Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur la non-incidence de la baisse du budget du ministère sur la qualité de la politique étrangère de la France, Paris le 13 novembre 1996.

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Circonstance : Examen du budget des affaires étrangères par l'Assemblée nationale le 13 novembre 1996

Texte intégral

Je ferai d’abord trois observations. D’abord, un constat réconfortant : l’Assemblée nationale attache une grande importance à la politique étrangère. La densité de vos interventions, la qualité des députés présents témoigne qu’à vos yeux la politique étrangère de la France est une composante essentielle de son action.

En second lieu, permettez-moi d’adresser des compliments personnels à MM. les rapporteurs, qui ont concentré leurs propos sur le budget des Affaires étrangères. C’est en effet son examen qui nous réunit, même si je comprends qu’on en prenne occasion pour aborder certains aspects de la politique étrangère elle-même. À l’exemple de vos rapporteurs, je concentrerai ma propre intervention sur le budget.

Enfin je dois constater que j’approuve la plupart des propos que j’ai entendus. Ce qui montre une fois de plus, malgré les différences d’appréciation sur tel ou tel point, l’existence d’assez grandes convergences entre les groupes dans le domaine de la politique étrangère. Quand vous dites, Monsieur Hage, que vous avez « une certaine idée de la France », c’est formulation n’est pas neutre et elle me convient. Nous avons sans doute au bout du compte, sur l’essentiel, beaucoup d’idées communes quand il s’agit de la présence de la France et de son rayonnement dans le monde.

Quand M. Le Déaut proteste contre les excès du verbe en politique étrangère, il a raison : c’est par excellence un domaine où la démagogie n’a pas sa place et où la prudence s’impose, même si elle doit recouvrir une forte détermination et une volonté à toute épreuve. J’aurais d’ailleurs aimé que cette prudence même conduise M. Le Déaut à approuver finalement le budget que je vous présente.

Quand j’entends M. Lequiller, au nom du groupe UDF, approuver les orientations de notre politique étrangère, et se féliciter chaudement, au terme d’une brillante intervention, des initiatives prises depuis dix-huit mois par la France sous l’impulsion du président de la République, je ne peux que le remercier et me reconnaître dans ses propos. Quand j’entends M.  Jean-Bernard Raimond évoquer, avec la compétence que chacun lui connaît, le renouvellement de l’Alliance, je ne peux que dire mon accord avec l’ensemble de son analyse. Quand j’entends M. Myard, dont nous connaissons la vigueur et dont nous approuvons l’intérêt constant pour la politique étrangère de la France ; quand j’entends M. Garrigue s’exprimer, de façon plus douce mais avec la même conviction, je me félicite d’entendre les voix autorisées du RPR soutenir l’action que nous menons. J’ai écouté aussi avec grande attention Mme Papon mettre son brio et sa fougue au service de la francophonie, également abordée avec talent par Bourg-Broc ; et je ne peux que souligner avec eux combien essentielle est cette dimension de la politique étrangère. Dans l’équipe qui s’y consacre au Quai d’Orsay, Mme Sudre engage tout son cœur et toute son énergie ; elle-même vous en parlera dans un instant.

Notre budget pour 1997 s’établit à 14,437 milliards, soit 596 millions de moins que dans la loi de finances initiale pour 1996. Faut-il réjouir, comme l’a fait avec talent M. Inchauspé au nom de la commission des finances, en cohérence avec la politique d’économies indispensables pour que notre pays cesse de vivre à crédit ? Faut-il s’en plaindre avec MM. de Montesquiou, Voisin et Deniau, et même si vos trois rapporteurs pour avis n’en ont pas moins recommandé l’adoption des crédits ? Je serai franc, la franchise étant en ces matières la meilleure défense. Il y a une grande tradition française de politique étrangère. Celle-ci, dans notre pays, a toujours été un des axes essentiels de l’action des pouvoirs publics et des chefs de l’État. Cela ne date pas de la Ve République, bien que celle-ci ait donné à la politique étrangère une force et une dimension accrues, grâce à l’action souvent admirable des présidents de la République successifs. Cela date de nos rois. Longtemps, la politique étrangère, ce fut la conquête de notre territoire ou l’extension de notre influence par les armes. Aujourd’hui c’est différent : il s’agit d’assurer notre sécurité extérieure, de réaliser notre projet européen – qui est au cœur même de notre politique, au-delà des difficultés du moment – et d’étendre dans le monde notre rayonnement politique, mais aussi, et de plus en plus, économique et culturel.

Oui, c’est une des deux ou trois fonctions essentielles de l’État : cela est clair. Mais gardons-nous de croire que l’influence française se mesure au nombre des fonctionnaires s’y consacrent ou au volume de nos crédits. Cette conception étatiste, « budgétaro-maniaque » et assez traditionnelle ne correspond pas à la réalité. Quand je vois nos entreprises prendre pied en Chine avec détermination, je me dis que l’action de quelques grands dirigeants d’entreprise est déterminante pour le rayonnement de la France. Quand je vois en Argentine le travail admirable d’implantation de deux cents de nos entreprises depuis cinq ans, je me dis que leur action est au moins aussi importante que celle que, modestement, je conduis.

Gardons-nous des mythes. Le premier d’entre eux est la croyance qu’il faudrait toujours dépenser plus pour être plus efficaces. Ce n’est pas exact. Gardons-nous de l’idée qu’aucun effort de productivité n’est possible à l’État. Celui-ci, comme toute organisation humaine, est capable de progresser, de faire mieux avec les mêmes moyens, à condition de les mieux combiner et utiliser. Gardons-nous aussi de nos propres contradictions : on ne peut pas voter en octobre un certain volume de recettes et demander en novembre un autre volume de dépenses… Il faut savoir ce qu’on veut. Bien sûr il me serait fort agréable de venir devant vous avec un budget en hausse de 10 %, et d’annoncer des créations de postes, la multiplication des actions culturelles... Mais, partageant avec la majorité la volonté, pour des raisons bien connues, de maîtriser les dépenses publiques, je ne regrette pas de vous présenter un budget en baisse de 3,96 %. Je ne le prends pas comme un sinistre qui affecterait l’action de l’État, mais comme une contrainte dont nous saurons faire une occasion de nous adapter, de nous moderniser, de progresser. Je ne viens pas devant vous la corde au cou, mais avec la certitude que ce budget nous permettre de poursuivre en 1997 la politique ambitieuse et résolue qui est celle de la France depuis dix-huit mois.

Voyons d’ailleurs de plus près la réalité des chiffres. Les crédits, on l’a vu, baissent de 596 millions. Mais n’oubliez pas deux autres chiffres, et tout d’abord celui de la régulation budgétaire. Plusieurs orateurs l’ont déplorée, et je suis le premier à considérer que cette méthode, si elle est parfois nécessaire, ne traduit pas toujours le respect dû à la représentation nationale. Quoi qu’il en soit, la régulation que le destin nous a imposée en 1996 s’élevait à 350 millions. Cette régulation est en quelque sorte consolidée dans le budget 1997, en sus de quelques ajustements nécessaires. Second élément : nous avions en 1996, et nous n’aurons plus en 1997, 230 millions de dépenses résultant des charges passées de la FORPRONU. De sorte qu’au total je disposerai en réalité de moyens à peu près équivalents à ceux que nous avions en 1996 ! Il n’y a donc vraiment pas lieu de se couvrir la tête de cendres, et de considérer que notre politique étrangère n’aura pas les moyens nécessaires. M. Le Déaut a parlé de plus mauvais budget de la politique étrangère qu’il ait connu : c’est sans doute que son expérience est courte. J’en viens à l’examen plus précis de ce budget.

Avec 7 milliards 107 millions, les dépenses de fonctionnement sont en réduction de 1,35 % – ce qui signifie que pour l’essentiel, nous avons maintenu les moyens de fonctionnement du ministère. Une masse à peu près équivalente est constituée par les dépenses d’intervention, qui s’élèvent à 7 milliards 40 millions, en baisse de 5,98 %. J’ajoute à cela 290 millions de dépenses d’investissement.

Nos priorités sont simples. D’abord, il s’agit de maintenir le réseau diplomatique français tout en le modernisant. Nous disposons du deuxième réseau diplomatique du monde, derrière celui des États-Unis et devant ceux de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. Bien sûr, il nous faut l’adapter, parce que le monde change : c’est ce que nous allons continuer à faire. Pierre Lequiller a souhaité que la commission des Affaires étrangères connaisse nos projets à moyen terme ; naturellement, je souhaite que la transparence soit la plus grande possible, mais il faut avoir dans ces matières une certaine prudence. Les observateurs attentifs, français et étrangers, de ce que nous faisons sont nombreux.

En 1996, nous aurons fermé quatre ambassades – en Jamaïque, au Liberia, en Sierra-Leone et au Malawi – et cinq consulats, mais en même temps nous ouvrons un consulat à canton et trois ambassades – au Turkménistan, en Erythrée et en Mongolie. Nous fermons les postes dont l’utilité nous paraît moindre, ce qui ne nous empêchera pas d’entretenir des relations avec les pays concernés.

Nous avons entrepris de simplifier nos implantations dans certains pays, par fusion des missions de coopération avec certaines de nos ambassades, ce qui, en évitant certains désordres, devrait renforcer l’efficacité de la coopération. De la même façon, avec mon collègue Yves Galland et la direction des relations économiques extérieures, nous mettons en place des postes mixtes, dirigés soit par un consul – quand la vocation est plutôt consulaire –, soit par un agent de la DREE – quand la vocation est plutôt économique. C’est ainsi que le poste de Canton a en même temps la fonction d’assurer une présence française dans cette partie de la Chine et un rôle économique.

En matière d’investissements dans notre réseau, nous avons deux projets majeurs : la construction de notre ambassade à Berlin et la réouverture de la résidence française à Beyrouth – qui devrait pouvoir être inaugurée le 14 juillet 1997.

Il nous faut aussi soutenir les intérêts de la présence française à l’étranger. J’ai parlé de l’action remarquable menée par Margie Sudre. J’insiste sur le fait que nous avons le réseau d’enseignement à l’étranger le plus important du monde : nous sommes présents dans un très grand nombre de pays, à travers un ensemble d’établissements qui pour l’essentiel sont privés, mais fortement soutenus par les pouvoirs publics. Nous y consacrerons cette année près d’1,5 milliard.

Notre action dans le domaine audiovisuel est également fondamentale. S’il y a un domaine dans lequel nous devrions faire plus, c’est bien celui-là, car la technologie va vite et nos concurrents vont vite... Nous allons consacrer 60 millions de plus à Radio-France International ; et j’espère que nous pourrons mettre en place les deux pôles – le pôle radio et le pôle télévision – qui ont été prévus, pour mettre fin à un certain désordre.

Naturellement, nous allons travailler à la promotion de la langue française. Nous avons affirmé clairement que le secrétaire général de l’ONU devrait parler le français, puisque selon la charte, notre langue s’impose à l’ONU au même titre que l’anglais. Nous faisons par ailleurs en sorte que nos diplômes, et notamment le baccalauréat, soient reconnus, afin que les élèves qui sont dans nos établissements puissent poursuivre leurs études sur place. Enfin, nous essayons de faire valoir dans le monde la thèse du plurilinguisme La grande menace est qu’une seule langue, d’ailleurs probablement quasi-détruite à cette occasion, s’impose dans tous les échanges internationaux ; c’est pourquoi nous avons intérêt à associer nos efforts à ceux que déploient d’autres nations pour défendre leur langue. La richesse de l’humanité est faite d’une diversité de cultures que traduit la diversité de langues.

Les crédits des bourses attribuées aux jeunes Français sont maintenus, de même que les crédits de l’action sociale destinés aux Français en difficulté.

Troisième priorité : la valorisation de notre action culturelle à l’étranger. Si je ne craignais pas de blesser mon collègue de la culture, je dirais que je suis le ministre de la Culture française à l’étranger. Nous agissons dans ce domaine avec détermination, en utilisant des moyens efficaces, notamment l’Association française pour l’action artistique à l’extérieur, dont je considère que le travail est remarquable même si j’entends certaines critiques.

Quelques mots encore pour répondre à ceux qui se sont exprimés dans ce débat. M. Le Déaut a parlé des bourses accordées aux étrangers en France : nous faisons dans ce domaine un effort important mais il faut examiner les choses de près. D’une part, il est nécessaire de revoir périodiquement la répartition géographique des bénéficiaires, afin d’assurer un bon équilibre ; d’autre part, il convient d’examiner le devenir des étudiants ; nos moyens étant modestes, nous devons sélectionner les meilleurs afin de former l’élite des pays considérés. Il faut aussi s’assurer que ces étudiants retourneront ensuite dans leurs pays, car la fuite des cerveaux n’est ni dans l’intérêt de nos partenaires, ni dans le nôtre.

J’attache à la coopération militaire tout autant d’importance que M. Voisin, et c’est pourquoi je crois utile d’en dresser un bilan. L’examen de sa répartition géographique fait apparaître que certains secteurs, comme le Moyen-Orient, l’Europe centrale et orientale ou l’Asie, sont quelque peu négligés, et c’est regrettable.

M. de Montesquiou a évoqué nos contributions à l’ONU. Il faut rappeler que la France fait partie du tout petit nombre de pays qui s’acquittent effectivement de la totalité de leur contribution obligatoire, et qui le font en début d’année. Quant à note contribution volontaire, elle a certes baissé sensiblement depuis trois ans, mais nous restons le douzième contributeur sur quelque 180 états membres, et peut-être une meilleure situation financière nous permettra-t-elle, un jour, de faire mieux.

Je puis, afin, rassurer M. Le Déaut sur les personnels titularisés de l’OFPRA : nous sommes en voie de régler de façon satisfaisante le problème pratique qui se posait.

Telles sont les observations que je souhaitais vous présenter à l’appui d’un budget qui n’est pas un budget de rationnement, mais un budget d’efficacité, de fermeté et d’exigence, grâce auquel nous serons en état de poursuivre la politique étrangère ambitieuse et volontariste de la France.