Interview de M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 9 mai 1997, sur la campagne des élections législatives de 1997, notamment les propositions du PS en matière d'immigration et son refus de toute "complaisance" à l'égard du Front national (la phrase sur le frigidaire était une "improvisation... maladroite").

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : La droite est sur la défensive. La droite peut-elle perdre ?

J.-L. Debré : Non. La droite ne doit pas perdre parce que c’est l’intérêt de la France. Nous ne pouvons pas aujourd’hui, dans la concurrence internationale, avec les difficultés qui sont celles de la France, envisager, une seconde, de relâcher l’effort. L’intérêt des Français, c’est que la majorité qui soutient le président de la République continue. Naturellement, il faut être vigilant. Naturellement, il faut lutter contre la démagogie.

J.-P. Elkabbach : Pourtant, pour le moment, l’opinion est rétive à l’égard de la majorité, et même parfois hostile. Pourquoi ?

J.-L. Debré : Parce que la majorité n’est probablement pas encore assez offensive. Il faut que nous soyons partout sur le terrain, parce que les Français, et c’est normal, sont inquiets de l’avenir, parce que les Français voient bien qu’il y a des défis et que face à ces défis, il faut plus de pugnacité, plus de volonté.

J.-P. Elkabbach : Quand le Président a dissous, pensait-il que ce serait aussi dur ?

J.-L. Debré : Il faut interroger le président de la République. Mais une élection est toujours quelque chose de difficile.

J.-P. Elkabbach : Souhaitez-vous que le président de la République s’implique davantage et de nouvelles fois ?

J.-L. Debré : C’est sa responsabilité, ce n’est pas la mienne. Mais je considère que dans les institutions de la Ve République, le président de la République est à la fois l’arbitre des institutions et le guide de la nation. Donc, s’il le juge nécessaire, il doit montrer le cap.

J.-P. Elkabbach : Une nouvelle fois ?

J.-L. Debré : Une nouvelle fois, comme cela a été fait par ses prédécesseurs.

J.-P. Elkabbach : Lionel Jospin vous répond deux fois ce matin : d’abord, dans une lettre publiée dans toute la presse – sauf « l’Humanité ». Cela vous suffit-il ? Êtes-vous convaincu ?

J.-L. Debré : J’ai lu, et je n’ai rien trouvé. D’une part, c’est un magnifique flou artistique. J’ai l’impression d’entendre « La petite musique de nuit » destinée à endormir nos concitoyens. Le seul point positif, c’est qu’il reconnaît ses erreurs du passé : M. Jospin comme les socialistes sont des spécialistes de l’amnistie ; donc, il y a une auto-amnistie de M. Jospin sur ses erreurs du passé. Quant à l’avenir, rien sur l’économie. Comment M. Jospin va-t-il financer ces mesures ? Peut-être comme par le passé, en ne réglant pas les factures ! Je vous rappelle qu’en 12 ans, les socialistes ont multiplié le déficit budgétaire français par 10. Alors, ils vont recommencer M. Jospin est finalement quelqu’un qui, après avoir géré la France pendant 12 ou 14 ans à crédit, veut désormais un chèque en blanc.

J.-P. Elkabbach : Vous croyez à tout ce que vous dites ou bien le dites-vous parce que c’est la campagne ?

J.-L. Debré : Je le crois profondément. Je crois profondément en un socialisme qui a abîmé notre pays. Je vois simplement que depuis que nous sommes arrivés au pouvoir, nous sommes forcés de régler les dettes des socialistes. Je vois simplement que dans le domaine de la sécurité, qui est un domaine privilégié pour moi, en 14 ou 12 ans de socialisme, la délinquance et la criminalité ont augmenté de 25 %, et nous l’avons fait baisser de 10 %. Je vois que dans le domaine de la lutte contre l’immigration illégale – car si nous voulons intégrer à la France les étrangers en situation régulière, il faut être intransigeant à l’égard des immigrés en situation illégale –, ils ont régularisé et permis à un certain nombre d’étrangers en situation illégale qui ne respectaient pas les lois de la République de rester sur le territoire. Ce n’est pas un comportement républicain et national.

J.-P. Elkabbach : M. Juppé avait posé quatre questions à M. Juppé, dont une sur l’immigration ; hier, à Pamiers, M. Jospin a répondu : le PS remplacera les lois Pasqua-Debré par une législation protectrice des lois des personnes. Il associera la lutte contre les clandestins à une politique d’intégration. C’est clair ?

J.-L. Debré : Je n’ai rien compris, et personne n’a rien compris ! Lorsque l’on veut lutter contre une difficulté, un problème, lorsqu’on veut lutter contre l’immigration illégale pour mieux intégrer les étrangers en situation régulière, il faut prendre des mesures. M. Jospin, allez-vous reconduire à la frontière les gens en situation illégale ?

J.-P. Elkabbach : Vous pensez qu’il ne serait pas capable de renvoyer chez eux de force plusieurs fois par mois en avion ou en bateau les illégaux ?

J.-L. Debré : Il ne l’a jamais fait ! Je ne vois pas pourquoi il le ferait maintenant ! Pendant 14 ou 12 ans, et même lorsqu’ils avaient le pouvoir, la majorité absolue, la présidence de la République, le gouvernement, ils ont régularisé, ils ont refusé de renvoyer des gens en situation illégale, au mépris de la loi et au mépris de la République !

J.-P. Elkabbach : Il emploie très souvent le mot « dignité ».

J.-L. Debré : Je suis pour la dignité. Un pays n’impose la dignité que dans le respect de la loi républicaine. La loi est la même pour tous.

J.-P. Elkabbach : Si la gauche gagne, ce n’est quand même pas une entrée massive d’irréguliers ou une hospitalité à tout-va ?

J.-L. Debré : Ce ne sera surtout pas une entrée massive de communistes, parce que quand vous regardez « l’Humanité » ce matin, moi qui ne suis pas un lecteur de « l’Humanité », vous voyez avec quelle délectation les communistes disent aux socialistes : « Attention, nous, nous sommes là. Alors arrêtez votre hégémonie. Il faudra compter avec nous, et nous vous imposerons ce que nous avons à vous imposer. » Comme M. Jospin ne veut plus parler aux communistes, cela augure bien, face aux difficultés de la France de ce que serait un gouvernement socialo-communiste qui serait entièrement paralysé par des querelles intestines au mépris des intérêts de la France.

J.-P. Elkabbach : Et si les Français choisissent. Est-ce que vous me permettez d’aborder la phrase que vous avez employée vous-même et qui a choqué, je vais la rappeler : est-ce que vous acceptez que des étrangers viennent chez vous, s’installent chez vous et ouvrent votre frigidaire ? C’était une improvisation ?
J.-L. Debré : C’est une improvisation. Mais attention, d’abord je parlais des étrangers en situation illégale. Deuxièmement, je n’ai pas de leçon à recevoir de celles et ceux qui ont, il y a quelques années, modifié les lois électorales pour faire rentrer les extrémistes au Parlement. Moi, je suis très opposé, j’ai toujours été opposé, et je n’ai jamais eu la moindre complaisance à l’égard du Front national. Dans mon département de l’Eure, je me suis toujours battu contre le Front national et, par conséquent, je n’accepte de leçon de personne. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a un problème en France de l’immigration irrégulière, qu’il faut la combattre avec volonté. Pourquoi ? Parce que si nous voulons rester fidèles à la tradition française d’accueil des étrangers en situation régulière, il faut être intransigeant à l’égard de ceux qui viennent en France au mépris des lois de la République.

J.-P. Elkabbach : Vous ne regrettez pas la phrase ?

J.-L. Debré : Je regrette l’exploitation qu’on a fait de cette phrase.

J.-P. Elkabbach : Mais pas… ?

J.-L. Debré : Elle est maladroite mais je voudrais bien que lorsqu’on fait la citation, on rajoute « les étrangers en situation illégale ».

J.-P. Elkabbach : Pour neutraliser le Front national, est-ce qu’il faut parler comme lui, d’une manière plus générale je veux dire ?

J.-L. Debré : Moi, je ne parle jamais du Front national. Je parle des problèmes qui sont ceux de la France. Quels sont les problèmes de la France ? C’est le problème de l’emploi, de la sécurité, des charges et de l’immigration illégale.

J.-P. Elkabbach : La bataille, on sent bien en vous écoutant aussi après les correspondances entre Chirac, Juppé, Jospin, est en train de s’accélérer et de se durcir. M. Juppé sert de cible tous azimuts, y compris, si je peux me permettre, dans votre famille, votre frère Bernard Debré. On raconte que M. Juppé en a assez ?

J.-L. Debré : Je ne sais pas. Mais moi, ce que je veux vous dire, c’est qu’Alain Juppé est un bon Premier ministre, il a le sens de l’État et le souci de l’intérêt général et il a surtout – et c’est essentiel pour la France –, le courage de réformer notre pays et de la préparer pour la modernité. C’est ça l’important pour un Premier ministre. Alors arrêtons de taper sur Alain Juppé. Moi, je préfère avoir un Premier ministre sérieux qui s’occupe des vrais problèmes de la France plutôt que d’avoir des marionnettes qui cherchent à être haut dans les sondages.

J.-P. Elkabbach : Vous pensez à l’intervention remarquée de Valéry Giscard d’Estaing ?

J.-L. Debré : Je pense qu’il faudrait que l’on s’attaque aux vrais problèmes et que l’on ne fasse pas des querelles de personnes. Le problème des élections législatives, ce n’est pas une désignation d’un homme, c’est une désignation d’une majorité. Ne faisons pas une évolution des institutions de la Ve République qui consisterait à enlever au président de la République le choix du Premier ministre et à le remettre au Parlement ou aux partis politiques.

J.-P. Elkabbach : Mais quand M. Giscard d’Estaing dit que les Français veulent que l’on gouverne autrement ?

J.-L. Debré : Certainement parce que, dans une première partie, dans les deux premières années du septennat de Jacques Chirac, nous avons gouverné pour remettre la France à flot. Il ne fallait pas de concession et il fallait être fort dans la réforme. Nous les avons faites. Aujourd’hui s’ouvre une seconde étape qui consiste, forts des réformes qui ont été faites, à gouverner autrement pour pouvoir atteindre les buts fixés par le président de la République.

J.-P. Elkabbach : Et on peut gouverner autrement malgré toutes ces attaques contre Alain Juppé ? Si vous gagnez, vous pensez qu’il peut rester Premier ministre ?

J.-L. Debré : Je ne vous répondrai pas car ce n’est pas ma responsabilité.

J.-P. Elkabbach : Mais tel que vous le voyez agir, que vous le sentez, tel que vous sentez son état ?

J.-L. Debré : Vous voyez comme vous êtes. Je viens de vous dire que l’élection législative, ce n’est pas la désignation d’un homme mais d’une majorité qui va soutenir la politique fixée par le président de la République. Moi, je ne fais pas de l’élection législative une question de personne.

J.-P. Elkabbach : Vous êtes un des ministres les plus attaqués par la gauche quand on entend ce que vous dites sur l’immigration, etc., et vous êtes en même temps le plus demandé par les candidats dans les circonscriptions. C’est un paradoxe qui vous est agréable ?

J.-L. Debré : Je cherche à être fidèle à moi-même, à ce pourquoi j’ai été élu, c’est-à-dire avoir une politique efficace dans le domaine de l’insécurité et de la lutte contre l’immigration. Et il y a concordance entre mon discours et la réalité.