Texte intégral
RMC – Jeudi 24 avril 1997
P. Lapousterle : Pensez-vous, Monsieur Blondel, que ces élections générales à venir sont une chance pour le débat national économique et social, ou au contraires une manœuvre politicienne qui évitera au débat, finalement, d’avoir lieu ?
M. Blondel : Pourquoi voulez-vous que je choisisse entre une chance et une manœuvre politicienne ? Je vais vous dire la vérité, la franche vérité comme dirais les gosses : je n’y comprends rien. Je suis surpris. Personne ne comprend très sérieusement, si on n’est pas engagé directement dans l’aspect politique des choses, les raisons pour lesquelles le Président a provoqué une dissolution. Soyons claire, il avait une majorité quasi royale, il pouvait faire ce qu’il voulait, le Parlement n’était pas discrédité, personne ne le remettait en cause même pas le Président de la République. Ce qui était remis en cause, c’était plus exactement Monsieur Juppé qui n’avait pas une grande côte et puis la politique économique qui était suivie. Alors moi, ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce qui va sortir des urnes et puis surtout, une fois que cela sera sorti des urnes qu’est-ce qu’il y aura comme gouvernement et comme orientation politique et surtout économique. Et là, j’ai l’impression que, pour l’instant, on est reparti sur des vieilles lunes, je ne vois pas de choses modernes, à moins qu’il s’agisse de se redonner une sorte de légitimité en jouant sur ce qu’on appelle généralement la période heureuse après les élections. Je rappelle que, dans le domaine des élections législatives, cela ne marche pas. La période de grâce, c’est généralement pour la Présidence. Il s’agit de passer, au lendemain de la nouvelle consultation, des nouvelles dispositions qu’on a du mal à faire passer. Et là, c’est une interrogation que j’ai de manière permanente.
J’écoute ces messieurs quand ils discutent, je ne citerai pas de nom. Alors, on dit : il y a des blocages, la société est bloquée, il y a des grèves, regardez les internes, regardez la banque, regardez ceci, regardez cela. Attention quel que soit le résultat électoral, la revendication, l’insatisfaction seront toujours présentes, c’est évident puisque ce sont des problèmes économiques, sociaux, ce ne sont pas des problèmes politique, et si on décide de nous faire taire, je dis tout de suite que ce sera la bagarre ouverte parce qu’il n’y a aucune raison pour nous faire taire. Nous sommes en démocratie, les syndicats ont le droit de s’exprimer.
P. Lapousterle : Vous avez entendu, comme tout le monde avant-hier, le Premier ministre dire quel serait le programme de la future législature si jamais la majorité actuelle se trouvait de nouveau reconduite aux élections ?
M. Blondel : Pardonnez-moi, j’ai peut-être été léger, distrait, etc., mais je n’ai pas vu quelque chose de nouveau. J’ai eu le sentiment que c’était la continuation de ce qu’il était en train de faire. Il s’est appuyé sur des réformes qu’il avait déjà initiées, dont notamment une réforme qui me fait…
P. Lapousterle : La Sécurité sociale ?
M. Blondel : Cela fait sourire. Les internes, en définitive, ce n’est que le sous-produit des effets de la réforme Juppé, réforme Juppé qui va démolir sur le fond la Sécurité Sociale et ça, vous verrez qu’un jour ou l’autre on le regrettera parce que la Sécurité sociale, est un drôle de stabilisateur et un drôle d’édredon de crise.
P. Lapousterle : Monsieur Blondel, est-ce que vous avez vu dans le programme tel qu’il a été défini avant-hier par Monsieur Juppé, je dirais une inflexion, un virage vers une société plus libérale et plus moderne, pour reprendre les mots de Monsieur Madelin. Est-ce que vous avez vu pondre des virages possibles ?
M. Blondel : Des virages possibles, oui. À partir du moment où il y a un véritable débat entre le libéralisme et le contrôle politique, eh bien effectivement, qu’on le veuille ou non, il y a virage possible, c’est la tendance maintenant. Ce que j’appelle moi la puissance, c’est-à-dire les banques, les investisseurs, les financiers et puis l’industrie, par rapport aux politiques, c’est-à-dire ceux que nous élisons. Cette espèce de rapprochement et de lien de subordination entre l’un et l’autre, c’est très important. Or, dans l’état actuel des choses, on sent bien que c’est la puissance qui l’emporte sur le pouvoir et le pouvoir se laisse un peu guider par la puissance de ces investisseurs, des financiers, etc. Je n’ai pas senti, je dois l’avouer, chez Monsieur Juppé la volonté d’y aller, comme le souhaiterait Monsieur Madelin pour me faire comprendre. J’ai senti qu’il avait du mal à abandonner les conceptions générales à la française, sauf que je trouve qu’il fait déjà trop d’entorses aux conceptions générales à la française. Et je récuse à Monsieur Madelin le fait de dire que c’est ça, le modernisme. Soyons très clair ce n’est pas parce que Monsieur Madelin dit qu’il est moderne qu’il lest soyons clair dans nos esprits. Le problème est de savoir comment on répond à la situation de l’emploi dont je rappelle que c’est 400 000 chômeurs en 1974, 2 millions en 1981 et 3,2 millions en 1996. Ce sont des réformes structurelles qu’il faut, il faut modifier les choses, ce n’est pas simplement la politique au jour le jour.
P. Lapousterle : Quand vous avez lu ce matin que la France avait été sélectionnée parmi les treize pays pour participer à la monnaie européenne ?
M. Blondel : Je souris. Je n’y comprends rien.
P. Lapousterle : Vous ne comprenez pas grande chose ce matin ?
M. Blondel : Oui, c’est vrai, il y a un moment où on est un peu déboussolé devant ces choses-là. Peut-être une des raisons qui pouvaient conduire ou justifier la dissolution, c’était que la France n’allait pas satisfaire les critères de convergence que nous avons-nous-mêmes fixés – il faut savoir ça, c’est amusant. Les 3 %, c’est les Français qui ont voulu faire plus pur que les purs, et ils ont dit 3 % et on se serrait la ceinture, parce que c’est ça la vérité. Alors, parce que on ne pouvait pas y rentrer, qu’on allait avoir des difficultés, ça pouvait être une des justifications, de manière à ce que, pendant la campagne électorale, on aborde peut-être un petit peu le problème de l’Europe – ce qui n’est pas sûr – et qu’on aborde en disant : quelle est la part de souveraineté que les Français sont prêts à abandonner, et à abandonner à qui ? Cela méritait quelque réflexion. On ne fera pas l’économie de ce débat.
Alors, les élections étaient peut-être un moyen de shunter, mais quand même d’aborder le sujet pour pouvoir répondre à ces fameuses convergences. Et miracle ou divine surprise ! voilà l’Europe qui dit : dans le fond, ils vont quand même vers… Donc, treize pays sur quinze. J’ai l’impression qu’il y a eu du laxisme. Je ne vais pas en pleurer parce que ça va donner un peu plus de marge pour les négociations, que ce soit les salaires, l’engagement de l’État, etc. Bien, bravo. Mais ça veut dire que les critères de convergence, c’est plus une recommandation qu’autre chose.
P. Lapousterle : Le 1er mai, il y aura une manifestation unitaire des syndicats ?
M. Blondel : Non, vous savez bien que non. Nous allons faire, dans à peu près une cinquantaine d’endroits en France, des meetings, des réunions, des défilés. Moi, j’irai à Bordeaux, par hasard ! et j’irai prendre la parole là-bas. Il y a à Paris, c’est ce dont vous voulez parlez Monsieur Lapousterle, une manifestation unitaire à l’initiative de l’union départementale force Ouvrière de Paris d’ailleurs. Mais cette manifestation unitaire est un petit peu ambiguë, dans la limite où il y a à la fois la revendication, ou il y a la fois une volonté de faire une espèce de front républicain, ça se veut une réponse à Monsieur Le Pen, et puis maintenant, ça s’inscrit dans la campagne électorale. C’est quelque chose qui me gêne un petit peu, pour ma part, je ne condamne rien mais je n’approuve guère. Ce sont des choses qui arrivent dans une famille il y a parfois des petites nuances de cette nature, ça n’ira pas trop loin, selon moi, c’est tout à fait relatif. Ceci étant, j’aimerais bien que le 1er mai, plus que dans les manifestations mais dans la tête des travailleurs, ils se souviennent que ce n’est pas leur fête, c’est leur jour de lutte et deuxièmement, qu’ils lèvent la tête pour les combats futurs parce que ce n’est pas la dissolution et la réélection qui va mettre en l’air les revendications : elles sont encore là, elles sont devant nous et il fut les prendre en compte.
Sud-Ouest : Mercredi 30 avril 1997
Sud-Ouest : C’est une première : vous allez passer le 1er Mai à Bordeaux. Pourquoi ?
Marc Blondel : Je voudrais dire d’abord que le 1er Mai s’inscrit dans une tradition de solidarité internationale. C’était l’occasion de dire que les travailleurs d’autres pays n’étaient pas des étrangers mais des travailleurs comme nous. Ne laissons pas détourner cet idéal. Force ouvrière a pris une cinquantaine d’initiatives à l’occasion de ce 1er Mai. D’importantes diverses. Des prises de parole dans des meetings, des repas militants, des commémorations, une manifestation au Mur des fédérés. Je vais à Bordeaux à l’invitation de l’Union départementale de la Gronde. Mais aussi, je ne le cache pas, parce que cela prend une valeur symbolique dans la ville où le Premier ministre est maire.
Sud-Ouest : N’est-ce pas une manière de s’immiscer dans la campagne ?
Marc Blondel : La décision avait été prise avant l’annonce de la dissolution et je rappelle que nous ne prendrons pas position pour ou contre les candidats à la députation. Les militants de Force ouvrière sont des citoyens libres qui ont le droit de voter comme ils veulent et de s’engager dans les partis qu’ils préfèrent tant que ceux-ci n’essaient pas d’aliéner la liberté des syndicats. Je vais donc être limité dans mes propos, bien que les affirmations de campagne du premier ministre appellent inévitablement quelques commentaires…
Sud-Ouest : Est-ce que, de toute façon, FO ne s’oppose pas à la politique menée depuis deux ans ?
Marc Blondel : Comme il s’agit d’une politique économique restrictive, ceux qui représentent les salariés, sauf exception, ne peuvent pas être d’accord. Et comme le mouvement syndical repose sur une action collective, nous sommes en opposition avec ceux qui prônent l’individualisme. Le syndicalisme doit être rebelle à toutes les attitudes attentistes ou conservatrices. Il n’y a pas de progrès sans revendication, c’est le moteur de l’histoire…
Sud-Ouest : Pouvez-vous contester qu’il y ait eu réduction des déficits ?
Marc Blondel : Je suis d’une prudence de chat sur les chiffres auxquels on peut faire dire ce que l’on veut. Ce que je sais, c’est que selon les prévisions de la Sécurité sociale, le déficit est de 50 milliards. Et même 90 milliards cumulé en trésorerie…
Dans tous les pays développés se pose la question de savoir combien on réaffecte au social et comment on gère cette réaffectation. Si l’on ne sait pas le faire en France, cela peut conduire à remettre en cause le système lui-même, car ce sont surtout les recettes qui font défaut. Je me trouve donc dans une situation paradoxale consistant à dire : « Il vaudrait mieux que ça marche. » Et ceci étant, cela ne marche pas ; on l’a bien vu quand les internes étaient dans la rue. Demain, d’autres soubresauts sérieux auront lieu dans l’hôpital public, puis quand on commencera à mettre en cause le niveau des remboursements.
Sud-Ouest : Il est pourtant question de Sécurité sociale universelle…
Marc Blondel : C’est une hirondelle dans un ciel sombre. Mais méfions-nous de cette expression. Cette mesure aura pour premier effet de transférer la charge que représente pour le budget de la ville de Paris la carte Santé dont bénéficient les personnes démunies.
Elle va être assumée par la Sécurité sociale. Cela ne saurait en aucun cas améliorer sa situation financière. Il est cependant normal que les exclus aient droit eux aussi à la Sécurité sociale, et j’approuve cela.
Une vraie Sécurité sociale universelle, en outre, supposerait que tout le monde ait les mêmes devoirs et les mêmes droits. Le jour où l’on obtiendra des agriculteurs qu’ils cotisent autant que les salariés, alors là, oui, on pourra parler de Sécurité sociale universelle
Libération : 30 avril 1997
Libération : Pourquoi ne participerez-vous pas à la manifestation unitaire du 1er Mai à Paris ?
Marc Blondel : Comme tous les ans, nous avons demandé à nos organisations ce qu’elles comptaient faire pour le 1er Mai. Je n’ai pas eu de réponse de la part de l’union de FO de Paris. Tout à fait incidemment, j’ai appris qu’elle était à l’initiative de cette manifestation unitaire. De plus, le thème de cette manifestation détournait le sens du 1er Mai au bénéfice d’une opération plus politique que syndicale. La démarche unitaire n’est pas choquante. Mais, quand elle vient de la part de gens qui me reprochent d’avoir serré la main du secrétaire de la CGT, Louis Viannet, en décembre 1995, avouez que c’est cocasse, alors qu’il va défiler à leurs côtés. À l’origine, le 1er Mai, c’est la volonté des travailleurs de défendre leur dignité par une journée de grève internationale. Quand on est internationaliste, on combat le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme. Et puis pourquoi j’irais défiler avec la CFDT ? Nicole Notat est pour la mondialisation, pour la loi Robien. Nous n’avons pas les mêmes orientations.
Libération : Quel jugement portez-vous sur la campagne électorale ?
Marc Blondel : Je continue à penser que le Président n’a pas mesuré toutes les conséquences de sa décision de dissoudre l’Assemblée. Même si la majorité actuelle le reste après ces élections, elle ne sera plus aussi forte qu’aujourd’hui et ses amis pourraient bien lui reprocher de ne pas avoir maintenu cette position. Je n’ai pas entendu pour l’instant grand-chose de nouveau pendant la campagne électorale. Le discours tenu aujourd’hui par le Président de la République n’est qu’un rectificatif de celui qu’il tenait pendant la campagne pour la présidentielle. Déjà, en octobre, il y avait eu un changement dans les faits et maintenant, pour solde de tout compte du discours de 1995, on provoque une nouvelle campagne électorale.
Libération : Vous craignez de voir la prochaine majorité opérer un virage libéral ?
Marc Blondel : Je crains deux choses. Tout d’abord la mise en place d’un plan d’austérité accrue. Ce qui reviendrait à avouer que les réformes lancées par le gouvernement Juppé, notamment celle de la Sécurité sociale, ont échoué. Je crains également que certains tentent de justifier ces élections par la nécessité de combattre les conservatismes et les freins aux réformes. Sous-entendu, les organisations syndicales sont des empêcheurs de tourner en rond dont il faut affaiblir les moyens d’expression. Cela pourrait devenir attentatoire à la démocratie. On veut donner l’impression que l’État va se désengager. On parle de 5 000 à 10 000 fonctionnaires en moins alors qu’il y a aujourd’hui un million de fonctionnaires hors statut et qui travaillent tous les jours. Sur la Sécurité sociale, la réforme n’a pas été lancée pour la protéger. Les objectifs financiers ne seront pas atteints, je le regrette. Cela signifie qu’on va tenter de nous en remettre une couche. Nous allons tout droit vers un rationnement des soins et cela sera la fin de la Sécurité sociale égalitaire et solidaire. La majorité retourne devant les électeurs pour poursuivre sa politique économique et la durcir alors que c’est cette politique restrictive qui était à réviser. Le 1er mai sera pour nous l’occasion de réaffirmer nos revendications, sans prendre part à la campagne.
Libération : Le PS propose un passage aux 35 heures pour réduire le chômage. C’est efficace, selon vous ?
Marc Blondel : Si on ne modifie pas les choses de manière structurelle, on ne parviendra pas à endiguer la montée du chômage. Ce qui signifie qu’en matière de durée du travail il faut une réduction substantielle pour espérer créer des emplois. C’est bien au-delà des 35 heures et la loi Robien est loin d’avoir une potée suffisante. Les méthodes pour parvenir à cette réduction peuvent prendre plusieurs formes. D’abord une négociation interprofessionnelle puis une loi et des déclinaisons par secteur professionnel, afin de rendre cette réduction du travail la moins myope possible. La priorité, c’est l’emploi. Si on aborde la question du pouvoir d’achat, on fera l’ajustement. Au besoin en acceptant une peu d’inflation.
Paris Match : avril 1997
Paris Match : Pour la cinquième fois dans l’histoire de la Ve République, l’Assemblée va être dissoute. Jacques Chirac a-t-il fait le bon choix ?
Marc Blondel : C’est purement et simplement un aveu d’échec. Cela revient à dire que le gouvernement reconnaît que les Français ne lui font pas confiance. Voilà un bel exemple de tactique électorale. Car ne soyons pas dupes : il s’agit avant tout de justifier un resserrage sévère des boulons. Si la majorité présidentielle gagne ces législatives anticipées, le prochain gouvernement pourra se targuer d’avoir une nouvelle légitimité pour nous imposer un nouveau plan d’austérité.
Paris Match : Selon vous, le gouvernement prépare donc un plan de rigueur. À cause des dérives des comptes publics ?
Marc Blondel : Écoutez, les chiffres parlent d’eux-mêmes. De 300 milliards de déficit public il faut descendre à 240 pour tenir les engagements de Maastricht. Juppé voulait y aller par tranches de 30 milliards. On en est aujourd’hui à 295 milliards. M. Juppé n’a donc pas réussi à ramener les déficits au niveau promis. Les réformes si prometteuses de M. Juppé, qui pourtant ont été saignantes, n’ont pas donné les résultats escomptés.
Paris Match : Justement, on parle maintenant d’un dérapage des comptes de la Sécu de plus de 45 milliards de francs pour 1997. Le gouvernement dément. Alors, ce trou de la Sécu, il serait aussi catastrophique ?
Marc Blondel : La vérité, seul M. Arthuis pourrait la dire et je rappelle qu’un ministre ne doit pas mentir… Le déficit prévu pour 1997 s’élevait à 97 milliards. Je pense que nous atteindrons les 50 milliard. Et le plus inquiétant, c’est que ça ne risque pas de s’arranger. Le gouvernement est en train d’obérer les ressources de la Sécurité sociale et il voudrait nous faire les complices de la destruction de la Sécu. Ce n’est pas en multipliant les exonérations de charges sociales, notamment patronales, de type Robien, qu’on améliorera la situation.
Paris Match : Puisque vous affirmez qu’il y a dérapage des déficits, il va bien falloir les combler. Comment faire ?
Marc Blondel : Puisqu’on n’a pas voulu écouter ce que F.O. réclamait au moment de la réforme de la Sécu, à savoir une réaffectation des dépenses, eh bien il n’y a qu’une solution : affecter le déficit à l’État. Maintenant, je regrette, mais c’est au Parlement de trouver une solution.
Paris Match : Et si la solution choisie était d’augmenter la CSG, les cotisations ou encore de toucher au ticket modérateur ?
Marc Blondel : Nous nous battrons contre tout ce qui pourrait remettre en cause le pouvoir d’achat et la couverture sociale des salariés. Sous quelle forme, on verra.
Paris Match : Voulez-vous dire qu’au nom de l’euro les éventuels sacrifices demandés aux Français ne seraient pas justifiés ?
Marc Blondel : Les gouvernements de droite comme de gauche n’ont jamais manqué d’arguments pour justifier un plan de rigueur. Un gouvernement trouve toujours un bon prétexte pour s’attaquer au pouvoir d’achat, à la couverture sociale ou à la flexibilité du travail. Les critères de convergence, c’est aussi n prétexte. Je rappelle qu’il ne s’agit pas de contenir les déficits à 3 %, mais de tendre vers l’objectif des 3 %. A 3,4 ou 3,5, on peut dire qu’on est sur la bonne voie… C’est plus inquiétant si l’on atteint les 3,8 !
Paris Match : Vous êtes donc partisan d’un assouplissement des critères de convergence ?
Marc Blondel : Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Vous savez, plus j’avance dans mon activité syndicale, plus je suis détaché de la notion budgétaire. Je ne connais pas un gouvernement qui applique à la lettre le budget voté par le Parlement. Au nom du respect budgétaire, on fait avaler beaucoup de bobards aux Français. Il y a encore quinze jours, M. Arthuis affirmait que la France était prête pour la monnaie unique. Quand un athlète veut sauter 2,30 mètres et que, par trois fois, il n’y arrive pas, il est bien obligé de renoncer. Après tout, si Kohl et Chirac décidaient qu’à la place de 3 % on adoptait 5 %, ils donneraient la liberté d’avoir une possibilité de relance économique par l’État. Ce n’est qu’un problème de convention entre eux.
Paris Match : Bref, l’habillage européen de la dissolution vous semble injustifié ?
Marc Blondel : La dissolution n’est motivée que par des raisons de politique politicienne. La monnaie unique, ce n’est pas l’Europe ! On n’a jamais consulté les Français sur le problème le plus important : qu’acceptez-vous de déléguer comme pouvoir national à un pouvoir européen ? On a laissé croire aux Français qu’ils étaient toujours dans les États-Unis d’Europe.
Paris Match : En fait, vous reprochez à Chirac d’occulter le débat européen des législatives en précipitant les échéances par une dissolution ?
Marc Blondel : Oui. Je pense que l’on n’a pas le droit de faire évoluer les institutions, y compris quand il s’agit de la souveraineté nationale, à l’insu du peuple. Parce que cela ne marchera pas. Vous pouvez faire un État fédéral européen, les Français ne le reconnaîtront pas. Et comme les Allemands non plus ne le reconnaîtront pas, cela ne marchera pas. La dissolution ne m’intéresse que si elle est susceptible d’entraîner un changement de la politique économique du gouvernement.