Article de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, et Théo Waigel, son homologue allemand dans "Le Monde" du 23 septembre 1996, sur la convergence des politiques économiques française et allemande dans la perspective de l'UEM et le pacte de stabilité budgétaire entre pays membres de l'euro, intitulé "l'Union monétaire se fera à l'heure dite".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Nous sommes plus jamais convaincus que l’Union monétaire européenne sera un grand succès et nous portons la même appréciation sur tous les sujets importants qui restent en suspens. La reprise actuelle de la croissance et les efforts sans précédent accomplis par nos deux gouvernements pour rééquilibrer les finances publiques permettront à nos deux pays de respecter les critères de Maastricht et de réaliser l’Union monétaire le vendredi 1er janvier 1999.

Au cours des dernières décennies, les rythmes économiques de la France et de l’Allemagne ont été de plus en plus comparables. Les deux économies n’ont divergé que dans les circonstances exceptionnelles. À la suite de la récession de 1993, une hausse inattendue des taux d’intérêt à long terme et des fluctuations malencontreuses des taux de change ont entravé la forte reprise qui s’esquissait. Un ralentissement temporaire au tout début d’une reprise n’a rien d’inhabituel. Cela s’est produit en 1977 et probablement aussi à la fin de 1995 et au début de 1996.
À la fin de 1995, la croissance s’était arrêtée dans les deux économies. Des facteurs particuliers ont joué lors du dernier trimestre dans chaque pays mais la tendance commune lors de la première moitié de l’année a été une croissance d’environ 1,5 pour cent par rapport à l’année précédente. Le rythme de la croissance devrait s’accélérer davantage au début de 1997.

Les conditions dans lesquelles fonctionnent nos économies n’ont jamais été aussi favorables depuis de nombreuses années. Les marchés asiatiques, américains et, de façon croissante, est-européens sont à la hausse. Les taux de change des principales devises correspondent davantage aujourd’hui aux fondamentaux économiques. En Europe même, l’inflation reste contrôlée et le pilotage de l’économie a été rééquilibré d’une manière significative avec une diminution des déficits publics et des marges de manœuvres plus grandes dans les politiques monétaires.

Des économies française et allemande ont dans une large mesure les mêmes besoins structuraux. Les dépenses publiques en augmentation ont fait peser un fardeau toujours plus lourd sur la croissance. La rigidité des marchés de l’emploi et des coûts de production élevés ont constitué des obstacles à la création d’emplois.

La situation du marché de l’emploi telle que la décrivent les inacceptables statistiques du chômage constitue notre principale préoccupation. Des progrès ont été accomplis en direction d’une plus grande flexibilité de l’emploi et d’une diminution des charges. Des mesures bien ciblées ont été adoptées pour encourager la création d’emplois. En ce qui concerne les finances publiques, les dirigeants politiques ont compris maintenant qu’ils ne pouvaient pas alimenter une activité à court terme aux dépens des générations futures.

Nous sommes convaincus qu’une croissance saine et une réduction du chômage ne se conçoivent pas sans des finances publiques saines. Contrairement à la tendance précédente, les déficits publics ont été maîtrisés cette année et seront ramenés en 1997 à la fois en Allemagne et en France aux niveaux exigés par le traité de Maastricht.

Certains ont exprimé leur inquiétude concernant les effets négatifs à court terme de cette rigueur budgétaire. Cette inquiétude est sans fondement. Il faut cesser de croire qu’on stimule la croissance en augmentant les dépenses publiques. La rigueur budgétaire a déjà été récompensée par une diminution massive des taux d’intérêt à court terme, pour le profit directe et immédiat des ménages et des entreprises.

La nécessité de réduire la part du secteur public dans nos économies est à l’origine des budgets pour 1997 dans nos deux pays. Nous faisons des efforts sans précédent à propos des dépenses publiques. Ce qui permettra à la France et à l’Allemagne de remplir tous les critères de convergence stipulés dans le traité de Maastricht et de réaliser l’Union monétaire européenne à la date prévue.

Le symbole de l’intégration

Lorsque, le 1er janvier 1999, la troisième étape de l’union économique et monétaire sera réalisée, les taux de change seront fixés de façon irrévocable entre les devises des pays membres de l’Union européenne qui remplissent les critères de Maastricht. Ces pays auront été choisis par le Conseil européen le plus tôt possible en 1998. Leurs économies auront atteint un degré suffisant de convergence. La France et l’Allemagne seront du lot. Nous espérons que le plus grand nombre possible de membres seront alors avec nous et que les autres nous rejoindront le plus tôt possible.

L’Union monétaire deviendra le symbole de l’Union européenne, le résultat concret de l’intégration européenne. Elle sera la réponse stratégique de l’Europe à la globalisation des marchés financiers. Sa réussite requiert un ferme engagement de stabilité financière. Tel est l’intérêt commun de tous les États membres, car c’est l’une des conditions cruciales de la stabilité intérieure et extérieure de l’euro. Cette préoccupation était au cœur de la proposition allemande d’un pacte de stabilité en Europe, proposition qui reçut le plein soutien du gouvernement français. Elle a été approuvée par tous les pays membres.

Le Conseil européen de Florence a affirmé que l’Union monétaire devrait être fondée sur une stricte discipline budgétaire et que chaque État membre devrait avoir pour objectif un budget équilibré ou en excédent à moyen terme. Les 3 % de déficit resteront la limite supérieure autorisée pour chaque gouvernement après la mise en circulation de l’euro. Les gouvernements se fixeront des objectifs inférieurs de façon à pouvoir laisser jouer les « stabilisateurs automatiques » en tant que de besoin.

Tout en sauvegardant la souveraineté nationale dans la définition et la conduite de la politique budgétaire, toutes ces clauses garantiront que les États impliqués suivront activement et sans interruption une politique budgétaire saine. Tel est l’intérêt de chaque État membre comme de l’Europe dans sa totalité. Ainsi se trouvera réalisé l’environnement nécessaire pour une croissance soutenue et non inflationniste ainsi que pour la création d’emplois.

Travailler ensemble

Un bon début pour l’euro requiert aussi le maintien de la stabilité des taux de change comme l’un des objectifs principaux de la politique économique à l’intérieur de l’Union européenne. La stabilité des taux de change en Europe a été l’un des clés de notre stratégie économique, et elle le restera à l’avenir vis-à-vis des pays de l’Union européenne qui ne participent pas d’entrée de jeu à l’Union monétaire.

Le bon fonctionnement du marché unique ne doit pas être mis en danger par des taux de change malencontreux ou par des fluctuations excessives entre l’euro et les autres devises européennes. Une convergence profonde des fondamentaux économiques reste la condition sine qua non pour une stabilité assurée des taux de change. Elle exige des politiques monétaires disciplinées et responsables dans tous les pays européens avec pour objectif la stabilité des prix.

La coordination des politiques monétaires dans le cadre du conseil de la Banque centrale européenne jouera donc un rôle crucial. La surveillance multilatérale au niveau communautaire devra inclure le contrôle des vicissitudes des taux de change, et des mesures permettant d’éviter des fluctuations excessives devront être envisagées.

Il ne fait pas de doute que les ministres des finances joueront un rôle important dans ce processus. De façon plus générale, les gouvernements des États membres devraient travailler ensemble plus étroitement et échanger leurs points de vue sur la conjoncture économique et les politiques qu’il convient d’adopter en conséquence. Et ce au sein d’un conseil informel de stabilité.

En outre, le nouveau mécanisme de taux de change facilitera la convergence entre les États membres qui ne participent pas à la mise en place de la monnaie unique. Cela leur permettra de réaliser les progrès nécessaires pour adopter l’euro tout en permettant le bon fonctionnement du marché unique.

En décembre prochain, les chefs d’État et du gouvernement se retrouveront à Dublin. À ce sommet, nos collègues et nous-mêmes fourniront au Conseil européen des conclusions ouvrant la voie à des progrès ultérieurs sur les questions fondamentales de la stabilité budgétaire et monétaire. Nous voulons que le conseil de Dublin, comme celui de Madrid l’an dernier, laisse le souvenir d’une étape décisive sur le chemin de l’Union monétaire européenne.