Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur le rôle des Français de Russie pour le développement des relations économiques et culturelles et sur le projet d'extension du lycée français de Moscou, Moscou le 8 octobre 1996.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette en Russie, en Arménie, en Georgie et en Azerbaïdjan du 8 au 13 octobre 1996

Texte intégral

Monsieur l’ambassadeur,
Monsieur le consul,
Mesdames et Messieurs,


C’est un grand plaisir pour moi d’avoir cette occasion de vous rencontrer, vous qui représentez la communauté française en Russie, et plus spécialement à Moscou.

Cela me fait un très grand plaisir car chaque fois que j’ai l’occasion de me rendre dans un pays étranger, je ne manque pas de saisir l’opportunité de parler, de dialoguer avec la communauté française.

Je suis déjà venu à Moscou au mois de janvier dernier et j’avais malheureusement manqué à cette tradition parce que le temps à l’époque état trop bref. Je le rattrape maintenant. Vous êtes dans ce pays immense, somme toute assez peu nombreux, 1 200-1 300, représentant la communauté française. Mais le nombre ne cesse d’augmenter.

Que doit être demain la relation entre la France et la Russie ? Nous sommes dans un pays qui connaît, c’est l’évidence, une profonde mutation. Sans doute pour ceux qui regardent les choses de loin, ce qui n’est pas votre cas puisque vous vivez ici, peut-on ressentir ici ou là des impatiences et des jugements portés sur le rythme et la façon que la Russie emploie pour changer. Je suis, pour ma part, beaucoup plus sensible au contraire au caractère extraordinairement déterminé et décisif des changements que ce pays opère. C’est un pays qui a une longue tradition, une longue histoire, un très fort enracinement dans sa terre et dans sa fierté nationale, un pays que nous pouvons comprendre parce que cet enracinement, cet attachement à la terre, cette fierté, après tout, ce sont des sentiments qui sont aussi les nôtres. Aussi sommes-nous bien placés, me semble-t-il, pour comprendre que la Russie se tourne progressivement, et je crois de façon déterminée, vers l’avenir, un avenir qui sans doute l’inquiète, un avenir qui sons doute préoccupe beaucoup d’hommes et de femmes en Russie mais vers l’avenir. Et cette conscience que c’est ce changement-là seul qui offre à cet immense pays un espace nouveau est, je crois, le signe de ce que la Russie a fait des choix et qu’elle n’en changera pas. C’est ce que je ressens quand je parle avec les dirigeants russes. C’est, vous vous en doutez, ce que nous souhaitons.

Nous voulons établir avec la Russie nouvelle, avec cette Russie qui de jour en jour apparaît, des relations très fortes, très amicales, très chaleureuses pour de nombreuses raisons. Naturellement, il y a des raisons d’intérêts, des raisons politiques.

J’ai parlé longuement aujourd’hui avec M. Primakov et avec M. Tchernomyrdine des questions qui intéressent la sécurité en Europe, où les changements sont formidables. Il y a encore moins de 10 ans, nous étions dans une situation de confrontation et aujourd’hui nous sommes dans une situation qui devrait être une situation de coopération, pour assurer en commun notre sécurité. Ce n’est pas simple. Cela pose à la Russie beaucoup de questions qu’elle exprime parfois brutalement, mais qui sont très compréhensibles. Je vais vous raconter une histoire. Evgueni Primakov m’a dit un jour où il protestait amicalement, mais quand même, contre la perspective de l’élargissement de l’Alliance atlantique : au fond, c’est assez simple, vous n’avez qu’à faire entrer la Pologne, puis vous déplacez le siège de l’Alliance atlantique, qui est pour l’instant à Bruxelles, vous le transportez à Varsovie, et ça y est, vous avez refait le pacte de Varsovie. Cela montre l’extraordinaire sensibilité et je crois que notre devoir à nous, la France, c’est d’avoir une attitude d’amitié, une attitude de dialogue et une attitude de compréhension. C’est ce que nous avons appelé le partenariat privilégié entre la France et la Russie. C’est à cela que nous voulons travailler.

C’est un chemin absolument décisif qui doit s’accompagner naturellement, non seulement de la démarche politique que j’évoquais à l’instant, mais aussi de progrès importants dans les relations économiques franco-russes. Je souhaite que beaucoup d’entreprises françaises prennent la route de Moscou, de Saint-Pétersbourg et d’autres villes.

Je souhaite que nos entreprises comprennent que c’est un immense marché – c’est le souhait des dirigeants russes –, dans lequel nous avons une place à prendre parce que nous avons quelque chose à apporter. Je suis sûr que pour beaucoup d’entre vous, vous êtes ici pour cette raison. Vous êtes ici parce que vous représentez telle entreprise qui a fait ce chemin.

Je le disais à l’instant, vous êtes des précurseurs. Il est indispensable que l’économie française, que les entreprises françaises, se tournent plus résolument vers la démarche de progrès économique qu’est celui de la Russie.

Je souhaite aussi que ce soit une démarche entre nos cultures. C’est une longue tradition. C’est aussi une longue histoire que celle des relations culturelles franco-russes. Nous aimons ce que l’art russe nous a apporté et continue de nous apporter. Nous avons pour cette expression artistique qui vient de la Russie une fascination naturelle, comme naturellement elle aussi un grand intérêt pour tout ce qui se passe à Paris. Dans cette période où apparaît la Russie nouvelle, je souhaite vivement que la communauté française soit l’artisan résolu du développement des relations entre nos deux pays sur le plan politique, sur le plan économique et sur le plan culturel. J’imagine que vous avez vos propres problèmes, que vous vivez la Russie au jour le jour, qu’il y a de temps en temps des difficultés. Je voudrais vous dire un mot d’un projet qui nous tient à cœur et qui, je crois, aussi vous intéresse : l’extension du lycée français de Moscou. C’est, je peux vous le dire, l’une des priorités concrètes de ce dialogue que nous avons de pays à pays.

Pas plus tard que ce matin, j’en ai parlé aussi bien au ministre des Affaires étrangères Evgueni Primakov qu’au Premier ministre, M. Tchernomyrdine, pour faire valoir que nous étions, sur ce sujet, désireux que ce qui avait été convenu les mois passés se réalise et que les choses avancent. J’espère que, vous ayant dit cela, je vous aurais remonté le moral et que vous penserez, comme moi, que nous allons bien finir dans les mois qui viennent par résoudre ce problème qui est très important. Très important pour vos enfants naturellement, très important aussi pour le rayonnement de la culture et de la langue françaises en Russie. Voilà, mes chers amis, ce que je voulais vous dire en quelques mots.

J’ajouterai un dernier point. Vous êtes notre fierté parce que la présence de Français à l’étranger est la fierté du rayonnement de la France. Avec le président de la République, nous essayons, que dis-je, nous faisons en sorte que la France soit respectée, considérée comme une grande nation et qu’elle poursuive cette ambition qui lui est naturelle : être présente partout dans le monde, partout où le débat du monde nouveau a lieu. Nous le faisons en Europe bien sûr, nous le faisons ici même avec les autorités russes comme nous le faisons au Proche-Orient, comme nous le faisons en Asie, comme nous le ferons bientôt à l’occasion d’un voyage du président de la République en Amérique latine. Je voudrais qu’en plus de cette fierté que vous êtes pour nous, vous contribuez aussi à faire partager cette fierté que nous avons de la France dans le monde d’aujourd’hui. Il y a des périodes ternes où le monde change où la place de chacun est déterminée. Et puis, il y a des périodes où le monde change, bouge, évolue, où celui qui veut, peut avancer ses pions, peut progresser et accroître son espace. Je crois qu’on est dans cette période-là, une période complexe, difficile mais où le monde change et où la France doit être plus que jamais présente avec sa fierté, avec son ambition, naturellement avec la connaissance de ses moyens et avec aussi l’idée qu’il faut faire toujours plus. On peut progresser et, aujourd’hui, il y a pour la France d’immenses espaces de conquête. Si j’emploie cette expression en Russie, c’est parce qu’elle est bien venue. La Russie en plein bouleversement est un immense espace de conquête possible pour nous, pour la langue française – je veux parler du lycée français –, pour l’espace économique, pour nos entreprises, pour notre culture. Ayons cette idée d’aller de l’avant comme nous devons avoir l’idée de tendre la main. Parce qu’être fier de son pays, c’est aussi avoir l’ambition de partager la culture, la richesse, la civilisation, ce qu’ont à apporter ceux vers lesquels nous allons.

Vous allez vers la Russie, je suis sûr que vous aimez ce grand peuple. Soyez assurés que nous aussi, et je ne doute pas qu’ensemble la communauté française ici, les autorités publiques de la nation, nous saurons faire progresser l’entente franco-russe.

Merci à vous et vive la France.