Articles de M. Jacques Voisin, secrétaire général de la CFTC, dans "La Lettre confédérale CFTC" des 3 et 31 mars 1997, intitulés "Le Bon risque", "Dignité pour tous" et "Pour un projet social européen".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Lettre confédérale CFTC

Texte intégral

La Lettre confédérale CFTC : 3 mars 1997

Le bon risque

Entre la réalité quotidienne parfois décevante et l’utopie d’un monde idéal s’étend tout le domaine du possible. On y accède à force de conviction, de volonté, sans oublier la touche nécessaire de rêve. La dimension créatrice du travail humain consiste précisément à transformer le possible en réel. Et chaque jour apporte la preuve que l’action syndicale responsable peut donner une forme réelle aux attentes des salariés, pourvu que chacun le veuille.

Les jeunes sont à juste titre inquiets pour leur avenir. C’est aussi le lot d’un trop grand nombre de personnes rejetées sans déférence et dans l’indifférence des intérêts particuliers. Les plus âgés rejoignent les plus jeunes dans une commune fragilité. Avant de frapper au cœur, l’exclusion frappe aux extrêmes. Les politiques conduites en balancier en direction tantôt des uns, tantôt des autres, n’accrochent qu’un brouhaha « d’il n’y a qu’à » et accouchent d’un dédale de mesures sans effet tangible.

Pourtant, il existe un chemin. C’est celui de l’homme acteur. On a trop pris l’habitude, même dans le syndicalisme, de concevoir pour les autres, de décider pour les autres et, disons-le, de négocier pour les autres, sans que ces « autres » se sentent vraiment impliqués par ce qui pourtant les engagent. On l’a vu pour la protection sociale, qui, dans la conscience du public, devient l’affaire de l’État et qui est perçue par les chefs d’entreprise comme une charge dont il faut se débarrasser. On le voit bien pour l’insertion des jeunes : sans la participation effective de chaque jeune à l’élaboration de son propre projet, aucune mesure, même bien pensée, n’est finalement efficace.

Choisir le bon risque, c’est d’abord choisir d’être acteur de son propre projet. C’est le fondement de l’adhésion syndicale. Adhérer pour peser, pour faire entendre sa voix, pour participer et pour construire. Mais on n’est jamais acteur tout seul, comme on n’a jamais raison tout seul.

Le bon risque c’est alors celui de la négociation. Pour négocier, il faut bien sûr avoir un projet, l’avoir rêvé, l’avoir préparé, l’avoir construit. Il faut avoir la ferme conviction qu’il peut se réaliser, que le possible puisse devenir réel. Cette assurance, cette conviction se forgent elles-mêmes sur la certitude que le bien commun y trouvera son compte. Ce sont les 150 000 jeunes embauchés qui feront la force de l’accord signé à EDF-GDF.

La pression exercée pour déréglementer le droit du travail veut faire peser tout le poids de la négociation sur la seule entreprise, au moment où les salariés vivent dans la peur d’être licenciés. Le bon risque, aujourd’hui, c’est d’adhérer et de faire adhérer les salariés pour rééquilibrer un dialogue social qui, sans cela, se résume à la lutte du pot de fer contre le pot de terre. C’est aussi de maintenir les négociations à leur bon niveau et de redonner tout son poids à la négociation de branche.

Le risque est omniprésent. Mais il se prévoit et il se mesure. Il s’apprécie selon les circonstances. Des premières conventions collectives à la création du Smic, sachons que le progrès social gagne toujours sur le terrain de la négociation et de l’accord. Au fil de son histoire, alliant la puissance du rêve à la force de la volonté, la négociation a toujours été, à la CFTC, le bon risque d’hommes et de femmes acteurs d’une société plus juste et plus solidaire.


La Lettre confédérale CFTC - 3 mars 1997

Dignité pour tous !

Quelle serait la valeur de la liberté si elle se résumait à la libre circulation des marchandises ? Quelle valeur aurait la dignité de la personne humaine si ses droits et ses devoirs n’étaient reconnus que sur un territoire limité ou pour un temps donné ? Ces questions se posent à chaque génération. Elles se posent avec plus de force en période de chômage.

Le chômage rend fou comme la peur qui l’accompagne. Sans le lien du travail, la société se défait et se dérègle. Qui sont donc, par exemple, les travailleurs clandestins ? Ce sont toujours les personnes les plus fragiles.

Celles dont les droits sont contestés : droit au travail, droit à la formation, droit à la résidence. Celles qui, justement, ne sont pas en situation de faire valoir leurs droits.

L’expression de « travail au noir » est particulièrement évocatrice. Car le travail met l’homme debout, au grand jour, face à lui-même et au service rendu à autrui. Le travail clandestin, le travail au noir, le travail forcé, comme celui non rémunéré que l’on impose sans le payer, sont autant de dérèglements, de détournements qui affaiblissent non seulement le lien social mais l’homme lui-même.

Dans quel sens va donc la déréglementation que l’on veut imposer aujourd’hui ? Que vaut sur la durée un consentement imposé et non librement négocié ? Les sociétés se brisent toujours sur la violence qu’elles croient pouvoir imposer. Le courant chrétien social, auquel la CFTC a apporté sa contribution tout au long de ce siècle, a toujours su dire que la dignité de l’homme ne se divise pas. C’est toujours de la même manière que l’on traite le salarié, l’étranger et soi-même. Car, à y bien réfléchir, la solidarité naît de la fraternité.


La Lettre confédérale CFTC : 31 mars 1997

Pour un projet social européen

Le bureau confédéral a porté hier à l’Élysée les inquiétudes et les espérances du congrès de Nantes, au moment où la tension sociale s’accroît encore dans de nombreux secteurs comme l’automobile, la santé ou la banque.

Si l’Europe, comme l’a rappelé le président de la République, est au cœur de l’ambition française, elle ne se fera pas, nous le lui avons dit, sans les salariés.

Tout ce qui se fait sans les salariés risque de se faire contre eux, comme le montre aujourd’hui Renault ou le financement de la réforme hospitalière.

La CFTC a dit au Président le mécontentement, l’inquiétude des salariés, agressés, sacrifiés à un économisme de plus en plus brutal qui fait de la suprématie de l’argent son objectif, de la précarité et de la flexibilité son moyen.

Il faut donc mobiliser les entreprises, les partenaires sociaux, les pouvoirs publics sur un vrai projet social qui prenne d’abord en compte les personnes.

Il faut installer dans les entreprises un dialogue social permanent qui associe les salariés aux orientations majeures de l’entreprise et à la prospective en matière d’emplois, de temps de travail et d’organisation du travail. C’est le vrai moyen de rétablir la confiance tout en faisant barrage à la précarité et au mythe de la flexibilité. C’est le projet social européen que la CFTC porte depuis son origine. Il a pour nom « participation ».