Interview de M. Gilles de Robien, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à RMC le 2 octobre 1996, sur le vote de son groupe à la question de confiance au gouvernement d'Alain Juppé.

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Circonstance : Engagement de la responsabilité du gouvernement sur une déclaration de politique générale à l'Assemblée nationale le 2 octobre 1996

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Votre groupe votera la confiance au gouvernement d’Alain Juppé ?

G. De Robien : Bien sûr que le groupe la votera, bien volontiers.

P. Lapousterle : C’est un vote d’adhésion ou bien de discipline parce que le chef de l’État est passé par là et a dit à tout le monde qu’il fallait que ça marche plus droit ?

G. De Robien : C’est un vote d’adhésion à l’orientation générale prise par le Gouvernement et notamment aux définitions de ses orientations prises par le Président de la République en octobre 1995. Le Gouvernement, aujourd’hui, dans sa politique économique, fiscale et sociale va exactement dans le sens souhaité par l’UDF. Exactement. Je vais vous donner quelques exemples : la baisse des dépenses publiques, c’est ce que nous réclamions depuis un an. Eh bien, l’État maigrit, les prélèvements obligatoires baissent, la fiscalité baisse. C’est exactement ce que nous voulions. Alors, est-ce que ça va suffisamment vite, suffisamment fort ? On pout toujours en discuter, mais c’est exactement l’orientation que nous souhaitons. Et, en matière de politique sociale, la sortie récente du projet de loi sur la lutte contre l’exclusion nous paraît vraiment un projet de loi intéressant. Donc, aussi bien le volet économique, fiscal que social nous agrée. Nous voterons donc la confiance.

P. Lapousterle : Alors, dans ces conditions, pourquoi les députés UDF, qui hier encore exprimaient des critiques assez fermes vis-à-vis du Gouvernement, vont voter aujourd’hui la confiance et, dans la minute qui suit, sous couvert d’anonymat, vont critiquer le Gouvernement exactement comme s’ils n’avaient pas voté la confiance ?

G. De Robien : On n’est pas du tout sur le même sujet. On ne peut pas mettre deux choses, qui sont très différentes, sur le même plan. La politique économique, sociale du Gouvernement c’est une chose, nous lui accordons notre confiance. Et puis le Premier ministre, le Gouvernement nous propose des textes, je ne dis pas qu’ils sont « accessoires », le mot est peut-être excessif, mais ce sont des textes qui ne sont pas la priorité aujourd’hui. Le mode de scrutin des députés, qui s’en soucie ? Est-ce que les Français y sont sensibles ? Nous pensons que non. Donc, aborder aujourd’hui, à 18 mois des élections législatives, le mode d’élection des députés, ça nous semble vraiment superflu. Et c’est là-dessus que nous critiquons – nous ne critiquons pas mais nous disons : « Si on voyait cela après les élections, ce serait peut-être plus raisonnable ».

P. Lapousterle : J.-L. Beaumont, un de vos députés, est mauvais élève. Il a affirmé ne pas vouloir voter la confiance aujourd’hui. Allez-vous exercer un acte de discipline vis-à-vis de lui pourra-t-il, par exemple, lors des élections prochaines, disposer du label UDF ou RPR ?

G. De Robien : Pour une classe de 206 ou de 207 députés, avoir un seul mauvais élève, c’est vraiment une très bonne classe. Effectivement, Beaumont s’est toujours distingué par le non-vote à la question de confiance. Il l’avait déjà fait au mois de novembre 1995, il ne faut pas en faire tout un plat. Par contre, moi je l’ai réprimandé. On ne peut pas être dans la majorité et ne pas voter la confiance. Si on ne vote pas la confiance, on mêle, j’allais dire son abstention aux voix communistes et socialistes. Et comme J.-L. Beaumont n’est pas très proche des socialistes et des communistes – je crois le savoir ! – je crois qu’il fait une véritable erreur, et cette erreur lui sera reprochée par ses électeurs, j’en suis persuadé. Alors, investiture ou pas investiture, il prend un double risque : celui évidemment de s’éloigner encore un peu plus de la majorité et le deuxième risque, c’est celui de ne pas être réélu à terme parce que ses électeurs sont loyaux vis-à-vis de la majorité qui lui a permis d’être élu.

P. Lapousterle : Dans le Pas-de-Calais, J. Chirac a soutenu le Gouvernement mais a regretté publiquement, et à plusieurs reprises, la lenteur de la mise en œuvre des réformes et le manque de pédagogie du Gouvernement. Est-ce que vous soutenez ces remarques du Président de la République ?

G. De Robien : Oui, c’est vrai, la lenteur et le manque de pédagogie, ce sont deux problèmes qu’on connaît bien, encore qu’il y a des exceptions : nous avons voté, à l’initiative de l’UDF, une sur l’aménagement-réduction du temps de travail et création d’emplois avec baisse de charges sociales, le 11 juin 1996. Le décret d’application au ministère du travail a été pris le 15 août 1996, c’est-à-dire vraiment deux mois après. C’est un record, mais aussi, malheureusement, trop souvent une exception. Donc, l’administration a du mal à suivre un rythme, le rythme des réformes que souhaiteraient le Gouvernement et la majorité et c’est un des handicaps que nous percevons bien. Quant au manque de pédagogie, il est évident que quand un Gouvernement n’est pas populaire – c’est le cas de le dire, parce qu’on voit qu’il y a encore beaucoup de Français qui n’ont pas adhéré à la politique du Premier ministre – alors souvent on a tendance à faire porter le chapeau au premier des ministres et on pourrait effectivement lui demander d’être plus explicatif, plus « concertant. » Après tout, il va nous demander la confiance cet après-midi, j’ai envie de lui répondre « mais oui, volontiers pour la confiance, mais faites nous aussi confiance, concertons nous plus souvent. » Lorsque vous lancez des idées, comme celle d’une modification du mode de scrutin ou de la loi sanctionnant les propos à connotation raciste, dite « loi Toubon », c’est difficile d’apprendre ça dans le journal quand on est député. Et du coup, ça ne met pas toujours un climat très positif dans la majorité. J’ai vraiment envie de dire au Premier ministre qu’avec un peu plus de pédagogie – le Président de la République l’a dit –, je suis sûr que le climat serait meilleur et que les Français seraient naturellement plus satisfaits parce qu’ils comprendraient mieux la philosophie d’économie générale de la politique gouvernementale.

P. Lapousterle : Donc vous demandez, cet après-midi aussi, que Juppé vous vote la confiance, à vous ?

G. De Robien : Oui, sans la voter, qu’il nous dise vraiment si la majorité qu’il a, qui est très nombreuse, lui inspire confiance et s’il estime qu’elle fait preuve de loyauté dans son soutien, ce que nous ne cessons de répéter. Et puis, parfois aussi, nous faisons des propositions dans des domaines qui sont extrêmement divers. Donc, confiance sur l’essentiel et puis un peu de prudence sur des textes qui nous arrivent sur le nez sans savoir pourquoi.

P. Lapousterle : Vous avez, fait allusion aux sondages – c’est vrai que les sondages se multiplient et qu’ils sont tous mauvais – moins d’un Français sur trois maintenant juge « bonne » la politique du Gouvernement. Ont-ils raison ou tort ?

G. De Robien : Les Français aujourd’hui doutent et ils sont comme beaucoup, ils subissent un tas de réformes et ils se demandent où cela va mener. Et comme nous sommes au milieu du gué, c’est-à-dire au moment où nous avons transformé beaucoup d’idées en projet législatifs et en mesures, les résultats se font attendre. Et tant que les résultats ne seront pas là, les Français douteront de l’exactitude et du bien-fondé de nos mesures. Lorsqu’on est au milieu du gué, on ne se retourne pas surtout et on avance de façon à franchir le gué et ensuite, vous verrez que lorsqu’on sera de l’autre côté de la rive et que l’on pourra récolter les résultats de la politique semée depuis un an, les Français, à ce moment-là, comprendront mieux et accorderont davantage leur confiance à la majorité.

P. Lapousterle : Vous ne doutez pas une seconde que toutes les mesures soient bonnes ? Vous êtes certains d’avoir raison sur sous les points ?

G. De Robien : Vous allez voir, le 15 février prochain par exemple. Si vous êtes soumis – comme je vous le souhaite – à l’impôt sur le revenu…

P. Lapousterle : Je le confirme !

G. De Robien : Si vous confirmez – merci de votre réponse – eh bien vous allez voir dès le 15 février que la baisse des impôts, ce n’est pas un rêve. Aujourd’hui, les Français croient que c’est un rêve ou n’y croient pas du tout. Le 15 février, vous allez voir une réduction de vos impôts sur le revenu et, à ce moment-là, vous allez vous dire, tout simplement, comme beaucoup de Français, « tiens, c’était vrai ! », alors qu’aujourd’hui, peut-être, comme beaucoup de Français, vous êtes sceptique. Eh bien, le 15 février vous ne le serez plus.

P. Lapousterle : Vous vous êtes fait remarquer cet été pour votre attitude libérale au moment du problème des sans-papiers réfugiés dans l’église, vous ne vous êtes d’ailleurs pas fait que des amis dans vos propres rangs. Faut-il que votre groupe EDF définisse sa position en matière d’immigration avant les prochaines élections ? Est-ce que ça ne va pas être difficile ?

G. De Robien : Je ne sais pas ce que vous entendez par « attitude libérale » dans une affaire comme celle-là, je dirais tout simplement l’attitude d’un homme responsable qui était, à ce moment-là, à l’écoute d’une situation qui était dramatique. Alors oui, aujourd’hui l’affaire de Saint-Bernard nous rappelle – et nous a démontré – ce que nous disions d’ailleurs dans un rapport que Monsieur Philibert et Madame Sauvaigo avaient fait avant les vacances : il y a un tas de lacunes dans les applications des lois Pasqua. Il y a donc des solutions juridiques qui sont inextricables. Je l’avais dit tout au long du mois d’août on ne peut pas régulariser tout le monde ou mettre tout le monde dans un charter, ce n’était pas possible. Il faut une étude au cas par cas et c’est très compliqué. Nous souhaitons que demain – avec peut-être de nouveaux textes législatifs complémentaires et de nouveaux textes réglementaires – les lois qui régissent les problèmes d’immigration en France soient appliquées de façon cohérente sur tout le territoire, soient simples, lisibles pour tout le monde, et que la France fasse son travail normal d’accueil, d’intégration mais aussi soit ferme sur les problèmes d’immigration clandestine ; que tout cela soit mieux défini, mieux appliqué.