Interviews de M. Georges Marchais, ancien secrétaire général du PCF, à France 3 le 17 octobre, et Robert Hue, secrétaire national du PCF, à Canal Plus le 20, publiées dans "L'Humanité" des 18 et 21 octobre 1996, sur leurs mises en examen pour une affaire de financement du Parti communiste.

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Circonstance : Mises en examen de M. Hue, secrétaire national du PCF, Marchais, ancien secrétaire général, Sotura, trésorier et Beninger, ancien trésorier, pour recel de trafic d'influence le 10 octobre 1996

Média : Canal Plus - France 3 - L'Humanité - Télévision

Texte intégral

L’Humanité - 18 octobre 1996

Georges Marchais sur France 3

France 3 : « Comment réagissez-vous à votre mise en examen par le juge Laurence Vichnievsky ? », a demandé hier à midi le journaliste Ben Salama à Georges Marchais, sur France 3.

Georges Marchais : Ma réaction est la même que celle de mon ami Robert Hue. Je suis profondément indigné. D'abord parce que jamais le PCF n'a touché un centime de GIFCO et je ne comprends pas qu'on nous porte une telle accusation puisque les comptes financiers du PCF sont publics depuis longtemps et, ces dernières années, régulièrement examinés par les milieux officiels. Je présume donc que s’il y avait eu quelque chose d'incorrect, ça aurait été dit plus tôt. Alors pourquoi aujourd'hui ? La réponse est simple : le PCF attaque avec force la politique menée par le gouvernement, qui est uniquement orientée vers l'argent et la spéculation financière, avec les conséquences qu'on connaît pour la vie des gens. On voit aussi d'un mauvais œil que le Parti communiste soit au premier rang, à Gardanne et, plus généralement – comme c'est normal –, dans la lutte contre Le Pen et tous ses dangers, ce qui doit conduire au rassemblement de toutes les forces qui sont attachées à la démocratie. C'est une opération visiblement politique. Nombreux d'ailleurs sont les journalistes qui ne sont pas dupes de cette entreprise.

France 3 : Vous confirmez donc que le Parti communiste n'a jamais fait appel à de l'argent occulte ?

Georges Marchais : Jamais, et j'ai la conscience tout à fait tranquille. De même que mon ami Robert Hue peut l’avoir pour la suite. Ceux qui affirment le contraire mentent effrontément. J'ai vu, par exemple, qu'un ancien dirigeant de notre parti nous attaque. Mais aujourd'hui, il a des responsabilités auprès de la mairie UDF de Toulouse. Ceci explique cela.

 

L’Humanité - 21 octobre 1996

Canal + le 20 octobre 1996

Karl Zéro : Pour la première fois, on met en examen des leaders politiques directement : est-ce un hasard si cela tombe sur vous les communistes ?

Robert Hue : Je ne crois pas. Pourquoi veut-t-on porter atteinte au Parti communiste ? Ma réponse est claire. On est des empêcheurs de tourner en rond, pour les affairistes. Tout le monde sait que j'ai mené toute ma campagne pour l'élection présidentielle en dénonçant l’argent-roi, qui coule à flots, alors qu'à un autre pôle de la société il y a des gens qui souffrent. On ne supporte pas cela et on veut entacher notre image de gens qui sont révoltés par cette situation.

Karl Zéro : Vous n'avez jamais touché un centime des sociétés SOCOPAP, GIFCO ?

Robert Hue : Jamais je n'ai touché un centime de ces sociétés. Le PCF n'a jamais eu dans sa trésorerie un centime de ces entreprises. Je vous le dis droit dans les yeux, sans ambiguïté aucune.

Karl Zéro : Ni les municipalités communistes ?

Robert Hue : Je suis maire depuis vingt ans. Dans les mairies, lorsqu'il y a un marché, il y a une commission d'appel d'offres, le représentant de l'État est là, le percepteur, pour voir la légalité des choses. Voilà ce que sont les marchés publics : c'est sans ambiguïté.

Karl Zéro : Je suis déçu, je croyais que nous avions le même employeur, la CGE…

Robert Hue : En ce qui concerne la CGE, je vais vous dire, moi je suis pour la nationaliser.

Karl Zéro : Alors d'où vient l'argent du PCF ? J'ai cru comprendre qu'il y a longtemps, vous n'étiez pas là où vous étiez tout petit, il y avait beaucoup de subsides de l’URSS…

Robert Hue : On disait même dans les années cinquante que certains dirigeants du PCF avaient des baignoires en or. L'argent de Moscou, le complot des pigeons avec Duclos, les baignoires en or… Il faut mettre un terme à cela et que l'on voie bien que la caractéristique du PCF, sa singularité…

Karl Zéro : C'est qu'il n'a pas de baignoire en or, Marchais non plus ?

Robert Hue : Ah ça non !

Karl Zéro : D'où vient votre sang-froid, votre jovialité : du fait que vous avez travaillé en hôpital psychiatrique ?

Robert Hue : J'ai fait des études qui m'ont conduit à être en psychiatrie un temps, mais aussi neurochirurgie et en chirurgie : je suis infirmier de profession. Le recul par rapport à l'événement vient peut-être des études de psychologie mais surtout de ce que, depuis l'âge de sept ans, j'ai fait du judo. Le mental, en judo, ça compte.

Karl Zéro : Ce serait bien qu’il y ait des ministres communistes ?

Robert Hue : Il est important que dans le gouvernement de la France il y ait des ministres communistes.

Karl Zéro : Mais comment faire ? Ils sont tous pour Maastricht au Parti socialiste. Et pas vous.

Robert Hue : C'est plus complexe que cela. Au PS, je vois bien l'engagement qu'il y a derrière la monnaie unique. Mais on sent que de plus en plus de gens contestent cette démarche. En voyant bien qu'au fond, il y aura une banque centrale européenne, à Francfort, qui va décider de tout, en dehors de notre souveraineté nationale : c'est intolérable. La monnaie unique, c'est la disparition du franc. À chaque fois que dans l'histoire des sociétés humaines il a fallu affirmer son identité nationale, on a frappé monnaie. On veut supprimer cela. Ce n'est pas une bonne chose.