Texte intégral
RTL - 17 décembre 1996
O. Mazerolle : Bonjour, monsieur Barrot.
J. Barrot : Bonjour.
O. Mazerolle : Alors la note de l’INSEE vous met en colère, vous n’aimez pas qu’on vous annonce une reprise de la croissance et en même temps peu d’effet sur l’emploi ?
J. Barrot : Je suis en colère parce qu’on mélange ce qui est de l’ordre du certain et ce qui est de l’ordre du purement prévisionnel. Je prends un exemple, ce dont nous sommes sûrs en France, c’est les chiffres de l’emploi salarié. Ce que nous savons c’est qu’en 92 pour un taux de croissance qui tournait autour de 1 %, eh bien, on a perdu 230 000 emplois. Pour 1996, avec les mêmes chiffres, c’est-à-dire un taux de croissance qui approche de 1 % actuellement, parce qu’on n’a pas tout à fait les résultats de toute l’année 96, on a perdu seulement 18 000 emplois à ce jour. Alors on peut faire des amalgames tant qu’on veut, en allant chercher tous les emplois supposés, ce que je veux dire, c’est que nous avons par rapport à 92 une croissance qui est plus riche en emplois, avec un peu plus de 1 %, on perd peu d’emplois alors qu’autrefois on en aurait perdu beaucoup plus.
O. Mazerolle : Mais c’est tout de même en 97, c’est comme le dit l’INSEE, il va y avoir une croissance avec un effet sur l’emploi, mais beaucoup plus tardif, est-ce que cela ne va pas donner raison aux socialistes, qui, eux, pensent qu’il faut relancer tout cela grâce à une plus grande intervention de l’État, sans augmentation de l’impôt ?
J. Barrot : Je suis formel, si en 97 nous avons une croissance autour de 2,5 % nous créerons plus d’emplois.
O. Mazerolle : Tout de suite ?
J. Barrot : Au cours de l’année, nous créerons plus d’emplois. Il y aura peut-être un effet, il y a toujours un petit effet retard, mais ce qui compte, c’est qu’en 97 il y aura une création d’un plus grand nombre d’emplois. Alors, il ne faut pas confondre, c’est un peu difficile je le reconnais, il ne faut pas confondre la création d’emplois et puis les chiffres du chômage. Parce que lorsque cela va mieux, nous savons qu’il y a des gens qui n’étaient pas inscrits à l’Agence pour l’emploi, qui est maintenant aux Assedic, qui y vont, parce qu’ils espèrent cette fois-ci trouver un emploi. Donc il faut faire attention, ce qui compte surtout dans nos économies, c’est la création d’emplois.
O. Mazerolle : Tout de même monsieur le ministre, si on a un plus de croissance et puis pas d’effet sur l’emploi immédiatement, comment allez-vous expliquer aux gens, aux Français, que la croissance est là, et qu’il y a de la richesse, que le commerce extérieur est florissant, et que cela ne crée pas d’emploi immédiatement ? Les socialistes, eux, ne vont pas se priver de vous critiquer.
J. Barrot : Mais précisément, je proteste un petit peu contre tout ce qui donne des idées noires aux Français. Parce que quand la croissance arrive, il y a deux attitudes. Il y a celui qui se dit : « Allez, allons-y, je vais prendre un gars de plus, je vais prendre un apprenti de plus ». Et puis il y a celui qui dit : « Hou, on m’a tellement dit que cela serait très provisoire, qu’on n’était sûr de rien du tout, que je ne fais rien ». Et c’est à force de lancer des messages négatifs dans l’opinion publique que l’on crée dans ce pays une espèce de sentiment de méfiance. Je ne suis pas pour cacher la vérité, je n’ai jamais doré la pilule, je sais les difficultés d’adaptation du pays, et j’essaye de l’accompagner autant que je le peux comme ministre du Travail, mais je ne peux pas laisser constamment noircir les situations…
O. Mazerolle : Alors haro sur les statistiques de l’INSEE ?
J. Barrot : Haro sur des messages trop négatifs, surtout quand on n’est pas absolument sûr, qu’il s’agit de prévisions et que dans le passé les prévisions ont souvent été démenties.
O. Mazerolle : Monsieur le ministre, il y a une revendication qui semble grossir en ce moment après l’accord qui est intervenu chez les routiers, c’est la revendication pour une retraite à 55 ans. Aujourd’hui, il y a beaucoup de mouvements sociaux dans différentes grandes villes de province. La retraite à 55 ans, c’est possible ? Généralisée ?
J. Barrot : Vous me permettrez de dire que ce départ à 55 ans c’est une solution tout à fait illusoire, et qui présente des risques. Elle risque d’être coûteuse pour les jeunes. Parce que, qui est-ce qui paiera ces départs très précoces à la retraite ? Ce seront les jeunes générations. Attention ! Deuxièmement, c’est dangereux pour les salariés âgés eux-mêmes, tous n’ont pas le désir de partir, et veillons à ce qu’il n’y ait pas un dispositif qui jette en quelque sorte en dehors de l’entreprise les anciens et, enfin, c’est nuisible à l’entreprise. L’entreprise, elle a besoin à la fois de l’expérience des anciens et puis du dynamisme des jeunes. C’est pour cela que je préfère moi des systèmes, notamment dans les branches où il y a des métiers pénibles qui permet d’associer un départ progressif à la retraite des uns avec l’entrée des jeunes plus précoce. C’est cela qu’il faut faire.
O. Mazerolle : Mais précisément…
J. Barrot : Cela ce sont des solutions intelligentes.
O. Mazerolle : Mais précisément, est-ce qu’il n’y a pas tout de même un mouvement irréversible ? Il y a effectivement les préretraites, il y a les grandes entreprises qui cherchent à se débarrasser comme Renault et PSA de leurs salariés les plus anciens. On a fait un calcul, monsieur le ministre, je sais que vous n’aimez pas cela, mais enfin quand même, il y a vingt-cinq ans…
J. Barrot : Non, mais j’aime les bons calculs.
O. Mazerolle : Il y a vingt-cinq ans, huit hommes sur dix de 55 à 65 ans étaient en activité. Aujourd’hui, ils ne sont plus que quatre sur dix. Est-ce que ce n’est pas un mouvement irréversible ?
J. Barrot : Bien sûr que non. Parce que dans le même temps, vous savez ce qui nous arrive cette année, on a tous gagné plus d’un trimestre de vie, moyenne d’âge 80 ans. Mais dites, comment on pourra faire s’il n’y a dans cette société française plus que des gens… qu’un très petit nombre d’actifs ? En réalité, Olivier Mazerolle, ce qu’il faut c’est que la vie ne soit pas coupée comme elle l’est en séquences, de longues études, une petite période d’activité, et une très longue retraite. Il faut essayer un petit peu de mêler les temps. Nous ne sommes plus il y a un siècle, nous ne sommes plus il y a cinquante ans, les données ont changé et il faut aussi que nous concevions la durée de la vie professionnelle en fonction de ces changements.
O. Mazerolle : Monsieur le ministre, les médecins, la Sécurité sociale, demain il y aura encore une grève des médecins, en fin en tout cas une partie d’entre eux. Jeudi dernier, le président de la République disait le moment est venu de reprendre le dialogue, il s’adresse aux médecins. Vous avez eu des tentatives de reprise de dialogue depuis cette intervention ?
J. Barrot : Oui. Oh, il y a encore en cette fin d’année des moments d’humeur de la part des médecins, mais il y a aussi chez beaucoup d’entre eux le sentiment que leur avenir passe par l’élimination des déficits et qu’ils ont tout intérêt à cogérer la réforme, à faire de l’assurance maladie un peu leur affaire aussi.
O. Mazerolle : Mais vous allez arriver à un accord et pas seulement avec les généralistes ?
J. Barrot : Mais bien sûr les accords qui seront peu à peu, il y aura des allers et retours. Il faut de la patience, on ne peut pas s’adapter comme cela du jour au lendemain.
O. Mazerolle : Aujourd’hui, les auditeurs peuvent téléphoner toute la journée pour avoir des informations sur les carnets de santé. Si un médecin vous dit, non moi je ne vous remplis pas votre carnet parce que je n’ai pas le temps de le faire, qu’est-ce qu’on doit lui dire ?
J. Barrot : Ah, il faudra progressivement que le médecin joue pleinement le jeu. Car le carnet de santé, Olivier Mazerolle, c’est d’abord un outil de santé. Je voudrais le redire en remerciant RTL de parler de ce carnet de santé. C’est un moyen d’abord de prévenir, en sachant un petit peu les antécédents de chacun d’entre nous. C’est un moyen aussi de bien coordonner le soin et ne pas refaire faire des examens inutiles, alors qu’on a besoin d’un bon suivi et c’est souvent un bon outil de confiance entre le médecin et son patient. Alors que les médecins prennent le temps de remplir le carnet de santé et que le patient prenne aussi les moyens de pouvoir faire plus confiance dans son médecin, et la société française s’en portera beaucoup mieux.
O. Mazerolle : Merci, monsieur le ministre.
RMC - jeudi 19 décembre 1996
P. Lapousterle : Vous êtes en charge des problèmes les plus difficiles qu’affrontent les Français. Je veux parler de l’emploi et de la Sécurité sociale. On va tenter avec vous d’y voir plus clair sur les intentions du gouvernement. D’abord on a entendu hier que le président de la République avait demandé à tous les ministres de faire des économies supplémentaires pour assurer une baisse possible des impôts. Est-ce qu’on demandera aussi un effort aux budgets sociaux dont vous êtes en charge ?
J. Barrot : Le président de la République vise surtout les frais généraux de la maison France, tout ce qui est dépenses de fonctionnement – voir si l’État ne peut pas fonctionner de manière aussi efficace et moins chère. C’est un exercice quotidien et il ne vise pas, bien entendu, les budgets sociaux dans la mesure où ils accompagnent les Français en difficulté.
P. Lapousterle : Hier, à votre place, nous avions M. Maffioli, qui est président de la Confédération des médecins français, et il nous disait que ce qui le choquait dans ce qu’on demande aux médecins en ce moment, c’est qu’on applique des sanctions collectives, c’est-à-dire que si le budget voté par les parlementaires était dépassé par les médecins – par certains médecins –, tous auraient à payer, quelle qu’ait été leur conduite personnelle. Ceux qui auront respecté l’enveloppe paieront comme les autres. Est-ce que c’est vrai ou non ?
J. Barrot : Je pourrais répondre aussi que si l’effort de la grande majorité des médecins arrive à tenir les objectifs, il y aura une revalorisation des honoraires. Ce sera bien une revalorisation des honoraires de tous les médecins. Donc, il y a bien une sorte de solidarité de l’ensemble des médecins. À l’inverse, si vraiment l’assurance maladie, après avoir bien regardé les raisons pour lesquelles les dépenses ont dépassé les prévisions – parce que si ce n’est pas la faute des médecins, il n’est pas question de mettre à leur charge quoi que ce soit –, on peut imaginer en effet que les cotisations que payent les médecins, et qui sont très allégées par l’assurance maladie, le soient un peu moins dans une période difficile pour l’assurance maladie. Je ne comprends pas pourquoi certains médecins sont en train de raconter à leurs patients des choses inexactes. S’il y a bien quelqu’un en qui on doit pouvoir avoir confiance, c’est en son médecin. Il ne faut pas que les médecins racontent que la Caisse nationale, le gouvernement, les amèneraient, à partir du mois de novembre, à ne plus pouvoir soigner. C’est tout à fait faux.
P. Lapousterle : Est-ce qu’il ne serait pas tellement plus simple de dire que les médecins qui dépassent le budget voté par la nation paieront et ceux qui se sont bien conduits ne paieront pas ?
J. Barrot : Mais c’est ce que la Caisse nationale va proposer – encore une fois c’est une hypothèse et ce n’est pas la plus sûre –, c’est que si jamais les prévisions sont vraiment dépassées sans qu’il y ait de raisons particulières, de facteurs exceptionnels, eh bien en effet il y aura un certain effort qui sera réparti entre médecins, et si les médecins veulent cogérer la réforme, ils pourront faire en sorte que l’effort demandé soit proportionnel à la manière dont chacun s’est comporté. Tout est négociable, tout peut être réglé dans une bonne cogestion.
P. Lapousterle : Un point qui inquiète les Français : la flexibilité ou disons la plus grande souplesse dans les contrats de travail – puisque c’est le terme souvent qui dérange. Est-ce que – et je vous demande là la position du gouvernement –, comme le dit le patronat, plus de souplesse ce sera plus d’emplois, ou, comme le disent les syndicats, plus de souplesse ce sera finalement la déstabilisation des quelques emplois stables qui restent dans ce pays ?
J. Barrot : Il faut poser les problèmes en termes très pratique. C’est vrai que dans une entreprise donnée quand il y a tout à coup une grosse commande qui arrive de l’étranger, ce serait bien dommage que l’entreprise française ne puisse pas bénéficier de la commande. Il faut pour cela que les salariés acceptent un effort d’aménagement du temps de travail, qu’ils donnent un coup de collier une semaine et puis que la semaine d’après, évidemment, ils puissent lever le pied. Autrement dit, tout cela se négocie. Car ce qui importe, c’est la préservation des équilibres sociaux. On peut demander un peu plus de souplesse, un peu plus de mobilité aux personnes, mais il faut aussi que l’entreprise et les employeurs acceptent, soit en donnant en compensation quelques heures de repos supplémentaires, soit en leur donnant, ce que je voudrais tellement voir apparaître en 1997, ce capital temps-formation qui permet que tout au cours de sa vie on sait qu’on pourra se refaire un peu des capacités professionnelles supplémentaires. Autrement dit, il faut que la France trouve la dynamique sociale où l’entreprise trouve son compte, et par conséquent crée des emplois supplémentaires et que les salariés eux aussi aient des contreparties.
P. Lapousterle : Et quand on voit qu’en Grande-Bretagne, il y a moins de deux millions de chômeurs aujourd’hui.
J. Barrot : Ah oui, mais on oublie qu’en Grande-Bretagne il n’y a pas 160 000 jeunes qui arrivent chaque année, comme en France, sur le marché du travail. Et puis n’exagérons rien, les Anglais ne créent pas d’emplois. Nous, depuis un an, malgré un taux de croissance qui tourne autour de 1 % nous n’avons perdu que 18 000 emplois salariés. Ça veut dire que si l’année prochaine on fait plus de deux, on doit créer plus d’emplois.
P. Lapousterle : L’emploi ira mieux l’an prochain ?
J. Barrot : Pas de désespoir dans ce pays, simplement il faut que la croissance s’améliore. Nous nous sommes débrouillés – je trouve que c’est un bon résultat – à ce que la croissance soit plus riche en emplois. Désormais, dès que la croissance est à 1,5 % par an, on ne perd plus d’emplois. Ce n’était pas vrai en 1992 parce qu’on en perdait avec 1,5 % de croissance. Il y a donc une croissance française qui s’enrichit en emplois par l’aménagement du temps de travail, par le recours à un temps partiel choisi, etc. On a fait des efforts, ils porteront leurs fruits.
P. Lapousterle : L’Assemblée a adopté hier la prestation dépendance. Quand ? Pour qui ? Est-ce que cela améliorera le sort de ceux qui ont déjà une allocation compensatrice dite de tierce personne ?
J. Barrot : Je commence par la fin : oui, cela l’améliorera, parce que désormais la prestation spécifique dépendance se traduira en heures de services pour la personne âgée elle-même. Cela créera aussi des emplois. Pour qui ? Pour tous ceux dont les ressources sont en dessous d’un plafond qui est situé autour de 10 000 francs par mois.
P. Lapousterle : Tout le monde y aura droit, tous ceux qui toucheront 10 000 francs par mois et qui en ont besoin ?
J. Barrot : Il est bien entendu que l’allocation variera, bien sûr, en fonction du revenu. Mais on peut estimer que dans les cas de personnes âgées très dépendantes, la prestation pourra aller jusqu’à 5 400 francs par mois. C’est dire que le dispositif est plus généreux qu’on ne voulait bien le dire parce que le Parlement a bien travaillé. Je rends hommage au Sénat notamment, qui a pris l’initiative de cette démarche. J’y ai aussi beaucoup travaillé au nom du gouvernement et je dis : « Rendez-vous en 1997, les choses vont vraiment s’améliorer de ce côté-là ».
P. Lapousterle : Quand ?
J. Barrot : Cela va commencer début janvier. Cela dépendra aussi de la vigilance des départements à mettre en place toute l’équipe médico-sociale. Car il y aura une équipe qui se rendra chez la personne âgée pour voir selon une grille quel est son état de dépendance. Tout cela se fera de manière juste et objective.
P. Lapousterle : Il y a trente-cinq lignes en ce moment sur certaines fiches de paye. Elles vont diminuer de combien ? D’une ligne, deux lignes ?
J. Barrot : On ne va pas tout faire d’un seul coup. J’annonce qu’au lieu de modifier deux fois le plafond de la Sécurité sociale, on ne le fera qu’une fois, qu’il n’y aura qu’une ligne pour le RDS et la CSG. Déjà, les progrès vont commencer début 1997, et puis il y a l’idée que le groupe Turbo nous a donnée, c’est qu’on peut avoir une fiche de paye complète chaque année et chaque mois, une fiche de paye très simplifiée. L’objectif est, en effet, de descendre à dix lignes et en dessous de dix lignes au lieu de plus de trente aujourd’hui. Le mouvement est engagé.