Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à France-Inter le 10 décembre 1996, sur les affaires, la place de son mouvement dans la majorité et l'Union économique et monétaire notamment la parité monétaire franc - deutsche mark.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Qu'attendez-vous de l'intervention du président de la République, jeudi ?

P. de Villiers : J'attends qu'il réponde à la question suivante : que sont promesses devenues – promesse de réduire la fracture sociale, promesse de faire reculer le chômage, promesse de rompre avec le socialisme, promesse d'un référendum sur l'école, promesse d'un référendum sur l'Europe, promesse de s'attaquer au problème de l'immigration, de l'insécurité, de la corruption ?

A. Ardisson : Êtes-vous toujours dans la majorité ?

P. de Villiers : Non, puisque je ne me reconnais pas dans une majorité qui s'est reniée, qui a échoué, qui n'a pas tenu ses promesses. Je pense qu'il est urgent pour le président de la République, non seulement de faire un exercice pédagogique pour expliquer là où il veut conduire notre pays, mais aussi pourquoi il est nécessaire de changer de politique, parce que rien ne servirait à Jacques Chirac de changer les hommes – en l'occurrence le gouvernement Juppé qui a échoué – si on ne changeait pas de politique. Il faut changer de politique européenne et monétaire, de politique fiscale, de politique budgétaire, de politique de l'école.

A. Ardisson : C'est la première fois que vous répondez non à cette question.

P. de Villiers : Vous me posez une question, je vous réponds ! C'est bien la raison pour laquelle, d'ailleurs, le Mouvement pour la France…

A. Ardisson : Si vous n'êtes plus dans la majorité, c'est que vous êtes dans l'opposition ?

P. de Villiers : Je ne suis pas un opposant, je suis un proposant. Je suis dans l'autre majorité, c'est-à-dire la majorité qui va se construire en 1998, parce que celle-là a échoué et qu'elle n'a pas les ressources intellectuelles, mentales et morales pour se ressaisir. Il suffit de voir ce qui arrive en ce moment au RPR et au PR pour comprendre ce que je dis. Les partis au pouvoir sont sclérosés intellectuellement et disqualifiés moralement.

A. Ardisson : Vous faites allusion aux affaires qui touchent de près et cernent le RPR.

P. de Villiers : Depuis 16 mois, que constate-t-on ? Rien n'a changé, on n'a pas rompu avec le socialisme. Les deux promesses qui avaient été faites, les deux engagements pris dès 1993 par cette nouvelle majorité, qui étaient de rompre avec les affaires, d'en finir avec ce climat délétère et de relancer l'emploi et la croissance, n'ont pas été tenues. On n'a pas relancé l'emploi et la croissance car on a continué la même politique maastrichtienne des critères de convergence qui nous asphyxient. Quant aux affaires, je laisse les auditeurs de France Inter juger par eux-mêmes. Tous les jours, il y a quelque chose de nouveau en Île-de-France.

A. Ardisson : Tout le monde sait que les partis ont mis le doigt dans la confiture, si j'ose dire. N'est-il pas un peu facile de dénoncer cet état de fait quand on est né après cette législation ?

P. de Villiers : On ne peut pas dire ça. On ne peut pas dire d'un côté « Vous les citoyens, à la base, vous devez payer vos impôts, de plus en plus, faire des efforts » et en même temps dire aux partis politiques « on ferme les yeux, parce qu'après tout, il est normal de truquer les marchés publics ». Je trouve ça scandaleux. J'ajoute que la démocratie est en grand danger : ce n'est pas faire de l'antiparlementarisme que de dire « plus on est haut dans la hiérarchie de la société, plus on trinque quand on est pris en faute », parce qu'on doit être irréprochable. On ne peut pas demander aux gens de faire des efforts s'il n'y a pas, au sommet, le civisme le plus impeccable au sens de l'honnêteté, qui doit être le principe architectural majeur de notre société. S'il n'y a pas le civisme au sommet, il y aura le cynisme à la base. On voit bien aujourd'hui que nous sommes dans une société d'incivisme et de cynisme, le civisme au sommet et l'incivisme à la base.

A. Ardisson : Vous tenez ce soir un meeting à Paris. Que pensez-vous du sommet de Nuremberg ?

P. de Villiers : Ce soir, à la Mutualité, je vais précisément essayer de lire la lettre franco-allemande, qui me paraît aller dans le mauvais sens. Ce qui me frappe, à travers cette lettre qui propose de confier encore plus de pouvoirs à la Commission dans le domaine de la police, des frontières, de l'immigration et de l'insécurité et qui propose encore plus de décisions à la majorité qualifiée – ce qui veut dire encore plus d'intégration au sens fédéral du terme –, c'est qu'on va à contresens par rapport à l'Histoire. Là où il faudrait faire la Grande Europe tout de suite, on nous propose de faire une Europe réduite à un couple exclusif, le couple franco-allemand, qui plus est un couple déséquilibré. Alors qu'il faudrait faire une Europe de la sécurité en renforçant les contrôles aux frontières, la lettre franco-allemande nous propose un espace sans frontières.

A. Ardisson : On parle quand même de renforcer les contrôles aux frontières extérieures.

P. de Villiers : On nous propose enfin de renforcer les contrôles aux frontières extérieures, mais on ne propose pas ce que j'avais appelé à l'époque « le double tamis », c'est-à-dire la nécessité d'installer des contrôles sur les personnes aux frontières internes entre les États. Qu'a-t-on vu ces jours-ci depuis la bombe du RER ? Les cerveaux sont en Angleterre et les bases arrière logistiques sont en Italie, en Belgique, en Espagne, en Allemagne. Il est donc bien évident que le traité de Schengen, que j'avais en son temps dénoncé et qui a proposé l'abolition de toutes les frontières internes, doit être annulé. On doit conclure un traité de renforcement des frontières extérieures et de rétablissement des contrôles internes. Si on ne le fait pas, la France sera comme elle est aujourd'hui, c'est-à-dire le réceptacle de tous les terrorismes.

A. Ardisson : N'êtes-vous pas frappé par le fait que, dans toutes les initiatives franco-allemandes d'hier, on ne parle pas de l'euro, le seul sujet qui fâche ? Est-ce que ça se fera ?

P. de Villiers : Je ne suis pas sûr que ça se fasse. J'espère que ça ne se fera pas. Il y a maintenant une nouvelle initiative allemande qui est incroyable : le pacte de stabilité. Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est un système de sanctions. S'il y avait ce pacte de stabilité en 1997, j'ai fait le calcul : compte tenu du dépassement du déficit français, la France devrait remettre à la Commission 20 milliards de francs comme caution. Plus un pays se trouvera en difficulté, plus on lui mettra la tête sous l'eau. C'est complètement aberrant ! Il est évident que cette Europe va à contresens : là où il faudrait la préférence communautaire, retrouver l'idée de marché commun, on fait le libre-échangisme mondial à tout crin, qui pousse toutes les entreprises à se délocaliser. Là où il faudrait un système monétaire européen, comme l'a dit Giscard, qui avait fait la preuve de son efficacité, on va vers une espèce de monnaie unique qui profitera peut-être aux Allemands…

A. Ardisson : Vous anticipez sur ma question ! Valéry Giscard d'Estaing a-t-il eu raison de proposer l'euro à 7 francs ?

P. de Villiers : Oui. Je pense que Giscard n'est pas allé jusqu'au bout. Je crois que le fond de la pensée de Giscard – c'est d'ailleurs une preuve de courage pour un homme qui avait fait campagne pour Maastricht –, c'est qu'il n'y croit plus. Je crois que Giscard croyait à un équilibre entre la France et l'Allemagne. Depuis, il y a eu la réunification. Il n'y croit plus. Il voit les dangers du franc surévalué. Il perçoit aussi les dangers de la monnaie unique. C'est la raison pour laquelle il avertit les Français, tout en restant au milieu du chemin, en disant : « Attention, la monnaie unique peut être contraire à l'emploi, au retour à l'emploi ». Il faut bien voir aujourd'hui que c'est la grande question qui sera posée à Jacques Chirac, jeudi : les Français ne retrouveront pas la confiance tant qu'on aura un chômage croissant. La cause principale du chômage, c'est la dépense publique, l'absence totale de protection de nos industries de main-d'œuvre contre les délocalisations et ce fameux franc surévalué avec ce chemin forcé vers la monnaie unique.