Discours de M. François Mitterrand, candidat socialiste à l'élection présidentielle de 1981, sur ses propositions en faveur des rapatriés, Avignon le 4 avril 1981

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Texte intégral

1. Critique de la politique giscardienne.

Le douloureux problème des rapatriés est l'un des exemples les plus frappant de la mauvaise politique menée par la majorité en place depuis plus de 20 ans et plus spécialement de celle qui s'est développée sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing. L’histoire de leur relation avec VGE est celle des « illusions perdues ».

A. – On a contraint les rapatriés à s'endetter dans de très mauvaises conditions alors qu'une juste indemnisation, que je n'ai cessé de réclamer depuis le début, leur aurait permis de réaliser des investissements productifs pour l'économie nationale.

B. – J'ai encore dans les oreilles les propos de Jacques Chirac, alors secrétaire d'État aux finances, et ceux de Valéry Giscard d'Estaing, ministre des finances, expliquant que le pays, alors en pleine ascension économique, ne pouvait rien faire de plus.
J'ai encore dans les oreilles les propos généreux de Gaston Defferre, Raoul Bayou et tant d'autres, se battant avec acharnement contre le texte inique de 1969, mais hélas en vain,
vaincus par le fait majoritaire.
Nous avons assisté, impuissants, à l'achèvement de la spoliation des rapatriés par le décret du 5 août 1970, proposant des valeurs d'indemnisation scandaleuses.

C. – Puis en 1974, le chant de sirène de VGE a touché quelques dirigeants d'association assez naïfs pour croire à sa conversion.
La désillusion est vite venue lorsque Jacques Chirac, Premier ministre, a présenté dans la loi de finances de 1975, comme le respect des promesses de la campagne électorale de VGE, une simple récupération des crédits inutilisés et offert une actualisation dérisoire.

D. – Les rapatriés ont vivement réagi lors des municipales de 1977, spécialement par la voix d'un nouveau regroupement « Le Recours ».

E. – VGE, à la veille des législatives, se décidait alors à annoncer dans son discours de Carpentras, une nouvelle loi d'indemnisation, dans des termes aussi flous qu'habilement pesés. La tragique désillusion est venue :

– du décret du 29 septembre 1977 ;

– et surtout de la loi du 2 janvier 1978.

Là encore, le groupe socialiste a fait les efforts les plus soutenus pour empêcher le vote de cette loi inadmissible qui assassinait toutes les espérances des rapatriés. Comme l'a dit très justement Raoul Bayou « Le gouvernement a joué l'inflation contre les rapatriés ». « Il a voulu laisser à trois facteurs le soin de régler leurs problèmes : le temps, l'oubli, la mort ».

F. – A la veille de la campagne présidentielle, le Gouvernement en décembre 1980, a proposé au Parlement :

– la réduction des titres à 10 ans ;

– l’établissement de l'indemnisation minimum à 20 000 F au lieu de 10 000 F, pensant à nouveau amadouer les rapatriés.

Les associations unanimes ont demandé au Senat de refuser ce texte insuffisant, ce qui a été fait, mais le Gouvernement l'a imposé en Commission paritaire.

G. - Le douloureux problème de l'amnistie n'est toujours pas réglé à cause de l'obstination du Gouvernement et du Président de la Commission des lois.
Aujourd'hui, les associations unanimes sont en état de rupture avouée avec le secrétariat d'État aux rapatriés et le recours tirant la conséquence de cette situation, a, le 19 mars, appelé les rapatriés à un vote-sanction contre VGE.
Il faut que les rapatriés le comprennent : il n'y a pas un mauvais secrétaire d'État et un bon Président mal informé, il y a là, comme ailleurs, une mauvaise politique venant de l'Élysée qui décide de tout.

H. – Les rapatriés de confession islamique sont encore plus mal traités que les autres, car aux difficultés communes à toutes les catégories de rapatriés, il s'ajoute pour eux des problèmes spécifiques que nous connaissons bien.

I. – Les choses sont aujourd'hui parfaitement claires. Comme tous ceux que l'injustice sociale frappe, les rapatriés sont les victimes de sept ans de giscardisme.
S'ils veulent, comme les autres, que leur sort change, il leur faut maintenant choisir le changement à la tête du pays.

II. – Les principes d'action en faveur des rapatriés
Ils sont clairs : les rapatriés ont des droits à la solidarité nationale.
Je n'ai, depuis 1965, date de dépôt de ma première proposition de loi d'indemnisation fondée sur une assimilation avec les dommages de guerre, jamais cessé de le proclamer. La charte de nos engagements est contenue dans la proposition de loi déposée par le groupe socialiste le 21 décembre 1977 et qui tend à résumer l'ensemble des problèmes touchant encore les rapatriés.

Les idées clés en sont la reconstitution intégrale, dans un délai rapide, des patrimoines familiaux :

– la solution définitive de problème de l'endettement des réinstallés ;

– l'utilisation de l'indemnisation des rapatriés du grand effort organisé auquel la France sera appelée pour relancer l'économie nationale, ce qui aura le mérite d'éviter les pressions inflationnistes et de rendre supportable la charge de l'indemnisation pour la collectivité nationale, tout en assurant la réinsertion morale et matérielle des rapatriés dans la communauté française en les plaçant en premier dans cette oeuvre collective nécessaire. Certaines dispositions de ce texte devront cependant être revues en liaison avec les associations de rapatriés, pour tenir compte de la dégradation économique créée par 7 ans de politique giscardienne.

Les mesures proposées sont les suivantes :
Le Parti socialiste a déposé le 21 décembre 1977, une proposition de loi qui forme sa charte à l'égard des rapatriés.
Il ne s'agit pas ici de mesures ponctuelles à visée électoraliste mais d’une manifestation de solidarité nationale assurant définitivement la réinsertion morale et matérielle des rapatriés dans la collectivité nationale.

1) Le droit à l'indemnisation est étendu à tous les spoliés quel que soit la date de la spoliation et la dépossession s'entendra de toute mesure de droit ou de fait entraînant la perte de la disposition ou de la jouissance du bien.

2) La valeur d'indemnisation sera établie selon les normes applicables en matière d'expropriation, à l’aide de coefficients multiplicateurs forfaitaires. Pour ne pas allonger la durée de l'indemnisation une concertation sera engagée avec les organisations des rapatriés. Le complément d'indemnisation sera égal à la différence entre cette valeur et la contribution nationale perçue au titre de la loi du 15 juillet 1970.
Il faudra supprimer les exclusions les plus choquantes telle que celles contenues dans l'article 25 de la loi du 15 juillet 1970 sur le mobilier des rapatriés qui a permis de ne pas indemniser dans la quasi-totalité des cas les plus humbles des rapatriés.
Dans la crise actuelle, la solidarité nationale devra s'exercer en priorité au profit des plus défavorisés.

3) La preuve de la consistance des biens perdus pourra être faite par tous moyens sous le contrôle du Président du tribunal de grande instance qui pourra fixer une valeur différente lorsque les revenus ne seront pas connus.

4) Le plafond de l'indemnisation sera fixé à 2 millions par ménage y compris les veufs ou les divorcés, et à 1 million pour les personnes seules. L'esprit du texte est de permettre la reconstitution des patrimoines familiaux, mais d'exclure celles des grandes fortunes.
Il sera peut-être nécessaire de revoir les plafonds en fonction de la situation économique due à la politique giscardienne. Rien ne sera fait sans une concertation préalable avec les rapatriés. De toute façon, les plafonds retenus seront supérieurs à ceux actuellement en vigueur.

5) Un moratoire total sera institué pour les dettes de réinstallation jusqu'à règlement définitif de complément d'indemnisation. À ce moment-là, les réinstallés seront recevables à saisir les commissions instituées par le décret du 7 septembre 1977 pour obtenir un aménagement de leur prêt.

6) L'indemnisation sera versée en espèce et au comptant pour les cas sociaux et les personnes âgées.
Pour les autres, l'échelonnement prévu par la loi du 2 janvier 1978 est supprimé. L'indemnisation se fera dans un délai rapide. On créera un fond spécial d'indemnisation à cette fin.

7) L'instance arbitrale, instituée par la loi du 2 janvier 1978 sera supprimée et tout le contentieux de l'indemnisation sera confié aux tribunaux de l'aide judiciaire et plus particulièrement à la procédure rapide du juge des référés

8) Les rapatriés ayant subi un préjudice de carrière du fait de leur activité politique ou syndicale, verront leur situation révisée.

9) Le régime de retraite sera modifié et ajusté au régime métropolitain.

10) Une amnistie totale sera enfin réalisée, effaçant les séquelles de toutes natures des événements d'Algérie.

11) En ce qui concerne les Français musulmans, nous voulons entreprendre un grand effort de promotion sociale et leur donner tous les moyens nécessaires d'affirmer leur droit à la différence culturelle et manifester une vigilance accrue en ce qui concerne toutes les atteintes de caractère raciste dont ils pourraient être victimes.
Toutes les associations de rapatriés ont bien voulu marquer, en leur temps, leur accord sur ces dispositions.