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Commentaire du ministre de l’industrie à la sortie du conseil interministériel consacré au nucléaire : « Personne n’a perdu. » Comme s’il s’agissait d’une querelle d’enfants ! Mais le perdant pourrait être la crédibilité du Gouvernement. Non seulement il aurait pu programmer l’arrêt de Superphénix en lui permettant de rembourser une partie de son coût par des ventes d’électricité, mais encore il laisse redémarrer le surgénérateur Phénix qu’il faut vraiment arrêter, tant il est usé et capricieux. Question sécurité, le Gouvernement est dans l’erreur. Question économies, on choisit la dépense maximale. Et s’il s’agit de renoncer aux surgénérateurs, pourquoi faire redémarrer Phénix ?
Une occasion de gouverner a été perdue. Pourtant, c’est le moment de prévoir la relève des centrales nucléaires. Par des vœux pieux, des combustibles fossiles ou un nucléaire amélioré ?
Les engagements de Kyoto donnent une responsabilité considérable aux producteurs d’électricité des pays développés. Ils consomment la moitié du charbon mondial. Or il est plus facile et plus rapide de changer le combustible des centrales électriques que de modifier l’urbanisme et les transports, premiers responsables de notre fringale d’énergie. Tant que l’on ne peut pas stocker l’électricité, le nucléaire demeure un allié contre l’effet de serre. Si l’on ne peut pas s’en passer, peut-on l’améliorer ? Je suggère les orientations suivantes.
Le nucléaire était l’outil du nationalisme
Les États l’ont utilisé pour avoir la bombe et l’énergie. Impossible de continuer : c’est trop dangereux. Le moindre pépin atomique concerne la Terre entière. Désormais, le nucléaire doit être mondial. Cette mondialisation revêtirait plusieurs formes, filières, normes de sécurité, inspection, contrôle des matières fissiles, formation des hommes, recherche, etc. Le rapprochement Siemens-Framatome est un exemple de ce mouvement transnational. Le nettoyage des zones contaminées ou le démantèlement des installations à risques doivent également être assurés par une organisation internationale. Et comme il apparaît que la meilleure solution pour les déchets serait l’expédition vers le magma par le mouvement des plaques de l’écorce terrestre, il faudra un accord international pour utiliser les rares zones praticables.
Alvin Weinberg disait qu’une chevalerie ou un ordre monastique lui paraissaient les seules formes d’organisation adaptées au nucléaire. Ce qui est certain, c’est que l’agence des Nations unies est défaillante.
Le nucléaire doit rompre avec l’armée.
Le caractère si pesant du « lobby » nucléaire est lié à la face militaire des techniques, des matériaux et des installations. Un nucléaire vraiment civil ne peut pas se développer dans la confiance et la sécurité s’il barbote dans la technocratie et la barbouzerie. Et un nucléaire vraiment civil doit être privé pour que l’État exerce sa fonction de contrôle. Si ça coûte trop cher, il faut choisir autre chose ou décider que la collectivité assume une partie des coûts.
Le plutonium est le problème
Produit des centrales nucléaires, il est le responsable principal de la dimension militaire de l’atome civil. Présenté naguère comme une fabuleuse ressource énergétique, le plutonium est considéré aujourd’hui comme une saleté. Il est toxique, il est fissile, il se conserve mal, et on en trouve des stocks dans des pays qui pourraient en faire un mauvais usage. La résorption des stocks devient une priorité mondiale. Il faut aller plus loin et imposer une contrainte « zéro plutonium » à l’ensemble des filières. C’est donc le renoncement aux surgénérateurs, puisqu’ils fonctionnent au plutonium. Et c’est l’arrêt de la production de celui-ci, c’est-à-dire de son extraction à partir des déchets dans l’usine de La Hague. Pourquoi, en effet, extraire le plutonium puisque les surgénérateurs semblent promis à la casse ? L’usine de La Hague est l’oubliée du comité interministériel. Quant au recyclage du plutonium dans les centrales nucléaires, il n’est justifié que pour se débarrasser des stocks de plutonium accumulés, non pour en produire continuellement.
La crainte de la radioactivité
C’est le talon d’Achille du nucléaire. Comme elle n’est pas perceptible, sa menace contribue à lui donner un caractère inhumain. Je ne comprends pas comment, après les ravages de Tchernobyl, l’industrie nucléaire n’a pas encore produit de compteur grand public d’un emploi aussi facile que le baromètre et le thermomètre. Mieux : les physiciens devraient rendre les radiations visibles. J’imagine une lampe de poche qui les éclaircit par quelque interférence qu’ils n’ont qu’à inventer.
Je passe sur le reste : transparence, contrôle parlementaire, contre-expertise, type de réacteur, choix des filières, maintenance, démantèlement. Ce sera pour une autre fois. Je veux simplement ouvrir le débat entre écologistes. Y a-t-il un tabou à parler du nucléaire, quitte à improviser quand on devient ministre ? Ou peut-on envisager un armistice et un cours nouveau ? Les pro-nucléaires reconnaîtraient leurs erreurs, les antinucléaires admettraient que le pire n’est pas sûr s’ils contribuent au moindre mal.