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Les Échos : Un sommet pour l’emploi des jeunes est prévu à Matignon en janvier. Or, le gouvernement semble à court d’idées…
Anne-Marie Couderc : Pas du tout. Le sommet devrait effectivement se tenir dans la première quinzaine de janvier. Soit un an après celui qui avait engagé une démarche partenariale, en décembre dernier. Des choses ont été faites depuis, et il s’agit désormais de passer à la vitesse supérieure. La priorité définie l’année dernière reste d’actualité : il faut accélérer la transition entre la formation et l’emploi. Il y a deux moyens d’y parvenir : développer les formations en alternance et professionnaliser les études. Sur le premier point, des progrès ont été faits. En octobre, les contrats d’apprentissage et de qualification ont augmenté de 15 % par rapport à octobre 1995.
Les Échos : Il paraît alors contradictoire que le gouvernement n’ait rien fait pour empêcher le Parlement de prélever 1,6 milliard de francs sur les fonds de l’alternance.
Anne-Marie Couderc : Ce prélèvement ne peut satisfaire le ministre en charge de l’Emploi. Mais il n’est pas normal que l’Agefal (1) accumule des sommes considérables. Je sais que c’est de l’argent qu’elle provisionne pour tout contrat signé, mais il faut regarder de plus près les règles de fonctionnement de cet organisme, avec un objectif : que la dynamique de l’alternance soit plus forte.
Les Échos : Ce 1,6 milliard va-t-il être utilisé pour les jeunes ?
Anne-Marie Couderc : Le ministre du Budget, Alain Lamassoure, s’est engagé à ce que les contrats en alternance ne pâtissent pas de ce prélèvement.
Les Échos : La prime de 7 000 francs pour les contrats de qualification va-t-elle être reconduite au-delà du 31 décembre ? La ponction va-t-elle servir à la financer ?
Anne-Marie Couderc : La reconduction de cette prime n’est pas budgétée. Mais, l’effort de l’État pour les jeunes est déjà considérable. Pas moins de 650 000 jeunes ont bénéficié en 1996 de diverses aides publiques. Ils seront 700 000 en 1997.
Les Échos : Vous voulez multiplier par sept le nombre d’apprentis dans la fonction publique. Quels verrous faut-il faire sauter pour que l’apprentissage, ouvert depuis 1992, décolle ?
Anne-Marie Couderc : Nous réfléchissons avec Dominique Perben, le ministre de la Fonction publique, à pouvoir attribuer la prime qui existe dans le privé (2) aux employeurs publics.
Les Échos : Cette prime est-elle budgétée ?
Anne-Marie Couderc : Non. Nous essayons d’y impliquer le budget du ministère du Travail. Il faut encore des arbitrages.
Les Échos : Pour professionnaliser les études, que comptez-vous faire ?
Anne-Marie Couderc : En 1996, une expérimentation a été menée dans quelques universités qui ont organisé des stages longs en entreprise au titre du cursus universitaire. Nous allons poursuivre sur cette voie.
Les Échos : Comment ?
Anne-Marie Couderc : Notre objectif, à terme, est d’organiser la relation université-entreprise. Avant cela, nous comptons faire la démonstration que c’est utile pour tout le monde : pour les jeunes, mais aussi pour l’université et pour l’entreprise, qui s’en trouveront valorisées. L’Education nationale travaille avec le CNPF pour engager une trentaine de grosses entreprises dans cette démarche.
Les Échos : Un engagement de quelques entreprises, c’est bien. Mais, qu’allez-vous faire pour créer un mouvement de fond ?
Anne-Marie Couderc : Toutes ces questions nécessitent de prendre du temps, d’être prudent. L’engagement des grandes entreprises a valeur d’exemple, son effet d’entraînement peut contribuer à créer ce mouvement de fond mais il doit impérativement reposer sur le volontariat. À quoi servirait d’obliger les entreprises à prendre des jeunes, si c’est pour qu’elles les laissent végéter dans un coin ?
Les Échos : Si on ne les oblige pas, faut-il les inciter ou estimez-vous qu’accueillir des jeunes relève de leur devoir civique ?
Anne-Marie Couderc : L’idée est surtout de rendre plus efficace ce qui existe déjà. Il y a, en effet, énormément d’entreprises qui prennent chaque année des étudiants en stage. Mais sans organisation, cela n’apporte pas grand-chose, ni à l’entreprise, ni au jeune. Ce que nous voulons, c’est que le jeune voie cette expérience validée, que ce soit réellement une première expérience professionnelle. D’où l’importance de la longueur du stage, il doit durer entre six et neuf mois.
Les Échos : S’il s’agit d’organiser ce qui existe déjà, est-ce que ce sera suffisant pour faire baisser le chômage des jeunes ? En outre, ce ne sont pas les jeunes étudiants en gestion, par exemple, qui ont du mal à mettre un premier pied dans l’entreprise, mais plutôt ceux en lettres ou en psychologie. Qu’allez-vous faire pour eux ?
Anne-Marie Couderc : Une expérimentation est conduite avec succès pour les enseignements de langues étrangères. Les lettres peuvent conduire à plusieurs métiers. Les maisons d’édition devraient pouvoir proposer des stages par exemple. Mais encore une fois, nous en sommes aux prémices. Nous voulons procéder par étapes afin de nous mettre en situation de réussir une professionnalisation des stages et de ne pas donner de faux espoirs aux jeunes.
Les Échos : Pouvez-vous aborder un sommet sur les jeunes en ne vous appuyant que sur la mobilisation des partenaires sociaux ?
Anne-Marie Couderc : C’est cela une démarche partenariale. L’État apporte aux entreprises les outils pour jouer leur rôle de formateur.
À elles ensuite de tout faire pour jouer ce rôle. Nous avons, cette année, impulsé les programmes régionaux pour l’emploi des jeunes, réformé le financement de l’apprentissage, incité les emplois de ville et le CIE jeunes, créé des espaces jeunes dans les missions locales, allégé les charges et simplifié les formalités. Nous venons de travailler sur l’idée d’un contrat à l’expatriation, car l’activité économique est forte à l’étranger. C’est un outil supplémentaire que nous livrons à la négociation des partenaires sociaux. Nous avons rempli notre rôle. À chacun d’apporter sa pierre à la démarche. Et puis il y a un tout autre volet de l’emploi des jeunes sur lequel nous avançons : la déconcentration des politiques d’emploi, afin que les préfets puissent réagir au plus près du terrain, en fonction des besoins des jeunes.
(1) Organisme qui recueille les excédents des organismes (OPCA) collecteurs des fonds des entreprises pour les contrats de qualification.
(2) De 13 000 à 25 000 francs par an selon la technicité de la formation.