Interview de M. Charles Millon, ministre de la défense, dans "Le Figaro Economie" du 13 novembre 1996, sur la compétition économique, la mise en place de l'agence européenne de l'armement (OCCAR) et sa prochaine ouverture aux pays membres du Groupe armement de l'Europe occidentale (GAEO).

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Signature le 12 novembre 1996 à Strasbourg par la France l'Allemagne la Grande-Bretagne et l'Italie d'un document sur la création d'une agence commune de l'armement (OCCAR)

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro économie : Pourquoi créer une agence européenne de l’armement ?

Charles Millon : La coopération en matière d’armement est un élément central de la construction européenne, puisque l’on ne saurait parler d’une politique de défense commune en l’absence sur le continent européen d’une industrie de défense forte et compétitive.

C’est la raison pour laquelle l’établissement d’une agence européenne de l’armement est inscrit dans le traité de Maastricht, à l’initiative de l’Allemagne et la France. Et ce sont naturellement ces deux pays qui se sont efforcés les premiers de concrétiser ce projet en créant une première structure de coopération, à laquelle l’Italie et le Royaume-Uni, qui sont également parmi nos grands partenaires en matière d’armement, ont tenu à se joindre dès le début.

Répondant à notre démarche politique concernant la construction européenne, cette initiative a pris un caractère d’autant plus impératif que la compétition internationale est devenue particulièrement intense. Comme vous le savez, les quatre partenaires ont décidé d’appeler cette structure organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR).

Le Figaro économie : Quel sera son rôle ?

Charles Millon : L’organisation rassemblera des pays partageant la même approche des programmes d’armement. Elle permettra le regroupement au sein d’une même entité des bureaux de programmes existants, en grande majorité franco-allemands dans un premier temps. Elle accueillera ceux qui vont se créer. Elle disposera d’une personnalité juridique lui permettant de notifier elle-même des contrats et assurera une gestion plus efficace des programmes d’armement en coopération, permettant une réduction sensible de leur coût.

De l’existence même de cette organisation découlera, de fait, la recherche d’une coordination des besoins à long terme des pays participants, qui pourrait se traduire par une politique commune d’investissement technologique.

Le Figaro économie : Cette agence ne risque-t-elle pas d’être réduite à un rôle symbolique ou au contraire ne sera-t-elle pas considérée comme un abandon de souveraineté ? Quels seront ses pouvoirs réels par rapport aux ministères de la défense des pays membres ?

Charles Millon : L’organe de décision de la structure est constitué d’un conseil de surveillance qui réunit les directeurs nationaux d’armement de chacun des pays participants et qui fonctionne selon le règne de l’unanimité : on ne peut donc pas parler d’abandon de souveraineté et c’est bien ainsi que nos partenaires l’entendent généralement.

En revanche, dans le respect des principes de coopération agréés au sommet franco-allemand de Baden-Baden le 7 décembre 1995, auxquels ont adhéré nos partenaires britannique et italien, l’agence disposera d’une réelle autonomie pour conduire les programmes d’armement qui lui auront été confiés, au travers d’équipes intégrées qui rechercheront l’intérêt commun.

C’est en ce sens que cette structure marque un progrès et c’est la condition du succès.

Le Figaro économie : Pourquoi les Britannique, fervents défenseurs de l’achat au meilleur prix, ont-ils décidé de rejoindre les Français et les Allemands ? Ce choix implique-t-il la reconnaissance de la préférence européenne ?

Charles Millon : C’est en totale connaissance de cause que les Britanniques ont rejoint la démarche franco-allemande : ils adhèrent pleinement aux principes de Baden-Baden ; leur application prévoit, en particulier, la mise en compétition des industriels des pays membres du Groupe Armement de l’Europe occidentale. Cette compétition peut être étendue sur un programme à d’autres pays, sous réserve d’un accord unanime des participants et qu’ils pratiquent la réciprocité en matière d’ouverture de leur marché d’armement.

Chaque participant s’engage à donner la préférence, pour satisfaire ses besoins, aux matériels au développement desquels il a contribué dans le cadre de la structure. La compétitivité de la base industrielle et technologique de défense européenne s’en trouvera ainsi renforcée.

Plus généralement, il n’y a aucune contradiction entre la compétition économique et le renforcement de la base industrielle et technologique européenne en matière d’armement. Bien au contraire, l’une est la condition de l’autre.

En l’absence d’une politique volontariste concernant les secteurs et les technologies d’intérêt stratégique pour l’Europe de l’armement, l’industrie européenne ne saurait relever les défis à venir. C’est ce que j’entends par préférence européenne.

Le Figaro économie : Êtes-vous favorable à l’ouverture de l’agence à d’autres pays européens ? Lesquels ?

Charles Millon : Oui. Dès le départ, l’initiative franco-allemande s’inscrit dans une perspective résolument européenne. D’ailleurs, je vous rappelle que la France et l’Allemagne avaient placé officiellement leur initiative sous l’égide de l’UEO, en lui demandant à l’automne 1995 de donner à cette structure une personnalité juridique.

C’est pourquoi, cette structure est bien entendu ouverte à tous les pays du Groupe Armement de l’Europe occidentale qui le souhaitent, adhèrent, à l’instar des Britanniques et des Italiens, aux principes définis à Baden-Baden et s’engagent financièrement dans les programmes en coopération d’ampleur significative. La Belgique et les Pays-Bas ont déjà manifesté leur intérêt. Je sais que d’autres pays tels que l’Espagne sont également intéressés.

Le Figaro économie : Sur le plan industriel, cette agence va-t-elle donner un coup d’accélérateur aux rapprochements en Europe ?

Charles Millon : Oui, je le pense ; la constitution d’industriels maîtres d’œuvre transnationaux et intégrés sera vivement encouragée. Ce sont des programmes de coopération qui sont à leur origine. Le fait de devoir répondre, de manière compétitive, aux appels d’offres émis par cette structure accélérera de tels rapprochements.

La prise en compte du « juste retour industriel » de manière globale « sur plusieurs programmes et plusieurs années) y contribuera également.

Le Figaro économie : Êtes-vous favorable à une répartition des compétences industrielles par métiers entre les pays européens ? Quelles compétences la France peut-elle se permettre d’abandonner. Quelles sont celles qu’elle se doit de conserver ?

Charles Millon : La question n’est pas de savoir si l’on est ou non favorable. Aucun pays européen ne peut prétendre avoir la capacité à termes de conserver un savoir-faire dans toutes les technologies. Ce n’est que sur le principe de l’interdépendance, selon des modalités à définir, que l’Europe pourra développer et maintenir sa base industrielle et technologique de défense.