Positions du comité central de la LCR en vue du 12ème congrès de la LCR, publiées dans "Rouge" du 10 octobre 1996, sur l'alternance à la nouvelle configuration de la gauche (PS, PCF) par la création d'une nouvelle force d'extrême gauche.

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Circonstance : 12ème congrès de la LCR du 8 au 11 novembre 1996

Média : Emission Fil Rouge - Rouge

Texte intégral

Le XIIe Congrès de la LCR se déroulera du 8 au 11 novembre. Il doit notamment aborder la situation ouverte par le mouvement social de l’hiver 1995, le débouché politique pour lequel se bat aujourd’hui notre organisation, les perspectives de recomposition du mouvement ouvrier, au plan politique et syndical, les mutations organisationnelles pouvant permettre à la Ligue de répondre mieux aux nécessités de l’heure. Trois positions se sont, à ce jour, dégagées des discussions du comité central. Parce que les problèmes du débat intéressent bien au-delà des seuls rangs de la LCR, elles s’expriment chaque semaine dans ces colonnes. Nous poursuivons ici cette discussion.

Position A (majorité du comité central) - Christian Picquet

Plus que jamais, une nouvelle force !

Voilà des années que la LCR inscrit son action dans la perspective d’un nouveau parti à gauche, anticapitaliste, pluraliste et démocratique. Avec la chute du Mur de Berlin, la crise historique du projet socialiste, une nouvelle période s’est en effet ouverte. Désormais confrontés à un long processus de réorganisation du mouvement ouvrier, il nous faut travailler à l’émergence d’une force large en laquelle conflueront des courants disposés, par-delà leurs divergences, à tirer les leçons de la double expérience négative du stalinisme et de la social-démocratie, comme à affirmer une perspective radicalement opposée au déferlement libéral actuel.

En ignorant ces faits, la « tendance Révolution ! » propose à la Ligue une orientation qui mène droit à l’impuissance et à la marginalisation. La sclérose sectaire qui frappe Lutte ouvrière devrait pourtant lui ouvrir les yeux sur les risques d’une ligne se contentant d’une vitupération des réformistes et d’appels incantatoires à la création d’un parti révolutionnaire. Cette organisation ne s’interdit-elle pas pratiquement de peser sur les recompositions réellement à l’œuvre au sein de la gauche, Arlette Laguiller et ses camarades ayant dilapidé sur ce terrain leur capital électoral de la dernière élection présidentielle ?

Certes, les tentatives effectuées dans le passé pour rassembler les courants ayant rompu avec le Parti socialiste et le Parti communiste ont échoué. Pour autant, les grandes organisations de la gauche n’ont nullement retrouvé leur place d’antan. Sur le PS pèse toujours le discrédit de sa pratique gouvernementale et de sa soumission à la logique libérale. Ce qui ne va pas sans remous, comme le montrent les échanges de sa récente convention sur l’Europe. Quant au PCF, il reste orphelin d’une stratégie crédible, apte à se substituer à l’Union de la gauche telle qu’il la concevait à l’époque du Programme commun, comme des référents internationaux qui contribuèrent jadis à asseoir sa position dans la gauche française. Les débats en son sein disent assez qu’il cherche désespérément les moyens d’endiguer son déclin mais qu’il se trouver confronté à des choix s’avérant aussi incontournables que facteurs aggravants de sa crise.

On ne saurait, de ce point de vue, demeurer englués dans des schémas dépassés et croire, à l’instar de la « Tendance unir construire », que la gauche traditionnelle retrouve l’influence et la fonctionnalité qui assurèrent longtemps son hégémonie sur le monde du travail. On ne peut davantage ignorer que la situation chaotique du PCF ouvre des possibilités inédites de dialogue et de travail en commun avec ses militants comme avec ses directions. Nous ne sommes revenus ni en 1936 ni en 1972, et l’extrême gauche n’est pas condamnée à limiter son ambition à la simple pression sur des partis vers lesquels se tourneraient « naturellement » l’immense majorité des salariés et des chômeurs.

Le mouvement de novembre et décembre je confirme d’ailleurs avec éclat. Sans pouvoir imposer une autre politique, il n’en a pas moins soulevé des questions essentielles en ce sens. Dans la foulée, de nouvelles équipes militantes, de nouvelles structures se sont installées sur le champ syndical et associatif. Mais ces phénomènes roboratifs n’ont pas trouvé de répondant politique digne de ce nom. Le risque existe donc qu’à une radicalisation sociale croissante ne corresponde, en 1998, qu’une pâle alternance aux conditions de Lionel Jospin. Lutter contre une issue aussi désastreuse et faire simultanément progresser l’idée d’une nouvelle force exigent par conséquent d’agir en deux directions complémentaires. Il nous faut d’abord nous inscrire dans le débat ouvert au sein de la gauche sur les perspectives, nous y adresser à l’ensemble de ses composantes, y défendre une autre conception de l’unité nécessaire. Une unité fondée sur un contenu répondant aux exigences surgies des mobilisations et sur une nouvelle relation au mouvement social ou aux sans partis. C’est le sens de l’« Entente de l’espoir ».

Nous le savons toutefois, sous peine de rester purement propagandiste, notre démarche ne peut faire l’économie d’une bataille pour changer le rapport des forces à gauche. À travers la guerre du Golfe, le refus de Maastricht, la lutte contre le plan Juppé et maintenant le scrutin partiel de Gardanne, deux lignes de tendance apparaissent clairement à gauche, l’une inclinant vers le réalisme gestionnaire, l’autre refusant la soumission à la pensée unique. Il convient d’en tirer toutes les conséquences en œuvrant sans tarder au regroupement de toutes les forces favorables à un changement radical et en leur permettant de devenir l’aile dynamique d’une unité de type nouveau à gauche.

Bien sûr, cette convergence, qui devrait s’opérer dans l’action autant que dans les élections, ne pourrait d’emblée prendre la forme d’un nouveau parti, lequel supposerait des clarifications et une expérimentation commune d’une autre ampleur. Elle n’en représenterait pas moins un pas important dans cette direction puisque, pour la première fois depuis bien longtemps, se trouverait substantiellement modifiée la configuration de la gauche.

Ce sont bien des défis majeurs que doit relever notre congrès…
 

Position B (tendance unir construire)

Vers un nouveau parti, indépendant du PS et du PCF

Depuis dix ans, plusieurs forces politiques, dont la LCR, ont tenté diverses combinaisons pour rassembler une alternative au PS et au PCF, sur la base de la critique de l’expérience gouvernementale de la gauche. Aucune de ces tentatives n’a réussi à contester sérieusement PS et PCF. Il manquait des éléments clés : une dynamique sociale, sans laquelle aucun bouleversement n’est envisageable ; des ruptures significatives dans le PS et le PCF, intéressant aussi des militants « sans parti » ; un minimum de cohérence programmatique qui rende viable le projet.

Or depuis 1993, le retour de la droite ouvre une situation qui rend plus évidente encore l’impossibilité de contourner les organisations traditionnelles.

Les vieilles organisations ne disparaissent pas d’elles-mêmes, mais renaissent si elles ne sont pas remplacées sur leur terrain d’implantation. C’est cela qu’il faut en premier lieu rappeler. Malgré une politique passée qui a montré qu’au pouvoir, les dirigeants du PS sont plus fidèles aux privilégiés capitalistes qu’à leurs propres électeurs, les travailleurs et les jeunes qui voulaient s’opposer à la droite ont voté à nouveau pour le PS.

On vient de le vérifier en Italie, en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Portugal. Il est certain que le degré de contrôle de la classe ouvrière par le PCF et le PS est nettement moindre que dans les années soixante-dix et même quatre-vingt. Cette perte de confiance de l’électorat de gauche envers le PS, ses exigences, sont des points d’appui pour nous. Mais peut-on conclure qu’un « vide » existerait dans lequel il suffirait aux révolutionnaires de s’engouffrer ? PS comme PCF restent les partis autour desquels s’organisent des milliers de délégués d’entreprise, de syndicalistes, d’associations, d’élus municipaux. La surface sociale couverte par l’extrême gauche est infime à côté de la leur. De même que le déclin du PCF n’entraînera pas sa disparition du terrain social, ce serait une erreur de croire que le passage du PS au pouvoir va l’empêcher de se regonfler d’une base qui veut en découdre face à la droite.

Notre horizon ne peut se limiter à la seule « gauche de la gauche ». Les forces du parti de demain sont soit « dans la nature », soit rassemblées dans de petits groupes à la gauche du PS et du PCF, soit rassemblées dans ces partis.

Les révolutionnaires en France ne créeront pas un nouveau parti des travailleurs à partir de rien, en comptant sur la simple propagande pour un tel parti. C’est un désaccord important avec la « tendance E ! ». Tout nouveau parti sortira de la réalité du mouvement ouvrier et de ses traditions politiques.

Nous combattons toute idée de redressement du PCF dans la voie d’un parti révolutionnaire des travailleurs. Il n’y a pas non plus de perspective à attendre d’une « fracture » au sommet de l’appareil du PCF qui donnerait une perspective de construction d’un parti évoluant « à gauche ». Le PCF reste un parti réformiste, avec la spécificité stalinienne de son appareil : une victoire en décembre se serait construite conte la direction du PCF et non avec elle. Il reste un appareil conservateur et s’opposera à remettre en cause l’ordre établi.

Décembre 1995 va cheminer dans les consciences, au sein des organisations traditionnelles syndicales et politiques, et nourrira à terme de nouvelles initiatives à l’intérieur et à l’extérieur ces organisations. L’espace pour la construction d’une organisation révolutionnaire indépendante, d’un nouveau parti pour les travailleurs, s’est élargi. La LCR doit être porteuse de ce projet, qui doit faire partie de son profil politique. Elle doit en même temps s’ouvrir pour se renouveler profondément.

Notre perspective reste celle de la construction d’un nouveau parti, révolutionnaire, indépendant, unitaire, qui défende les revendications jusqu’au bout. Un parti à la fois défenseur du front unique et expression du programme pour le socialisme. Un parti large dans lequel se retrouvent des militants ouvriers venant d’expériences et de partis différents. Un parti qui donne à chacun, individu comme courant constitué, la possibilité de défendre ses positions.

Il ne s’agit donc pas d’opérer un retour sectaire définissant notre survie comme seul horizon. Mais nous avons besoin d’une organisation, pas d’un « réseau » distendu. Sans cela nous ne pourrons jouer un rôle demain dans les recompositions à grande échelle du mouvement ouvrier. Développer des campagnes nationales, essayer de peser dans le jeu politique, avoir une politique électorale constante et cohérente. On ne peut pas limiter nos perspectives aux frontières de l’Hexagone, nous devons renforcer nos liens et notre implication dans la construction de la Quatrième internationale.

La LCR doit se redresser d’urgence, après des années de recherche de partenaires qui a échoué, et d’isolement volontaire par rapport à ce qui se passait dans les grands partis. Ayant plus que prouvé son utilité dans les luttes, elle doit se départir de toute tentation de marginalisation politique.

 

Position C (tendance R !)

Construire un parti révolutionnaire

La bourgeoisie est à l’offensive. Fermement arrimée à la réalisation de ses objectifs de régression sociale du plus grand nombre pour faciliter l’enrichissement d’une minorité, elle avance à grands pas vers la mise en œuvre des impératifs du traité de capitaliste de Maastricht. Au nom du profit, qui s’affiche en progression jour après jours sur les écrans des Bourses internationales, elle mène une guerre sociale sans merci à la classe ouvrière. Utilisant les vieilles ficelles réactionnaires, elle attise la haine contre les immigrés et la division des rangs ouvriers, espérant détourner la colère légitime des travailleurs(ses) contre une fraction de la population pauvre.

Cependant les exploités ne sont pas restés l’arme au pied. Malgré la démoralisation qui suivit ce qui fut perçu comme une trahison des espoirs de changement de 1981, de l’exaspération a entraîné de nombreuses tentatives de riposte. Depuis trois ans, les luttes sociales ont marqué à nouveau l’actualité. Un mouvement social multiforme s’est opposé aux projets destructeurs de la bourgeoisie et de ses gouvernements.

La victoire électorale de la droite en 1993, construire sur le discrédit de la gauche traditionnelle – gérante loyale pendant dix ans des intérêts capitalistes, initiatrice de Maastricht et garante de la politique impérialiste pendant la guerre du Golfe –, et l’élection de Chirac en 1995 n’ont pas abattu les capacités de résistance. Mais ce qui est clair, c’est que la gauche n’a pas joué un rôle moteur dans cette première contre-offensive des exploités. Englués dans la contradiction entre leurs échecs politiques au gouvernement et les aspirations des travailleurs et des chômeurs à en finir avec la situation qui leur est faite, le PS et le PCF n’ont participé aux mobilisations que lorsque celles-ci ont pris un tour incontournable.

L’écart existant entre le mouvement social réel et sa représentation politique n’a cessé de se creuser. Cherchant à canaliser la nouvelle vague de luttes, les appareils réformistes mettent en chantier une nouvelle formule d’union de la gauche, après avoir dévoyé le mouvement de décembre qui commençait à poser, derrière les revendications sociales, la perspective de chasser Juppé et son gouvernement par la grève générale. Cette recherche d’un « débouché politique », sans programme, sans autre but qu’une alternance douce, mais avec l’adjonction d’un zeste d’écologie et de citoyenneté, s’oppose terme à terme avec les exigences des luttes et de leurs animateurs. Son fondement ne peut être que la volonté de briser l’élan social qui, jusqu’à présent, ne s’est pas traduit par un renforcement militant des partis de gauche et des syndicats.

Cet espace, béant, entre les aspirations à une société débarrassée de la misère et de l’exploitation, et des partis politiques qui n’ont d’autres objectifs que d’assurer leur maintien dans les rouages de l’appareil d’État, doit être comblé. Des forces existent aujourd’hui dans la jeunesse et parmi les militant(e)s qui animent, ou ont animé, les luttes ouvrières et sociales de ces dernières années pour créer une nouvelle représentation politique des travailleurs, de la classe ouvrière française et immigrée. Il manque incontestablement un nouveau parti, actif dans les luttes à la base, démocratique dans son fonctionnement et sa pratique, féministe et écologiste, antiraciste et antifasciste.

Un parti révolutionnaire parce qu’il combat résolument pour une rupture avec ce système capitaliste pourri, mais aussi parce qu’il ne conçoit son activité politique quotidienne qu’en opposition avec les institutions de l’État bourgeois et les formes de bureaucratie qui gangrènent le mouvement ouvrier.

Quant au programme d’un tel parti, il ne peut être simplement antilibéral et minimum. Il doit être anticapitaliste, et poser en conséquence les termes de la rupture avec le capitalisme par un corps de revendications transitoires où les questions de la réquisition des richesses, du contrôle ouvrier sont intimement liées avec celle des moyens de l’affrontement avec la classe dominante dans les luttes de tous les jours comme dans « la lutte finale ». Renvoyant la défense d’une alternative révolutionnaire nécessaire à des jours meilleurs, la majorité de la LCR semble même avoir abandonné la perspective de la construction d’un parti indépendant du PS et du PCF qui vertébrait jusqu’à maintenant son orientation.

Opposition à l’union de la gauche qui sera contre les travailleurs, perspective de la grève générale, publication d’un programme d’action qui développe le contenu programmatique et les moyens de la lutte contre la classe dominante, et enfin comment regrouper les militant(e)s et travailleurs(ses) combatifs(ves) pour la construction d’un parti révolutionnaire, voilà ce qui, selon nous, devrai être au cœur de la discussion dans la LCR à ce congrès et dans le mouvement ouvrier « radical ».

Nous en sommes loin, car le débat sur l’orientation de la Ligue en direction des partis qui s’apprêtent à retourner au gouvernement nous détourne largement des enjeux majeurs de la période.