Interview de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, dans "L'Humanité" du 13 février 1998, sur l'application de la loi sur l'air et l'expérimentation de véhicules et de carburants propres dans les transports en commun.

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Média : L'Humanité

Texte intégral

Q. – L’instauration de la pastille verte qui permettra à certains véhicules de rouler en cas d’alerte à la pollution n’est-elle pas une prime aux plus riches ?

R. – Non, sincèrement, je ne le pense pas. Il faut en effet avoir à l’esprit l’ensemble du dispositif. Celui-ci articule deux préoccupations à mes yeux inséparables : l’action pour l’environnement et la justice sociales. Il y a à la fois la pastille verte, qui sera attribuée aussi bien aux véhicules à essence qu’aux diesels, et aussi, en cas de pic de pollution de niveau 3 entraînant des restrictions de circulation, le maintien de la circulation alternée, la libre circulation des deux-roues et la gratuité des transports collectifs. C’est donc un dispositif équilibré qui a été arrêté après une concertation approfondie au sein du gouvernement. Certes, ce dispositif est encore perfectible. Je pense notamment qu’à terme des contrôles techniques antipollution plus fréquents et bien adaptés – en même temps qu’ils permettraient aux automobilistes de faire des économies de carburant – auraient des effets plus permanents sur la pollution de fond de nos villes et conforteraient la pérennité du dispositif. Mais tel qu’il est, je le répète, ce dispositif me paraît satisfaisant.

Q. – On dispose aujourd’hui de carburants propres qui à l’instar de l’aquazol permettraient à des véhicules de transport urbain de rouler sans polluer. Cependant, pour l’heure, ni la RATP ni les sociétés de transport des grandes villes n’ont décidé d’utiliser ce type de carburant qui n’a toujours pas d’existence administrative et fiscale. Que peut faire le ministre des Transports ?

R. – Cette question ne relève évidemment pas du seul ministre des Transports : elle concerne, entre autres, les ministères des Finances, de l’Industrie, du Budget, de l’Environnement… Il y a d’une manière générale une volonté du gouvernement d’avancer sur de tels dossiers, sans privilégier a priori telle ou telle solution, mais en faisant ce qui est nécessaire pour être rapidement en mesure de prendre les décisions les plus adaptées. Comme ministre des Transports, je n’ai d’ailleurs pas attendu le dernier conseil des ministres pour prendre des dispositions en ce sens, puisque d’ores et déjà, avec le Groupement des autorités organisatrices des transports (le GART) et les entreprises, dont naturellement la RATP, nous avons pris des dispositions pour que soient expérimentées en vraie grandeur différentes filières technologiques « propres » pour les autobus, telle l’utilisation du gaz liquéfié (le GPL, gaz de pétrole liquéfié, mais aussi le GNV, c’est-à-dire le gaz naturel) ou de « carburants propres ». La RATP, par exemple, va commander une première tranche de deux cents autobus ; d’autres réseaux de province ont pris des décisions semblables. Parallèlement, de nouveaux filtres à particules sont expérimentés. Un dispositif d’évaluation est en cours de mise en place et les résultats seront rendus publics.

Q. – D’une manière générale, que peut-on envisager pour que les flottes captives des grandes villes deviennent rapidement moins polluantes sans pénaliser les usagers ?

R. – Les innovations technologiques permettront rapidement, dès lors que la volonté politique existe, aux transports publics d’être exemplaires en matière de lutte contre la pollution. Ils le sont déjà dans le cas des métros, des tramways, des systèmes bi-modes… De plus, le développement de ces transports, de l’offre des services publics de transport de qualité et bien adaptés apparaît clairement comme la meilleure réponse à apporter à la pollution urbaine. Il faut donc consacrer davantage de moyens aux transports publics, et l’État se doit de donner l’exemple. Il faut aussi avoir une approche plus globale de la politique des déplacements en zone urbaine, mieux articuler transport et urbanisme, avec le souci de diminuer les déplacements inutiles qui sont sources à la fois de fatigue et de pollution et de mieux protéger le cadre de vie.

C’est ce travail de concertation en profondeur que le ministère mène actuellement avec les élus et les collectivités territoriales dans une quarantaine d’agglomérations autour de la définition de « plans de déplacements urbains ». Je crois que c’est essentiellement de cette manière que nous pourrons progressivement améliorer la qualité de l’air que nous respirons et réconcilier durablement ces deux éléments essentiels du progrès social que sont à mes yeux le transport, c’est-à-dire la faculté de se déplacer librement, et la ville.