Interview de M. François Hollande, secrétaire national et porte-parole du PS, à RMC le 8 octobre 1996, sur la politique du gouvernement en Corse, les prévisions de croissance économique pour 1997, l'immigration et le débat sur le mode de scrutin.

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Circonstance : Attentat revendiqué par le FLNC Canal historique contre l'Hôtel de Ville de Bordeaux dans la nuit du 5 au 6 octobre 1996

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Après que le FLNC-Canal historique ait revendiqué l'attentat de Bordeaux, le Premier ministre a donc répondu, hier, que le Gouvernement était déterminé, je le cite : « à combattre ce terrorisme-là, comme nous avons combattu l'an dernier d'autres formes de terrorisme ». Est-ce que vous approuvez cette fermeté du Gouvernement ?

F. Hollande : Oui, on approuve bien sûr cette fermeté, dès lors qu'elle vient après un acte terroriste qui a représenté une escalade dans un processus, hélas, trop connu en Corse, c'est-à-dire que l'on est passé de la Corse au continent : on a plastiqué un bâtiment public, en plus la mairie du Premier ministre. Donc, c'est vrai qu'il y a une gravité dans l'escalade et en même temps, on doit lutter par rapport à ce phénomène, avec des moyens forcément différents de ceux auxquels fait référence. À Juppé. On n'est pas dans le même contexte, et on n'est pas avec les mêmes terroristes. Mais il faut le faire avec fermeté parce qu'on les connaît, parce qu'on sait que leur détermination est totale. Et même s'il n'y a pas eu, pour l'instant, de mort d'homme à travers ces attentats, il y en a eu quand même en Corse. Il n'y en a pas eu pour l'instant et j'espère qu'il n'y en aura pas sur le continent. Il faut lutter avec détermination, fermeté et en même temps il faut, et c'est en ce sens que le Premier ministre peut être gêné : c'est-à-dire que son Gouvernement a discuté avec ces terroristes-là. On les connaît, ce ne sont pas des étrangers. Ce n'est pas le seul gouvernement qui l'a fait. On voit bien quelle est la difficulté de la tâche.

P. Lapousterle : Est-ce qu'on peut concilier, à votre avis, cette répression, car il s'agit bien de cela, avec l'accord politique qu'il faudra bien trouver un jour ?

H. Hollande : Oui, et je pense que les élus Corses doivent être associés un processus de dialogue. Mais pas de dialogue simplement sur la zone franche. On a bien vu que cela ne suffisait pas à apaiser les Corses. Et pas simplement ceux qui posent des bombes. À la limite, ce n'est pas forcément eux qui doivent être les interlocuteurs, sûrement pas eux, mais en même temps il faut trouver un processus de dialogue politique. Et comme l'avait dit L. Jospin, il faut tout regarder. Si le statut doit évoluer, pourquoi pas. Le statut de l'île doit rester un statut dans la République, mais on peut le faire évoluer. S'il s'agit de regarder ce que l'on peut faire sur la culture, pourquoi pas. Il n'y a pas de tabou de ce point de vue. Donc, on peut dialoguer, on peut aller au fond des problèmes politiques mais en même temps, il faut que l'ordre républicain règne en Corse et, on le voit bien, sur le continent. Il n'y a pas de négociation possible avec des gens qui posent des bombes. Ils se mettent par définition hors la loi et méritent d'être poursuivis fermement.

P. Lapousterle : Vous avez dit, tout à l'heure, que de nombreux gouvernements ont finalement discuté avec ceux qui sont actuellement les gens recherchés par la police, et ont signé de mauvais compromis avec ceux qui avaient une grenade à la main et des cagoules sur le visage. Est-ce que ce ne sont finalement pas eux les responsables de ce qui se passe aujourd'hui ? Est-ce qu'on ne paye pas cette longue facture de plusieurs années ?

F. Hollande : En tout cas, il fallait essayer. Vous savez, le problème corse dure depuis 25 ans à peu près. Cela a commencé au début des années 70. Il fallait essayer de pacifier les choses, d'éviter l'escalade, de rendre possible par la politique ce qui ne l'était pas par la violence. Donc, je crois qu'on a eu raison de vouloir entamer un dialogue. Il y a maintenant dix ans, c'était P. Joxe qui s'y essayait, après G. Defferre. Il y a eu des résultats. Beaucoup de ceux qui étaient dans l'action clandestine sont revenus à des méthodes politiques. Mais là, je crois qu'il y a eu ces deux dernières années peut-être de l'illusion, parce que ceux avec lesquels on dialoguait, étaient sans doute les plus farouches, les plus déterminés, les plus décidés à aller le plus loin possible. Et c'est en ce sens qu'il y a eu de la part du Gouvernement – je dis bien que c'est un dossier difficile et nul ne doit faire la leçon nécessairement à d'autres – une erreur, car pendant que l'on parlait de fermeté, on dialoguait avec des clandestins. On se rappelle tous des séminaires de terroristes cagoules qui attendaient le Premier ministre. Je ne crois pas que ces images aient été de nature à apaiser les choses en Corse.

P. Lapousterle : Affaire politique : je vous ai entendu hier ironiser sur A. Juppé qui affirmait qu'il poursuivrait sa politique. J'ai imaginé une seconde ce que vous auriez dit s'il avait dit, ce Premier ministre, qu'il voulait changer de politique. Je vous entends déjà.

F. Hollande : Cela dépend quels changements il aurait opéré. Si c'était pour simplement, à la marge, modifier deux ou trois choses, on aurait peut-être continué l'ironie, qui est peut-être la méthode la plus facile quand on est dans l'opposition, j'en conviens. Mais je crois que ce qui était frappant pour beaucoup de Français, c'était ce constat de la situation du pays qui ne correspondait pas au leur. On leur disait : « ça va bien, ça repart pour l'économie. Le Gouvernement est excellent, les ministres sont parfaits, la politique conduite obtient des résultats », alors que ce que vivent les Français est exactement le contraire.

P. Lapousterle : Il n'a pas dit qu'il y avait des résultats, non. Il a dit qu'il y aurait des résultats et qu'il avait confiance dans les résultats qui allaient venir. Ce n'est pas pareil.

F. Hollande : Si. Il a déjà dit qu'il avait, sur certains points, déjà obtenu satisfaction sur, ce qui est vrai d'ailleurs...

P. Lapousterle : Est-ce que vous excluez que sa politique donne des résultats, l'an prochain, comme il l'a annoncé aux Français ?

F. Hollande : Ce que disent tous les experts économiques, c'est que grâce à la conjoncture internationale, cela devrait aller, et je l'espère, un peu mieux en 1997. On attend 2 % de croissance. C'est-à-dire le double de ce que l'on a connu en 1996. Mais je fais observer, parce que c'est ça qui est le problème principal, que 2 % de croissance cela ne permet pas de réduire le chômage. Donc, un Premier ministre qui nous dit que cela va aller mieux parce qu'il va y avoir 2 % de croissance et malgré tout que le chômage va continuer sa progression, il ne petit pas être entendu. Ce que l'on attend d'un Premier ministre c'est qu'il dise : « cela va peut-être aller mieux par la conjoncture intérieure, on va peut-être avoir un peu plus de croissance. Il faut accompagner ce mouvement, il faut relancer au plan domestique, au plan intérieur, parce que cela nous permettrait d'avoir non pas 2 % de croissance mais 3 % de croissance et à ce moment-là, on ferait diminuer le chômage. » Moi, je pense qu'un Premier ministre – il se trouve qu'il n'est pas de ma famille politique – qui donne une perspective, qui met des moyens pour atteindre cet objectif, peut être entendu. Aujourd'hui, ce qui est terrible avec le Premier ministre, c'est que Jon a le sentiment qu'il répète finalement ce qu'il a déjà fait.

P. Lapousterle : Quelques mots sur l'immigration, qui est quand même un problème important pour les français. H. Emmanuelli et J. Dray, de votre parti, ont dit que l'instauration de quotas d'immigration leur paraissait une solution convenable. Qu'en pense le PS ?

H. Hollande : Ils ont raison d'émettre des idées, en prenant garde, à chaque fois, de dire qu'elles sont personnelles et qu'elles n'engagent pas le parti. Quelle est, aujourd'hui, la situation ? L'immigration zéro n'existe pas. Chacun sait qu'il y a une immigration légale à travers le regroupement familial et à travers le droit d'asile, qui continue. De combien est-elle ? D'à peu près 50 000 à 60 000. Donc, chaque année, il y a un peu plus d'immigrés dans notre pays de façon légale. On sait que les Français sont extrêmement sensibles sur ces questions-là et que ce qui les choque, c'est qu'en plus de cette immigration légale, il puisse y avoir une immigration clandestine. Et que, dans ces conditions, il vaut mieux rester dans les canaux de la légalité et discuter avec les pays concernés, c'est-à-dire les pays qui sont à l'origine des flux d'immigration, pour leur dire : « Non, nous ne pouvons pas accepter cette population. En revanche, dans l'immigration légale, nous pouvons accepter tel ou tel quota de travailleurs parce qu'il y a un besoin de travail saisonnier. » C'est une solution mais il ne faudrait pas, au nom de cette solution, qui peut être juste pays par pays, laisser penser qu'on va reprendre des flux d'immigration continus dans notre pays. Donc, je crois que cela fait partie du débat. On peut imaginer des solutions pays par pays, y compris pour faire revenir des immigrés qui sont sur notre territoire aujourd'hui et qui devraient retourner dans leur pays. Je pense que c'est comme cela qu'il faut concevoir les choses. Plutôt que de parler de quota, je pense qu'il faut parler de coopération, pays par pays, pour avoir des flux dans les deux sens.

P. Lapousterle : Le Premier ministre a dit qu'il allait vous adresser des questions, à tous les partis, notamment pour avoir votre réaction sur le mode de scrutin des régionales. Est-ce que le Parti socialiste est pour un changement du mode de scrutin des futures élections régionales ?

F. Hollande : D'abord, ce n'est pas le problème le plus préoccupant pour les Français. Ce n'est pas le sujet le plus important. Mais ce que je veux dire là-dessus, c'est que l'on ne répond pas à un questionnaire. Si le Premier ministre veut nous consulter sur une proposition en bonne et due forme, avec un accord de sa majorité, alors oui, on se prononcera. Mais le Parti socialiste, pas plus qu'un autre parti, n'est un étudiant en sciences politiques qui répond à une épreuve qui lui est donnée par le Premier ministre. Donc, on ne répond pas à un questionnaire. Nous, on a nos propres propositions.

P. Lapousterle : Vous n'allez pas répondre ?

F. Hollande : On ne répondra pas à un questionnaire. On enverra, s'il le faut au Premier ministre nos propres travaux. Sur le cumul des mandats, nous sommes pour renforcer les règles contraignantes ; sur la place des femmes, nous allons, dès ces prochaines élections, mettre 30 % de candidates, donc on n'a pas besoin d'attendre tel ou tel texte. Et enfin, sur la question du mode de scrutin national, nous sommes pour une dose de proportionnelle, chacun le sait. Et nous l'avons dit plusieurs fois.