État était important dans ce qui devient un jour nos charges. C’est vrai qu’il y a longtemps qu’un État plus modeste nous permettrait d’avoir des charges moins lourdes. Vous savez que, et le Président de la République nous l’a redit, que les dépenses publiques font 55 % du PIB de la nation, ce qui est considérable et ce qui nous place dans les records mondiaux au niveau de ce type de prélèvement. Donc c’est vrai qu’il y a quelquefois des tentations. Je crois que chacun prenant ses problèmes en main, il sera fait que ce poids de l’État diminuera et que les entreprises en auront les heureuses conséquences. Donc je crois qu’il faut s’attacher chacun à ses problèmes, ce que je disais tout à l’heure.
S. Attal : Et quand vous entendez le Président de la République dire que certaines entreprises sont mieux traitées ailleurs, vous ne vous dites pas : « Il est Président de la République, il est au pouvoir alors qu’il fasse plus ?
A. Leenhardt : C’est un peu le message qu’il nous a apporté hier et qui nous a réjouis, en disant que le poids de l’État est trop important.
S. Attal : Vous attendez les gestes maintenant ?
A. Leenhardt : Je pense qu’effectivement, il y a des réformes à faire. Main dans un premier temps, il y a des déficits à combler et tout ne se fait pas en un seul jour.
S. Attal : Le scepticisme est de plus en plus grand à l’étranger, en particulier en Allemagne, sur la capacité de la France à se qualifier pour la monnaie unique dans les délais. Le Frankfurter Allgerneine Zeitung, qui est un journal important, estime que la France « embellit trop son budget ». Est-ce votre avis ?
A. Leenhardt : Je n’ai pas d’éléments pour vous dire si nous embellissons trop notre budget. Le budget de 1997 ne se présente pas d’une façon extraordinaire, donc je ne crois pas qu’il soit tellement embelli. Je pense que les efforts seront faits pour arriver en temps voulu à la rencontre que nous nous sommes promise avec les Allemands.
S. Attal : On réduit assez les déficits ? Il faut dire les choses telles que vous les pensez, ce matin.
A. Leenhardt : Je pense tout à fait que nous sommes sur la voie qui est la bonne et je ne pense pas que le Gouvernement puisse aller beaucoup plus vite. Je crois qu’il faudra aller beaucoup plus loin.
S. Attal : Il y a un débat dans la majorité sur le prochain budget. Ce ne serait pas étonnant qu’il y ait le même débat au sein du CNPF, non ?
A. Leenhardt : Non, je crois que, au CNPF, nous sommes assez unanimes pour dire que des efforts sont faits, que des efforts devront être prolongés mais il n’y a pas un véritable débat sur le budget.
S. Attal : Vous savez que les patrons ont des responsabilités sociales ?
A. Leenhardt : Oui, je suis assez bien placé pour le savoir, étant donné que je suis président de la commission sociale.
S. Attal : N Notat disait dimanche soir qu’il faut que l’emploi soit désormais le moteur de la croissance et qu’il était souhaitable mais aussi possible d’embaucher les 400 000 jeunes qui ont fait leur entrée sur le marché du travail.
A. Leenhardt : Le moteur de la croissance peut être l’emploi. La retombée de la croissance, c’est l’emploi. Les 400 000 jeunes, écoutez, je voudrais vous donner quelques chiffres qui sont dans nos esprits et qui sont très proches de la réalité d’aujourd’hui. Nous sommes sur le point d’embaucher, année après année, de l’ordre de 200 000 apprentis. C’est notre objectif pour l’année prochaine. Nous avons 12 000 contrats de qualification, nous avons 320 000 jeunes qui vont arriver dans le domaine de l’alternance. L’alternance, c’est quelque chose de très remarquable et qui est une des meilleures insertions dans l’entreprise. Dans une classe d’âge, il y a de l’ordre de 700 000 jeunes. En embaucher, à travers l’alternance, plus de 300 000, nous sommes très près du compte.
S. Attal : Prendre le pari, comme semblait le dire Mme Notat, d’embaucher 400 000 jeunes, ce n’est pas possible ?
A. Leenhardt : Mais les 400 000 jeunes, il y a plus de 400 000 jeunes de toute façon ; il y a de l’ordre de 700 000 dans une classe d’âge. Mais nous sommes tout à fait sur le point d’embaucher le chiffre qu’elle indique à travers l’alternance, c’est-à-dire les entreprises directement. Et il y a l’autre voie, qui est la voie générale. Avez-vous vu notre publicité qui dit, de la part d’un jeune, « Je veux bosser », et le dirigeant d’entreprise répond, « Je veux t’aider » ? Elle est tout à fait remarquable et je vous assure que ça correspond. D’ailleurs, je crois que vous la passez, à Europe.
S. Attal : Maintenant on n’attend plus que les faits, que l’amélioration du chômage et en particulier du chômage des jeunes ?
A. Leenhardt : Mais est-ce que vous savez également que le chômage des jeunes est certes beaucoup trop élevé mais que si nous prenons le taux de chômage des jeunes par rapport à la classe d’âge, il est entre 20 et 25 ans de l’ordre de 12 %, c’est-à-dire le même chômage que les adultes. Évidemment, la prolongation de la scolarité fait que le chômage des jeunes par rapport à ceux qui veulent travailler est plus important.
S. Attal : Le CNPF a cinquante ans et c’est lors de ce genre d’anniversaire que l’on se penche un peu sur l’image des institutions et la vôtre est assez curieuse. Je vois que dans un sondage, paru dans La Tribune hier, six patrons de PME sur dix estiment que le CNPF n’est pas assez proche de la réalité des entreprises et même 77 % des patrons de PME estiment que le CNPF a eu un effet néfaste sur leur propre entreprise. Donc cela veut dire que le CNPF, c’est les grands patrons ?
A. Leenhardt : Ça, je ne le crois pas du tout. C’est une fausse image ! Peut-être que nous ne communiquons pas suffisamment bien mais le CNPF rassemble des grandes entreprises mais aussi énormément de petites entreprises. Savez-vous que sur les 2, 2 millions d’entreprises...
S. Attal : Est-ce qu’il les écoute assez ? C’est cela la question.
A. Leenhardt : Je crois qu’une organisation patronale n’existera que dans la mesure où elle rend les services aux entreprises. Et pour être le président de l’Union des industries métallurgiques et minières, je puis vous dire que notre souci majeur est de rendre des services aux entreprises.
S. Attal : Quand J. Gandois a été élu président du CAPF, il apparaissait comme un patron des patrons d’un troisième type, d’un nouveau type. Il avait une image de patron citoyen, beaucoup d’idées là-dessus. Et depuis son élection, on a l’impression que peu de choses ont changé.
A. Leenhardt : Je dois dire quand même qu’il a fait une ouverture et une relance de la politique contractuelle qui sont tout à fait remarquables. C’était la première fois que la CGT, depuis de nombreuses années, venait avenue Pierre-1er-de-Serbie. Je crois que là il y a eu, au contraire, une grande...
S. Attal : Elle est venue manifester sous vos fenêtres.
A. Leenhardt : Mais c’est ça. Nous les avons dans différentes circonstances, c’est sympathique. Mais quand cesserez-vous d’appeler le président du CNPF le patron des patrons ! Il n’a pas de véritable autorité sur les patrons. Il faut qu’il y ait un certain consensus qui se dégage et le président du CNPF doit montrer la ligne mais ce n’est pas le patron des patrons.
S. Attal : Il n’a donc pas une grande marge de manœuvre non plus ?
A. Leenhardt : C’est un métier très difficile, je suis d’accord.
S. Attal : 50 ans du CNPF n’est-il pas temps aussi que le CNPF, que l’élite économique du pays qu’il représente, prenne une part plus active dans la résolution des problèmes sociaux, économiques du pays qui sont graves. Les patrons ne sont-ils pas encore un peu trop corporatistes ?
A. Leenhardt : Je vous assure que nous prenons une part considérable. Ce qui se passe au niveau de l’assurance maladie, du chômage, toutes ces responsabilités sociales, nous les partageons avec les autres partenaires sociaux. Et nous prenons une part de plus en plus grande, d’autant qu’un certain paritarisme a été rétabli ces derniers mois, et je pense que nous ne pouvons pas dire que nous ne prenons pas une part très importante dans les responsabilités sociales du pays.