Interviews de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" le 25 mars 1998 et à RTL le 26, sur le bilan des élections régionales et cantonales (marquant pour la droite "une crise politique grave"), la nécessaire reconstruction de la droite autour du RPR, et le souhait d'une réforme du mode de scrutin (majoritaire) pour les législatives.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections régionales le 15 mars-élections cantonales les 15 et 22 mars 1998

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - Le Figaro - RTL

Texte intégral

LE FIGARO le 25 mars 1998

LE FIGARO : L’intervention de Jacques Chirac va-t-elle faciliter la recomposition de la droite ?

Jean-Louis DEBRÉ : Jacques Chirac incarne pour tous les Français la République. Il n’a jamais composé avec l’extrémisme. Il est le premier à défendre les valeurs républicaines. Il est le fédérateur de la droite républicaine. L’œuvre de recomposition ne peut se résumer à un mécano d’appareils. La reconstruction de la droite, comme nous l’avons engagée au RPR avec Philippe Séguin, passe par un travail en profondeur de modernisation, d’adaptation de notre discours politique mais également par le renouvellement de nos cadres, de nos candidats et de nos méthodes de fonctionnement.

LE FIGARO : Que répondez-vous à ceux de vos électeurs qui se demandent pourquoi ne peut être appliquée au FN la « méthode » choisie par Mitterrand face au PC : s’allier pour mieux étouffer ?

Jean-Louis DEBRÉ : Cela ne me semble pas réaliste. D’abord parce que nous n’avons pas la même conception de la morale en politique. Ensuite parce que François Mitterrand a étouffé le PC alors que le PS était en position dominante. Force est de constater que ce n’est pas le cas du RPR, après la défaite de juin dernier et le résultat des régionales et cantonales. Au surplus, en 1981, les dirigeants communistes voulaient sortir de leur opposition. Pour y parvenir, abandonnant leurs convictions, ils se sont ralliés aux thèses socialistes. Le Pen, lui, ne souhaite pas d’abord le pouvoir. Il veut empêcher les gaullistes de gouverner la France et les écarter de la scène publique. Il veut assister à la concrétisation du combat de sa vie : l’élimination de ceux qui se réclament du gaullisme. Enfin, comment s’allier à un personnage qui ne défend pas les mêmes principes politiques que nous ?
Ce serait une alliance de dupes sur le dos des Français.

LE FIGARO : Une évolution « à l’italienne » du FN est-elle possible ?

Jean-Louis DEBRÉ : Une évolution à l’italienne, c’est l’abjuration des thèses xénophobes et racistes dont ce parti est intrinsèquement porteur. Ce n’est pas possible, me semble-t-il, en France. Cela étant, il faut non seulement, entendre l’appel de détresse et le désarroi des républicains sincères qui votent pour le FN pour protester et exprimer une souffrance, mais également apporter des solutions concrètes, immédiates, tangibles tant en matière de sécurité et d’immigration que de solidarité au quotidien. Lorsque ces solutions auront été mises en œuvre, ces électeurs pourront à nouveau témoigner leur confiance au courant politique du camp républicain, porteur des valeurs d’autorité et d’ordre, que nous avons vocation à incarner.

LE FIGARO : Comment la droite peut-elle « convaincre sans se renier » ?

Jean-Louis DEBRÉ : En affirmant ses valeurs, en montrant qu’elle ne change pas d’idées au gré du moment. La crise que nous traversons est grave et préoccupante. Elle doit être pour nous l’opportunité de réaffirmer très fortement nos convictions, de formuler et de diffuser un message clair et cohérent. Réhabiliter la politique, ce n’est pas une volonté abstraite, un slogan électoral, mais l’affirmation que les engagements pris seront respectés. Depuis des mois et des mois, nous répétons qu’il ne peut y avoir d’accord avec Jean-Marie Le Pen. Nous respectons aujourd’hui ce que nous avons dit. Nous avons des idées que nous croyons bonnes pour la France. Nous les appliquerons lorsque nous reviendrons aux responsabilités de l’État.

LE FIGARO : Jacques Chirac n’a pas exempté la droite de responsabilité dans la situation actuelle…

Jean-Louis DEBRÉ : Nous sommes les premiers responsables de nos échecs. C’est évident. Nous en avons parfaitement conscience. L’effort engagé par Philippe Séguin pour moderniser le RPR, ceux que nous avons entrepris pour dynamiser notre groupe parlementaire, en sont des preuves. Mais nos difficultés actuelles s’expliquent aussi par le jeu coupable des socialistes avec l’extrême droite.
Voilà plus de quinze ans que les socialistes font des clins d’œil à l’extrême droite derrière le dos des Français. Et que dire du jeu trouble de François Mitterrand qui a entretenu des relations ambigües pendant et après la guerre avec des personnes qui avaient préféré Vichy et Pétain à la France libre de De Gaulle ? Arrivé au pouvoir, il s’est empressé de faire modifier la loi électorale pour les législatives, ce qui aboutit en 1986 à l’arrivée au Palais Bourbon de 35 députés Front national dont Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, il est de notre devoir de dénoncer clairement ceux pour qui la politique est d’abord l’art du mensonge, du cynisme, de l’hypocrisie, la science des calculs, des combinaisons et des alliances contre nature. Nous devons critiquer aussi bien Le Pen que Jospin…

LE FIGARO : L’heure semble plus à l’union nationale qu’à l’invective. Comment la modernisation de la vie politique souhaitée par Jacques Chirac peut-elle se traduire ?

Jean-Louis DEBRÉ : Nous avons eu la démonstration éclatante de la nocivité de la représentation proportionnelle. Les élections régionales étant passées, je pense, comme Jacques Chirac, qu’il faut en profiter pour réfléchir à une modification de nos lois électorales. Depuis longtemps, je suis partisan du scrutin majoritaire. D’une manière générale, la France doit être dirigée par des majorités cohérentes et non pas par des coalitions hétéroclites qui ne s’accordent que sur une chose : se maintenir à tout prix au pouvoir. Et pour les élections des députés, j’ai déjà dit ma préférence pour le scrutin uninominal majoritaire à un tour.

LE FIGARO : Est-ce aussi la préférence de Jacques Chirac ? Et une modification du scrutin est-elle vraiment suffisante ?

Jean-Louis DEBRÉ : Cela n’est évidemment pas suffisant. Cette modification du scrutin doit être accompagnée d’une redéfinition et d’une modernisation sans complaisance de nos modes d’action politique. Les Français ont besoin d’avoir des repères politiques précis. De savoir quelle sera notre politique quand nous reviendrons au pouvoir et, surtout, d’être certains que nous respecterons nos engagements. Mais ne mésestimez pas le rôle du mode de scrutin sur les comportements politiques. Vous avez pu mesurer les conséquences de la proportionnelle. Vous voyez bien les effets nocifs qu’elle porte en elle, les calculs, les truquages qu’elle favorise. Il est évident qu’elle incite à des alliances qui se nouent toujours après le scrutin et qui surprennent les électeurs. Les Français veulent aujourd’hui une vie politique plus lisible, plus claire, plus honnête. La représentation proportionnelle n’est plus adaptée aux enjeux de notre démocratie. Que veulent les Français ? Que leurs souhaits, leurs attentes soient efficacement pris en compte. Que leurs dirigeants soient élus par eux, et non désignés à la suite de marchandages plus ou moins secrets.

LE FIGARO : Un scrutin uninominal à un tour, qui favoriserait l’émergence de deux grands partis à l’anglaise, pourra-t-il mener à la création d’un grand parti du président ?

Jean-Louis DEBRÉ : Le président de la République incarne la nation dans sa diversité et son unité. Le mode de scrutin doit permettre au gouvernement d’avoir une majorité pour gouverner. Il est préférable pour l’État et son autorité qu’il y ait concordance entre la majorité parlementaire et la majorité qui a approuvé les options du président de la République. Mais n’oublions jamais que le chef de l’État se situe à un autre niveau constitutionnel.

LE FIGARO : N’est-ce pas une manière de mettre le FN et les partis minoritaires hors-jeu et peut-être de pousser dans la rue certains de ses électeurs ?

Jean-Louis DEBRÉ : Par les élections, l’approbation ou la désapprobation de la politique du gouvernement, les Français ont la possibilité de formuler des choix. Situer son action en dehors des élections, c’est refuser la démocratie.

LE FIGARO : Quai bilan tirez-vous de ces élections régionales et cantonales ?

Jean-Louis DEBRÉ : Cas élections qui devaient assurer le triomphe des socialistes n’ont pas abouti au succès qu’ils escomptaient. Compte tenu du nombre d’abstentions, de bulletins nuls ou blancs, seulement 16 % des Français ont manifesté leur soutien aux listes de la gauche dite plurielle. Neuf mois après les législatives, la désillusion est manifeste. Il n’y a pas d’adhésion populaire aux idées socialo-communistes développées par M. Jospin et sa majorité. La coalition gouvernementale est confrontée à une montée de l’extrême gauche qui menace son apparente unité. Les communistes, ne supporteront pas longtemps d’être concurrencés sur leur gauche.

LE FIGARO : L’extrême gauche, planche de salut de la droite ? N’est-ce pas l’histoire de la poutre et de la paille ?

Jean-Louis DEBRÉ : L’évolution des scores de l’extrême gauche est tout de même très significative. Elle est passée de 1,2 % aux régionales de 92 à 4,35 % en 1998. En un an, l’extrême gauche a doublé en terme de voix. Cela annonce des fissures dans la coalition socialo-communiste.

LE FIGARO : Quand vous voyez certains chiraquiens comme Jean-François Mancel ou Charles Millon accepter les voix du FN, qu’avez-vous envie de leur dire ?

Jean-Louis DEBRÉ : Il faut bien voir que les dirigeants du Front national semblent avoir élaboré une nouvelle stratégie. Ne plus secourir la gauche, mais aider la droite, tel est leur nouveau slogan. Ils nous offrent l’appoint des voix nécessaires pour battre leur allié d’hier. Faut-il accepter ? Je ne le crois pas. Ce serait plus qu’une erreur, une faute politique. Le Pen n’a pas changé. Il n’a pas dit qu’il renonçait à ses idées et slogans extrémistes. Il a seulement modifié sa tactique.
Passer un accord avec lui, c’est cautionner des valeurs qui ne sont pas les nôtres, c’est prendre un risque d’autant plus évident que le FN a un allié objectif, les dirigeants socialistes qui souhaitent rendre l’alternance impossible. Il n’en reste pas moins que le FN représente 15 % des électeurs qui votent. Ceux qui lui apportent ainsi leurs voix ne partagent pas tous les idées extrémistes ou racistes de Le Pen. Le FN a su capter un vote contestataire.  À nous de convaincre la partie de cet électorat qui n’est pas extrémiste de notre volonté de restaurer en France les valeurs d’autorité, de notre souhait de promouvoir un État capable de faire respecter la loi et l’ordre.

RTL le jeudi 26 mars 1998

RTL : Tout d’abord, approuvez-vous l’initiative de F. Bayrou de proposer un nouveau parti pour remplacer l’UDF ?

Jean-Louis DEBRÉ : Debré : Ce n’est pas à moi d’intervenir dans ce sujet. Mais je voudrais tout d’abord vous dire une chose que j’ai entendue tout à l’heure. Je ne crois pas que la crise politique que nous traversons soit uniquement la conséquence du mode de scrutin. Si ce n’était que la conséquence de la proportionnelle, alors elle serait facile à régler. Et donc je crois qu’il y a des causes beaucoup plus grandes. C’est vrai que la proportionnelle a des effets nocifs. C’est vrai que la proportionnelle doit être écartée. C’est vrai que la proportionnelle est le scrutin qui permet des alliances, et des alliances hétéroclites.

RTL : Donc vous appuyez l’initiative de L. Jospin, qui veut modifier le mode de scrutin !

Jean-Louis DEBRÉ : Oui. Mais je n’ai pas de leçon à recevoir de M. Jospin. Car cela fait quinze ans – elle est peut-être là aussi, la crise – que les socialistes font des clins d’œil à l’extrême droite, derrière le dos des Français. Je ne vais pas reprendre toutes les étapes de ces relations ambigües entre Mitterrand et ses successeurs, et un certain nombre d’hommes d’extrême droite, et à la veille des élections, comment on agite certains chiffons rouges pour faire en sorte qu’il y ait de la part de M. Le Pen une montée en puissance. Ne parlons pas de cela. Moi, ce qui m’importe aujourd’hui, c’est d’essayer de reconstruire la droite. C’est vrai que nous traversons une crise politique grave. C’est vrai qu’il faut profiter de cette crise pour donner une nouvelle impulsion à la droite. Alors moi, je suis très attaché à l’union de la droite. Et on le voit aujourd’hui à travers cette crise, le RPR apparaît très clairement comme la seule clef de voûte de la droite et de l’opposition ; clef de voûte autour de laquelle les différentes composantes de la droite doivent se rassembler et se fédérer. Si vous voulez, je crois qu’aujourd’hui, et cela apparait clairement, le RPR est la colonne vertébrale de toute la droite française. Et non seulement cela, mais il est aussi le seul rempart contre l’extrémisme.

RTL : Ce qui veut dire que ma question reste quand même d’actualité, vous l’avez repoussée. Vos alliés UDF appartiennent à la droite, et ce qui se passe à l’UDF doit vous intéresser quand même ?

Jean-Louis DEBRÉ : Cela m’inquiète parce que je crois que nous avons besoin de construire ensemble une grande droite. Mais, n’attendez pas de moi que j’attise le feu. Je dis simplement : nous, au RPR, nous tenons, nous sommes là, nous sommes torts, nous avons bien ciblé ce que nous voulons faire ; à la fois combattre extrêmement vigoureusement la gauche et la politique qu’elle suit. Nous avons aussi la volonté, derrière P. Séguin, de reconstruire autour d’un certain nombre de valeurs, qui sont nos valeurs, c’est les valeurs de la défense de la France, c’est la valeur de l’autorité, c’est la valeur de la restauration de l’État, c’est la valeur de la générosité, mais non pas de l’assistance. Eh bien, que nos amis de l’UDF, qui considèrent que nous avons un bon combat, et qui sont inquiets de leur avenir, se rapprochent de nous, et en ce qui concerne le RPR et le groupe parlementaire – vous savez, je travaille quotidiennement avec des parlementaires…

RTL : Mais quels amis de l’UDF : A. Madelin, F. Léotard, F. Bayrou ?

Jean-Louis DEBRÉ : Je ne rentrerai pas dans cette discussion. Que celles et ceux qui partagent nos valeurs, qui considèrent qu’aujourd’hui la droite doit se recomposer autour d’un combat contre la gauche, mais aussi autour d’un renouveau des candidats, d’un renouveau de notre langage et de la réaffirmation d’un certain nombre de valeurs d’autorité et d’efficacité…

RTL : Mais par exemple, si à l’UDF certains membres se rapprochent plus de J.-M. Le Pen – de l’extrême droite –, doivent-ils faire partie de cette opposition de droite ?

Jean-Louis DEBRÉ : Attendez, nous avons très clairement, au RPR, depuis longtemps, nous l’avons redit…

RTL : Parlez de l’UDF.

Jean-Louis DEBRÉ : Non, mais nous n’accueillerons pas des gens qui passent des contrats – ou qui négocient ou qui se rapprochent – avec les extrémismes. Ce n’est pas notre volonté. Nous, nous avons une position très claire et nous tenons cette ligne. Mais celles et ceux qui considèrent, parce que c’est la lecture de la vie politique, qu’il faut venir au RPR, parce que le RPR est la seule force cohérente, unie, qui veut combattre à la fois la gauche et l’extrémisme, que ces gens-là nous rejoignent.

RTL : Hier soir, P. Séguin envisageait la fin des candidatures uniques à droite.

Jean-Louis DEBRÉ : Mais cherchons toutes les méthodes pour valoriser l’opposition. Si dans tel cas, il faut des candidatures uniques, trouvons des candidatures uniques. Si au contraire, il est plus efficace d’être une droite qui organise un certain nombre de primaires dans tel endroit, eh bien faisons-le. Cherchons l’efficacité, cherchons la modernité, cherchons à faire triompher nos idées. Et ne cherchons pas d’abord à faire du Meccano politique.

RTL : F. Léotard a évoqué tout à l’heure deux valeurs : « le discours du centre et le discours libéral – disait-il – qui ont été occultés. »

Jean-Louis DEBRÉ : Mais attention aux mots. Moi je veux que nous ayons des propositions précises, et que nous disions aux Français : ces propositions, eh bien quand nous allons revenir au pouvoir,  nous les respecterons. Et je me méfie des grands labels – le centre, la droite, le libéralisme. Non ! Nous avons une volonté, celle de construire une France moderne dans laquelle on respecte l’État, l’autorité, la loi. Notre responsabilité à nous, RPR, c’est de défendre la France dans une Europe qui se construit.

RTL : Dans cette construction, quel rôle, quelle place pour le président de la République ?

Jean-Louis DEBRÉ : Le président de la République incarne la République, et il incarne tous les Français. Mais il est évident que tous les hommes de droite, quels qu’ils soient, se retrouvent en lui.

RTL : Tout à l’heure, B. Hadjaje, qui suivait l’intervention de F. Léotard, a dit : tout le monde dans l’opposition, à droite, a commis des erreurs durant ces élections. Est-ce que vous prenez une part de responsabilité dans ce qui vient de se passer ?

Jean-Louis DEBRÉ : Si nous en sommes là, c’est en grande partie à cause de nos erreurs et de nos erreurs passées. Mais c’est aussi, ne l’oubliez jamais, parce que le Parti socialiste, depuis 15 ans, a joué avec le feu, a fait en sorte de faire monter le Front national ; parce que le Parti socialiste depuis 15 ans, a essayé d’avoir comme seul adversaire l’extrême droite pour éliminer la droite républicaine ! C’est l’affaire du pompier pyromane.