Texte intégral
Le rapport de Jean-Paul Magnon et la discussion que nous venons d’avoir ont examiné les tâches qui incombent au Parti, aux hommes et aux femmes communistes, après notre 29e congrès. Il s’agit de donner la force et la consistance de la vie aux orientations politiques décidées à cette occasion par les adhérents du Parti après sept mois de riche discussion.
L’essentiel de ce 29e congrès, c’est le choix d’une politique audacieuse – dans son contenu et dans sa forme – afin de répondre aux urgences de la situation, aux attentes de notre peuple, à ses souffrances au présent comme à ses angoisses pour l’avenir. Et, pour être à la hauteur de cette ambition, c’est la volonté clairement affirmée d’un Parti communiste décidé à mener à bien sa mutation, totalement libéré des pesanteurs du passé, et bien en prise avec les réalités et les défis de notre temps. Un Parti communiste en train de reconquérir toute sa place dans la nation française. Un Parti communiste inventif, déterminé, résolument ouvert à ce qui bouge et palpite dans l’opinion. Et – nous le voulons de toutes nos forces – un Parti communiste répondant présent au rendez-vous de la modernité et des exigences de notre peuple tel qu’il est aujourd’hui.
Jean-Paul Magnon et plusieurs intervenants dans la discussion l’ont souligné : la politique novatrice définie par le congrès n’a rien d’une construction arbitraire ou d’une incantation de principe. Elle correspond aux nécessités. Nécessité d’être constructifs dans la riposte aux agressions d’un pouvoir arrogant et hautain, qui fait de la surdité aux appels du pays un principe de gouvernement et maintient obstinément le cap d’une politique dévastatrice. Nécessité d’être constructifs dans l’action rassembleuse pour arracher ce qui peut l’être – et, après d’autres et sans aucun doute avant d’autres, les routiers viennent de montrer que pouvoir et patronat peuvent être contraints au recul. Nécessité d’être constructifs dans une manière neuve de concevoir et de faire la politique, alors que tout confirme la méfiance des Françaises et des Français à l’égard de leurs dirigeants, des promesses électorales en tout genre, des « programmes » bien huilés, élaborés sans eux. Nécessité d’être constructifs pour ouvrir une perspective alternative de changement véritable auquel notre peuple aspire tant et dont il a tant besoin.
Pour faire face à ces nécessités, nous avons décidé de mettre au cœur de notre activité, le déploiement d’une dynamique, d’une mobilisation de la société elle-même : l’intervention citoyenne.
Là encore, il ne s’agit pas d’un mot, d’une marotte, ou d’un slogan. C’est une conviction profonde que le chemin de l’efficacité et du succès pour notre peuple, pour le changement et pour la gauche, passe par là. Davantage même : efficacité, crédibilité et, au bout du compte, succès en dépendent. Parce que l’intervention citoyenne peut permettre l’irruption dans le champ de la politique de celles et ceux qui en sont aujourd’hui écartés. Parce qu’elle peut faire grandir des solidarités concrètes, des liens effectifs, la conscience d’une force, à l’opposé des tendances au repli, à l’isolement social et civique que provoque le délitement du lien social aujourd’hui. Parce qu’elle vise à restituer à notre peuple une capacité de parole, d’échange, d’élaboration, d’initiative dont il est aujourd’hui dépossédé. Et parce que, étant tout cela, elle est seule à même de faire bouger les choses dans le pays, de faire bouger les choses à gauche. Pour donner à celle-ci l’élan nécessaire d’une confiance retrouvée et en faire, comme je l’ai dit en conclusion de notre congrès, non « une gauche qui joue petits bras », mais « une gauche qui aille au-devant de la vie » pour « écrire un chapitre neuf des grandes conquêtes populaires de notre histoire ».
Car c’est bien tout cela que nous voulons réussir, que nous voulons contribuer à réaliser pour la justice et le mieux-être de notre peuple. Et c’est bien cela que notre peuple attend de nous.
Permettez-moi de souligner ici avec force la nécessité pour notre Comité national de bien aider chacune et chacun des communistes à saisir dans toute son ampleur cette attente à notre égard. Pour une part déterminante, la conviction de l’utilité du Parti communiste pour notre peuple, au moment où il aspire majoritairement à des changements réels, va dépendre de notre capacité à déployer tous nos efforts avec audace et imagination pour que s’ouvre une alternative à gauche. Tout ne dépend pas de nous en la matière, et les Français le savent, mais il est capital – pour eux et pour nous – que nous fassions tout ce qui dépend de nous.
Beaucoup d’intervenants, après le rapport, ont souligné combien notre congrès, son déroulement, ses décisions, le renouvellement et la « féminisation » des équipes dirigeantes du Parti avaient été appréciés dans l’opinion. Beaucoup ont également noté combien « l’ouverture à la société » pratiquée dans sa préparation – et jusque dans son déroulement – avait intéressé celles et ceux qui s’y étaient impliqués. Et qu’elle devait à présent se poursuivre et s’amplifier. Cela nous donne des responsabilités nouvelles pour ne pas « laisser retomber la pâte », pour ne pas décevoir les attentes que nous avons nous-mêmes suscitées. Bref, pour ne pas « tourner la page » du congrès, mais lui donner tous les prolongements créatifs, inventifs qu’il appelle et qu’exige la situation du pays.
Il faut mesurer les possibilités qui s’offrent à nous pour aller de l’avant, tout comme le chemin qui nous reste à parcourir et les responsabilités qui nous incombent pour cela.
Car nos responsabilités et ce qu’il convient de faire pour les assumer positivement sont immenses. Nous l’avons souligné au congrès, en appeler au développement de l’intervention citoyenne ne consiste pas pour nous à dire aux salariés, aux citoyens, aux hommes et aux femmes aspirant au changement : « allez ! Intervenez ! ». Nous ne nous en remettons pas à la spontanéité. Nous savons que, pour que l’intervention citoyenne se déploie, il faut – il faut absolument – que le Parti communiste joue tout son rôle, démultiplie son activité, se renforce. Avec son projet, ses propositions qu’il soumet au débat et à l’action des salariés, des citoyens. Avec ses initiatives pour permettre aux luttes contre la politique du pouvoir de s’affirmer et aux exigences populaires de changement de se fortifier et de prévaloir dans une construction politique neuve.
Notre projet – je crois qu’il est bon d’y revenir – ne se présente pas, en effet, comme un « programme » au sens classique et habituel du terme. Il ne constitue pas le « bon plan » qu’un « bon gouvernement » aurait à mettre en œuvre. Les Français ont été trop échaudés dans le passé par ce genre d’engagement et, comme on dit : « ils ne marchent plus ». Ils veulent être écoutés, entendus, devenir acteurs et décideurs, participer aux choix qui engagent leur vie, disposer de représentants qui n’en prennent pas à leur guise avec eux, mais qui soient des « relais citoyens » de leurs exigences. Bref, c’est dans la perspective de ce que nous appelons une nouvelle façon de faire la politique que s’inscrit notre projet.
En ce sens, pour réaliser les transformations nécessaires, il faut, certes, une action gouvernementale, des décisions gouvernementales – et donc, la victoire d’une nouvelle majorité à laquelle nous nous employons à travailler. Mais il faut inséparablement un mouvement de société bien plus vaste, précisément : l’intervention citoyenne, indispensable pour faire céder les résistances, patronales et autres, pour faire prévaloir des mesures de changement à l’unisson du mouvement populaire, pour faire vivre le cours neuf d’une véritable démocratie de participation permettant aux citoyens de maîtriser le cours d’une politique qui se fasse avec eux et pour eux.
C’est bien pourquoi les orientations du projet communiste ne se présentent pas sous la forme d’un « voilà ce que nous ferons demain si nous participons au pouvoir ». Mais d’un « voilà ce que nous pouvons faire ensemble dès aujourd’hui, construire ensemble dès aujourd’hui, pour répondre aux difficultés qui vous assaillent, modifier le cours des choses et créer ainsi la dynamique nécessaire à des transformations plus amples ».
Il est d’autant plus nécessaire de voir les choses ainsi, me semble-t-il, pour être en phase avec les aspirations qui parcourent la société, que – nous y avons insisté lors du congrès – chaque question posée ne renvoie pas seulement à la simple rubrique partielle d’un programme où elle serait traitée, mais touche en son fond à des interrogations plus essentielles portant sur la nature même de la société, sur ses finalités, sur la place que doivent y tenir la personne humaine et l’« argent », sur ce que veut dire aujourd’hui « vivre ensemble » dans une société moderne et civilisée.
Telle est bien la démarche neuve et ambitieuse décidée par notre congrès, et qu’il nous appartient de faire vivre. Elle se ramène au fond à cette nécessité : créer partout, avec audace et imagination, les conditions du déploiement de l’intervention citoyenne. Les conditions politiques, touchant au contenu de la politique nécessaire pour changer vraiment, à la construction politique nouvelle qu’il faut réaliser pour cela. Les conditions matérielles, c’est-à-dire les formes et les moyens permettant à l’initiative populaire de prendre corps en se déployant.
Ce que propose le rapport en ce sens correspond bien, je crois, à cette orientation, à ce que nous avons décidé au 29e congrès.
Nous voulons en effet continuer le dialogue à gauche, avec les forces de progrès et les écologistes. Il importe de l’approfondir tant dans des contacts bilatéraux que dans des rencontres plus larges. Car il faut avancer. Et nous ne négligerons aucun moyen d’y parvenir. Nous inviterons à le faire, répondrons aux invitations qui nous seront faites dans cet esprit.
En même temps, nous allons contribuer à ce que se forgent, à partir des problèmes posés, des dynamiques de réflexion et d’action avec toutes les formations qui le souhaitent. Que cela implique toute la gauche ou seulement telle ou telle de ses composantes. C’est le sens de la rencontre que nous avons eue avec le Mouvement des citoyens, de la déclaration commune que nous avons signée afin d’exiger que notre peuple se prononce sur le passage à la monnaie unique, des initiatives que nous allons prendre ensemble et qui ne gênent en rien les campagnes propres de chacun. Et la première d’entre elles, ce sera le grand meeting organisé en commun à la Mutualité à Paris, le 19 février. D’autres rencontres de ce genre avec d’autres formations politiques sont également prévues.
De même, dans l’esprit de la démarche politique qui est la nôtre et que je viens de rappeler, nous venons de décider d’organiser, dans tout le pays et à l’échelle de chaque département, des assises pour le changement en 1998. Et cela, chacun le comprend bien, afin de permettre l’intervention la plus large, la plus libre et la plus ouverte de tous les salariés, les citoyens qui le souhaiteront, des formations politiques de gauche, de progrès, écologistes. Et aussi, j’y insiste, de toutes les organisations, associations et personnalités qui voudront participer à cette dynamique, à cette recherche, à ce mouvement pour que de cette échéance de 1998 puisse sortir quelque chose de positif pour notre peuple.
Car des obstacles importants demeurent entre formations de gauche, de progrès, écologistes. Nous avons la volonté de les surmonter, de construire une union nouvelle. Nous avons dit au congrès que nous ne ménagerions pas nos efforts pour que l’intervention citoyenne soit suffisamment forte, afin que se dégage d’ici au scrutin « une base d’engagements communs devant notre peuple, répondant aux exigences qu’il aura exprimées ». C’est naturellement ce but que nous poursuivons. Avec l’ambition de contribuer ainsi à apporter du neuf, de l’utile pour notre peuple, à faire bouger les choses à gauche.
Avec ces Assises pour le changement en 1998, il s’agit, chacun l’a bien compris, d’une initiative importante, décisive, prise dans l’esprit du pacte unitaire pour le progrès et dans le prolongement des forums pluralistes que nous avons tenus, il y a quelque temps. Mais il ne s’agit pas d’une pure et simple reprise des forums. Il s’agit d’aller plus loin. En se donnant, sous des formes diverses, le temps et les moyens d’échanges plus approfondis, plus concrets, plus précis. Et cela afin que les citoyens puissent formuler leurs exigences, dire ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas, tant sur le contenu de la politique que sur le projet politique lui-même.
L’organisation et la réussite d’une initiative de portée si cruciale vont nous demander beaucoup d’efforts, beaucoup d’esprit d’initiative, beaucoup d’imagination. D’autant que nous ne souhaitons pas l’enfermer, a priori, dans une forme unique. Au contraire. À côté d’initiatives « de visibilité », comme l’on dit, qui sont indispensables, on pourra multiplier les occasions de rencontres, de réflexion, de discussions sur tel ou tel sujet, de telle ou telle dimension… Avec un seul souci : être utile à notre peuple pour se faire entendre et faire bouger les choses.
Bien entendu, il faudra un grand esprit de responsabilité des directions du parti, à tous les niveaux – du Comité national aux sections et cellules –, pour mener à bien ce grand brassage d’opinions, cette confrontation d’idées, cette affirmation d’exigences citoyennes. Pour toujours mieux contribuer au déploiement des capacités d’initiatives des communistes, de toutes celles et tous ceux qui, dans le Parti, et pour certains sans en être membres, constituent ce que nous appelons désormais la force communiste, dans la richesse de sa diversité. Et il faudra beaucoup d’aide aux organisations du Parti pour encourager l’audace, stimuler l’esprit d’initiative, sortir du routinier. Mais je crois que cette démarche et l’importance de son enjeu peuvent doper l’enthousiasme dans l’ouverture aux autres et le débat pour le changement.
Dans le même temps, nous voulons également donner sa vraie dimension à notre campagne pour un référendum sur le passage ou non de notre pays à la monnaie unique. Le rapport et notre discussion ont également largement évoqué cette question, qui avait également et légitimement tenu une grande place dans la préparation de notre congrès. Je ne reviendrai donc pas sur l’ensemble des aspects de « Maastricht » et des prolongements envisagés pour l’actuelle construction européenne avec le passage à l’euro.
Naturellement, tout est fait en haut lieu pour montrer que – les billets étant déjà imprimés – la question est irréversiblement réglée et l’affaire classée, inexorablement. Pourtant, chaque jour qui passe montre que plus l’échéance approche, plus elle suscite de scepticisme, d’opposition formelle ou, à tout le moins, d’exigence de report. Et cela, non seulement en France, mais dans plusieurs pays d’Europe.
Cela se comprend. Les Français subissent quotidiennement les difficultés, les sacrifices, les mises en cause de droits, les attaques contre les services publics, les démantèlements, déréglementations et privatisations qu’on leur impose au nom des critères présidant à l’avancée vers la monnaie unique. Et, de plus en plus nombreux, ils ressentent qu’au-delà de l’aspect monétaire de la question, c’est un véritable séisme qu’on veut provoquer dans la société française, en la pliant à toute force à un modèle ultralibéral, étranger à ses traditions et à son histoire. À cet égard, un hebdomadaire américain analysant la situation en Europe remarque – je le cite : « l’enjeu est clair. Les institutions financières internationales et les gouvernements de l’Europe continentale tentent de se servir de toute cette opération (le combat pour l’euro) afin d’adapter au continent européen le modèle américain d’une économie libérale à la Reagan, qui a déjà en partie envahi le Royaume-Uni ».
On en conviendra – quand bien même ne partageront-on pas cette appréciation sur la vraie nature du combat qui se livre à propos de l’euro, et quand bien même en souhaiterait-on la réalisation –, l’affaire est d’importance. Elle engage l’avenir du pays. Elle ne peut donc être menée à la sauvette, hors d’un grand débat national, conclu par un référendum. Et telle est bien cette exigence de bon sens que nous ambitionnons, au terme d’une campagne d’ampleur, de voir formulée dans une pétition nationale pour laquelle l’objectif d’un million de signatures paraît réaliste.
On me dira peut-être : « Mais le Parti socialiste y est hostile. Il vient de réaffirmer son attachement à l’euro. Cela ne bloque-t-il pas les choses ? » Bien entendu, je ne veux pas faire l’économie de cette question. Et je veux l’aborder, comme à l’accoutumée, avec le souci de la clarté, sans polémique et dans un esprit résolument unitaire.
J’ai bien noté les propos de Lionel Jospin envisageant « un contrat d’orientation entre les partis de gauche et les écologistes » – incluant donc le Parti communiste. Jusqu’alors, les dirigeants du Parti socialiste évoquaient seulement, concernant notre Parti, l’éventualité d’un « accord de second tour ». Il y a donc une certaine évolution qu’il convient de relever. Sans aucun doute – et la presse n’a pas manqué de le noter –, ce que nous avons dit lors de notre congrès quant à notre détermination à tout faire pour que l’intervention citoyenne rende possible l’établissement entre les forces de gauche, de progrès, écologistes, avant 1998, d’une « base d’engagements communs devant notre peuple, répondant aux exigences qu’il aura exprimées », y est pour quelque chose. Et sans doute, au-delà de ce que nous avons dit au congrès, ce que nous avons fait avant, dans tout le pays, pour que la question des conditions politiques du changement soit mise en débat dans notre peuple, a dû aussi compter – d’autant que, dans de très nombreux cas, des électeurs, des militants, des élus socialistes ont participé aux initiatives qui ont été prises. Mais il me semble que cette évolution de la direction du Parti socialiste réponde également à une autre question qui lui est chaque jour davantage posée : celle de la crédibilité d’une alternative qui aurait pour base le seul programme du Parti socialiste. Je note, de ce point de vue, qu’un sondage vient d’indiquer que si la politique de la droite est de plus en plus rejetée par l’opinion – ce qui nous réjouit –, la politique de la gauche est très loin de convaincre, d’attirer, de séduire – ,ce qui ne peut manquer de préoccuper toutes les formations qui s’en réclament.
En fait – et c’est cette réalité-là qui fait son chemin –, il ne peut y avoir de crédibilité pour une politique de gauche, et donc de victoire durable débouchant non sur un nouvel échec, mais sur de réels changements positifs pour notre peuple, si cette politique n’est pas clairement perçue comme bien à gauche. Et cela suppose qu’elle soit non moins clairement affirmée comme celle de toute la gauche, dans son pluralisme et sa diversité – donc avec l’apport du Parti communiste.
Il y a bien objet de débat.
Bien entendu, la réciproque est vraie. Chacun le sait, la participation du Parti communiste suppose que ce soit bien pour mettre en œuvre une politique de gauche.
De ce point de vue, comment comprendre l’affirmation de Lionel Jospin selon laquelle « renoncer à la perspective de la construction européenne (…), ça ne peut pas être un objet de débat, en tout cas, pas un objet d’accord » ?
Plusieurs camarades l’ont fait remarquer : indépendamment de cette affirmation, force est de constater que, pour une part importante, l’objet du débat est pourtant bien là. Le Parti socialiste affirme ne pas vouloir renoncer à la perspective de la construction européenne. Soit. Mais de quelle construction parle-t-on ? La construction européenne actuelle ? Celle de la toute-puissance des marchés financiers ? Ou celle, pour laquelle nous sommes, et pour laquelle nous proposons que la France soit active : une construction européenne nouvelle qui soit une communauté digne de ce nom ? N’y a-t-il pas là un vrai débat à avoir, non seulement entre nous, mais devant notre peuple qui s’y passionnerait ?
De même, Lionel Jospin affirme qu’on ne le fera pas « renoncer à la monnaie unique ». Mais, là encore, de quoi parle-t-on ? De la « monnaie unique » du chancelier Kohl et de Jacques Chirac ? Celle de la Banque centrale européenne » de Francfort ? Celle du « pacte de stabilité » ? Celle de la « discipline » des marchés financiers imposée à tous – sanctions à la clé ? N’a-t-on pas entendu Lionel Jospin lui-même s’en distancier et avancer « quatre conditions » dont tout le monde voit bien qu’elles sont de plus en plus en opposition avec toutes les décisions qui, actuellement, sont prises pour organiser le passage à la monnaie unique ? Pour ce qui le concerne, le Parti communiste, parce qu’il est partisan d’une construction européenne nouvelle s’extirpant de la tutelle écrasante des marchés financiers, se prononce pour la création d’un Fonds monétaire européen nouveau, pour la coopération monétaire, pour un instrument de coopération monétaire, un ECU nouveau, fondé sur les monnaies nationales. Et il n’y aurait pas là, sur ces questions décisives, matière à débat ? Ce serait à prendre ou à laisser ?
Et, plus généralement, le Parti socialiste affirme que sur l’Europe et la monnaie unique, il n’y a pas « objet de débat », alors que c’est précisément de ces questions que ne cessent de débattre nos concitoyens en faisant face chaque jour aux mauvais coups qui en résultent pour eux, pour leur vie, pour le pays. Alors qu’un mouvement social de grande ampleur et de large écho en Europe a, en décembre 1995, posé avec force la question, et que des luttes sociales dans de nombreux secteurs en marquent chaque jour l’actualité. Il n’y aurait pas « objet de débat » alors qu’une enquête d’opinion réalisée dans plusieurs pays d’Europe montre avec force que 66 % des Français, 79 % des Allemands, 76 % des Britanniques, 52 % des Italiens veulent en débattre et conclure ce débat par un référendum ?
À très franchement parler, si le Parti socialiste voulait opposer je ne sais quel « droit de veto » à ce débat, ce serait difficilement compréhensible, et peu compatible avec l’affirmation d’une volonté démocratique nouvelle. Puis-je ajouter que ce serait aussi, sans aucun doute, peine perdue… le débat est déjà là, poursuivons-le. Cela ne peut qu’être positif.
Et puis, il faut revenir à l’essentiel : faire une vraie politique de gauche ne suppose-t-il pas de s’affranchir du carcan d’une marche à la monnaie unique réglée sur les volontés des marchés financiers ? Nous ne sommes pas seuls à faire part de nos préoccupations à cet égard. Après avoir noté qu’en Espagne, où la droite a repris le pouvoir à la gauche, et qu’en Italie, où l’inverse s’est produit, la politique à l’égard de Maastricht n’avait pas changé d’un iota, l’hebdomadaire américain que j’ai déjà cité n’hésite pas à écrire – pardonnez-moi de citer à nouveau son correspondant en Europe : « Si (…) la gauche continue de prendre la relève de la droite au pouvoir et de perpétuer les mêmes échecs dans un climat de mécontentement croissant, l’avenir sera sombre. »
Eh bien, c’est précisément cet « avenir sombre » que nous voulons de toutes nos forces, de tout notre cœur épargner à notre peuple. Et nous avons conscience de rendre service à toute la gauche dans notre pays en appelant le « peuple de gauche », l’ensemble des citoyens qui le souhaitent, les formations politiques, à mettre ces questions en débat, tant dans les assises pour le changement en 1998 que dans la grande campagne de pétitions pour l’organisation d’un référendum sur la monnaie unique. En créant ainsi les conditions pour que les salariés, les citoyens, à partir des problèmes qu’ils rencontrent, des questions qu’ils se posent, des aspirations qui sont majoritairement les leurs, à une autre Europe que celle, destructrice, que leur préparent les milieux dirigeants, se rencontrent, discutent, fassent entendre leurs exigences. Oui, c’est au nom de la gauche, d’une gauche qui ne doit plus décevoir, d’une gauche neuve et décidée, que nous les appelons à intervenir.
Vous le voyez, nos responsabilités sont grandes et, vous le savez, le temps nous est compté. C’est pourquoi les décisions que vient de prendre notre Comité national sont importantes. Qu’il s’agisse des Assises pour le changement en 1998, du million de signatures que nous voulons récolter pour l’organisation d’un référendum sur la monnaie unique, des nouveaux progrès que nous devons réaliser dans la vie démocratique du Parti avec son renforcement, la popularisation des travaux de notre congrès et la tenue de milliers de rencontres publiques. Je ne voudrais pas conclure ce propos sans aborder – fût-ce brièvement – ce dernier point. Il est – chacun ici en est convaincu –, à bien des égards, décisif pour réussir tous les autres. Car il vise à déployer l’activité du Parti, à stimuler l’activité de ses organisations et des hommes et femmes communistes.
Les adhérents du Parti, et bien d’autres au-delà de nos rangs, ont ressenti notre 29e congrès comme un grand moment. Dans sa mutation. Dans son dynamisme. Dans sa volonté d’ouverture. Dans son approche nouvelle de la société. Il importe à présent de faire fructifier ces avancées, en les « mettant en mouvement » si je puis dire.
C’est notre tâche immédiate. Les dispositions prises pour améliorer toujours plus l’organisation du travail de notre direction nationale n’ont pas d’autre sens que d’aider à y contribuer pleinement. À cet égard, chacun voit bien l’orientation affirmée qui traverse les dispositions proposées. Il s’agit de favoriser le décloisonnement, la transversalité, et donc le travail d’équipe, l’implication la plus grande possible de chacun dans la réflexion collective. Il s’agit de responsabiliser le maximum de membres du Comité national dans le travail de la direction nationale. Et je partage complètement l’indication donnée dans le rapport, selon laquelle la mission des neuf départements que nous avons décidé de créer est « à l’opposé à la fois de la centralisation et du repliement de multiples secteurs chacun sur soi ».
Des camarades évoquent la question du rôle des directions, de l’exercice du pouvoir. Elle est évidemment importante. Et je dois dire, pour ce qui me concerne, que mon expérience de maire m’a appris combien il est important tout à la fois de développer avec audace le travail collectif et de faire en sorte que chacun – y compris le premier responsable – soit bien à même de prendre et d’assumer toutes ses responsabilités.
Ainsi, « à nous de jouer », serais-je tenté de conclure pour sacrifier à l’expression rituelle. Mais je dirais plutôt : « À nous de travailler. » D’arrache-pied. L’année qui vient sera décisive. Saisissons bien toutes les possibilités d’aller de l’avant. C’est le vœu que je forme pour notre peuple et notre pays.