Interview de M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué à l'outre mer, à RTL, le 8 novembre 1996 sur le climat politique dans la majorité, notamment après les déclarations de Charles Pasqua et les réformes du gouvernement d'Alain Juppé (charges patronales, fiscalité).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

M. Cotta : Si je définis « gaulliste, génération Juppé » ça vous convient ?

Jean-Jacques de Peretti : Oui.

M. Cotta : Alors, quand vous voyez un gaulliste de la première génération qui parle de la déconfiture – comme l'a fait C. Pasqua au journal « Le Monde » de l'équipe du président de la République ?

Jean-Jacques de Peretti : Il me vient une idée qui est tout à fait convenable : je pense que certains gaullistes devraient songer maintenant à écrire leurs mémoires.

M. Cotta : À ce point-là ?

Jean-Jacques de Peretti : Oui, parce que vous savez, le climat politique est difficile, ça n'a échappé à personne, on le sent sur le terrain. Mais flatter l'opinion aujourd'hui, c'est la chose la plus facile. En plus, quand on a du talent pour le faire, on pense que l'on fait mouche. Mais je ne crois pas que ça rapporte beaucoup. Qu'est-ce qui nous inspire aujourd'hui ? Qu'est-ce qui m'inspire justement, moi, gaulliste de la génération Juppé, comme vous dites ? Eh bien, c'est l'intérêt de la France. Ce que l'on fait, on a le sentiment qu'on le fait parce qu'on y croit et parce que c'est la bonne direction. Le gaullisme, ça n'a jamais été facile. Or, ce gouvernement est en train de faire une œuvre de réforme qui, depuis quinze ans, n'a jamais eu lieu !

M. Cotta : Mais tout de même, un homme de forte personnalité comme C. Pasqua, ça porte quand on l'écoute, il est populaire ; et quand il parle avec son antériorité gaulliste et qu'il dit : « Il y a aujourd'hui un gaullisme défiguré » ?

Jean-Jacques de Peretti : Oui, mais ça dépend par rapport à quoi il se place. Qu'est-ce que c'est que le gaullisme défiguré ? C'est la réforme de la Sécurité sociale ? C'est la réforme de la Défense nationale ? C'est la réforme de l'impôt direct ? C'est ça, le gaullisme défiguré ? Non, je crois que c'est la France qui se prépare à entrer dans le XXIe siècle. Vous savez, personne ne vous dira ce que le général de Gaulle aurait fait s'il était ici. Mais en revanche, ce qu'on peut vous dire, c'est ce qu'il n'aurait pas fait. Et dans l'adversité, il n'aurait certainement pas tiré contre son camp.

M. Cotta : Vous-même, quand vous allez dans votre circonscription, quand vous parlez avec des députés du RPR, quand vous parlez parfois avec des collègues du Gouvernement, vous n'entendez pas s'exprimer aussi les doutes, voire la déception qu'a exprimée C. Pasqua ?

Jean-Jacques de Peretti : Oui, là, vous avez tout à fait raison. Pas la déception qu'a exprimée C. Pasqua, mais parfois un déficit d'explication lorsqu'on est face à nos militants ou lorsqu'on est face à des sympathisants et qu'on commence à leur expliquer la première période : la pré-campagne, la présidentielle, les six premiers mois. Nous avons pris des mesures d'urgence. Tout le monde les a oubliées : l'augmentation du SMIC de 4 %, suivie d'ailleurs d'une augmentation normale du SMIC, le CIE, la baisse des charges sur les bas salaires ! Tout ça, c'était des mesures importantes qui avaient été annoncées dans la campagne. Et puis, au bout de six mois, la remise en ordre de la maison, avec des réformes sur les déficits industriels, sur le problème de notre système bancaire, sur le déficit de la Sécurité sociale, ce sont des réformes effectivement qui dérangent un peu tout le monde. Tout le monde voulait des réformes, mais dès qu'on touche un peu à des niches ici ou là, et qu'on remet un peu les choses en place pour préparer la France au XXIe siècle, eh bien effectivement, les gens se posent des questions. Et je crois qu'il faut leur expliquer. Il faut leur expliquer pourquoi la réforme de la Sécurité sociale, pourquoi le carnet de santé, pourquoi aujourd'hui tous les Français bénéficieront de la protection sociale.

M. Cotta : Mais quand C. Pasqua parle des Français malheureux, est-ce que ça ne sonne pas plus près de ce qui était le discours de J. Chirac pendant la campagne électorale que ne l'est l'action du Gouvernement ?

Jean-Jacques de Peretti : C. Pasqua est élu dans le département des Hauts-de-Seine, qui est le département le plus riche de France. Alors, s'il veut parler des Français malheureux, qu'il vienne sur le terrain ! Qu'il vienne en Dordogne ! Et il verra, les Français ne sont pas malheureux, ils sont inquiets, ils sont angoissés pour trois raisons. D'abord pour la situation de l'emploi : dans toutes les familles, il y a un problème d'emploi, de près ou de loin, que ce soit l'enfant, les petits-enfants, etc., donc ils sont inquiets. Il y a un problème sur leur retraite parce qu'ils ne savent pas si, aujourd'hui, ceux qui ont 40, 50 ans bénéficieront des mêmes retraites que celles dont bénéficient nos anciens. Et troisièmement, ils sont inquiets sur le remboursement de santé parce qu'ils voient partout que la Sécurité sociale est en déficit et ils se demandent s'ils l'auront. Voilà trois raisons qui font que les Français sont un peu inquiets, angoissés, qu'il faut leur expliquer pourquoi ces réformes, et qu'il faut leur dire que cela prend du temps. Regardez la Sécurité sociale : le discours fondateur d'Alain Juppé, c'était je crois le 15 novembre. Eh bien, cela ne fait qu'un an. Nous venons à peine de mettre en place les directions régionales de la Sécurité sociale. Nous venons à peine de prendre les textes en ce qui concerne la réforme des hôpitaux. C'est tout cela qui se met en place.

M. Cotta : Est-ce qu'on peut dire que le Premier ministre tire le président de la République vers le bas ?

Jean-Jacques de Peretti : Non, certainement pas ! Le Premier ministre applique les consignes qui lui sont données par le président de la République qui fixe le cap. Il a fixé le cap de la réforme. Et je crois que cette réforme, si elle ne se fait pas avant 1998, elle ne se fera plus jamais. Et c'est de cela que le président de la République a certainement conscience, plus que tout un chacun. Vous savez, on se rend bien compte aussi qu'il y a des choses qui passent mal, qu'il y a des choses qui sont difficiles. Mais si ce n'est pas fait maintenant, on nous le reprochera et en tous les cas, on n'aura pas accompli notre devoir et c'est ça le vrai gaullisme.

M. Cotta : Jean d'Ormesson écrivait l'autre jour dans « Le Figaro » : « En démocratie, on ne peut pas ne pas tenir compte de l'opinion des électeurs ». Or, les électeurs manifestent leurs doutes, c'est le moins que l'on puisse dire ! Est-ce que ça signifie que J. Chirac peut continuer avec A. Juppé, comme ça ?

Jean-Jacques de Peretti : Non. L'opinion des électeurs, M. Mazerolle, elle s'exprime quand ? Elle s'exprime au moment des élections. Il y a une échéance électorale qui est en 1998. Ce sont des élections législatives. Là, nous pourrons faire le bilan de ce qui a été fait. Là, nous verrons si les choses ont bougé. Aujourd'hui, tout le monde le dit : en matière économique, on sent que les choses bougent, on sent qu'un certain nombre d'entreprises réinvestissent parce qu'elles ont déstocké, etc. – je ne vais pas rentrer dans toute l'explication. C'est ça, la réalité des choses. Et la sanction, elle arrive au bout de cinq ans d'une législature, elle arrive au moment d'une élection présidentielle, d'une élection municipale. Il ne faut pas précipiter les choses. Ce sont des réformes en profondeur, comment voulez-vous qu'on mette en place tout ça ? La réforme sur la Défense nationale, elle va prendre 7 ans ! Elle va prendre pratiquement tout le septennat, six ans exactement puisqu'on l'a commencée un an après.

M. Cotta : Mais quand on dit : ça va aller mieux. Ça va aller mieux peut-être, mais en attendant, le chômage continue à monter. Les indicateurs économiques, dit-on, ne sont pas si mauvais que ça, mais le chômage monte !

Jean-Jacques de Peretti : C'est le point qui est le point difficile. Si nous avions des chiffres du chômage stabilisé, peut-être que psychologiquement, l'opinion des gens changerait. Mais il ne faut pas désespérer. Moi, je suis convaincu que l'année 97 connaîtra une croissance beaucoup plus forte qu'on ne l'avait dit. On avait dit 2 %, 2,5 %, 2,7 %. Aujourd'hui, avec une croissance de 1,3 % nous commençons à créer des emplois. Donc, je crois qu'il faut laisser faire les choses. On a mis énormément de choses dans les tuyaux.

M. Cotta : Laisser faire les choses, ça ne parait pas un peu attentiste ?

Jean-Jacques de Peretti : Les choses, ce sont des choses très concrètes. Regardez, sur la baisse des charges, on nous a dit : les entreprises supportent beaucoup de charges, si on veut dynamiser l'économie, il faut libérer les entreprises. Cette année, dans le budget, c'est 50 milliards de charges en moins pour les entreprises. La réforme de l'impôt sur le revenu : pour la première fois, on touche à l'impôt sur le travail. On le diminue ! C'est-à-dire que ceux qui vont travailler se rendront compte que finalement, ils ont intérêt à travailler parce que l'État leur prendra moins. Ça, c'est une réforme fondamentale, c'est une réforme politique, mais elle ne peut pas se mettre en place facilement. D'ailleurs, je note que tous ceux qui critiquent la politique du Gouvernement, à droite comme à gauche, sur cette affaire-là, ne disent pas moins que : vous faites 25 milliards la première année, il aurait fallu faire plus ! Eh bien, si on peut faire plus, on fera peut-être plus un jour.

M. Cotta : Beaucoup, dans la majorité, attendent que le président s'exprime pour recadrer l'action du Gouvernement et sa politique. Vous attendez ça aussi ?

Jean-Jacques de Peretti : C'est son choix. Le président de la République s'exprime quand il sent que le moment est venu ou qu'il a quelque chose à dire aux Français, ou qu'il est nécessaire qu'il le fasse. Mais ça, c'est vraiment son choix.