Interviews de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "Le Parisien" du 29 juillet 1996 à Europe 1, France Info et Radio France internationale le 30, sur la coopération internationale contre le terrorisme et les divergences avec les Etats-Unis à propos des sanctions contre certains Etats.

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Circonstance : Réunion au sommet des ministres de l'intérieur et des affaires étrangères du G7 et de la Russie sur le terrorisme, à Paris le 30 juillet 1996 (adoption de 25 mesures contre le terrorisme)

Média : Le Parisien - Europe 1 - France Info - Radio France Internationale

Texte intégral

Le Parisien : 29 juillet 1996

Le Parisien : Le GIA annonce la mort de Djamel Zitouni, ennemi juré de la France. Est-ce une bonne nouvelle pour vous ?

Hervé de Charrette. : Ce personnage évoque l'un des événements les plus ignobles de ces dernières années (NDLR : l'assassinat des sept moines français en Algérie). Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la France n'oubliera jamais. Je n'ai pas d'autre commentaire.

Le Parisien : Demain s'ouvre à Paris le sommet antiterroriste auquel participe tous les pays du G7 et la Russie. Dans la nuit de vendredi à samedi une bombe explosait à Atlanta.

R. : C'est une tragédie de plus qui démontre que nul n'est plus à l'abri du terrorisme. Pendant longtemps, c'était un phénomène régional. Il a profondément évolué. Aucun État n'est désormais à l'abri. Ce sommet montre à quel point il est important que la communauté internationale se mobilise contre le terrorisme, dans toutes ses formes.

Le Parisien : Les États-Unis sont atteints, mais la communauté internationale ne semble pas davantage en sécurité ?

Hervé de Charrette : On assiste en effet à une résurgence du terrorisme, l'ETA a recommencé à frapper. Regardez ce qui se passe en Irlande, dans la péninsule indienne. Il y a quelques jours un attentat a fait soixante-dix morts au Sri-Lanka. Le terrorisme ne diminue pas, il évolue. Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui un terrorisme visant un État en particulier. Il y a un terrorisme international, et des actions de groupuscules liées à des crises régionales ou à des conceptions idéologiques.

Il y a aussi un terrorisme interne. Des moyens faibles, parfois très faibles suffisent pour semer la mort. Aux États-Unis, ce terrorisme interne a déjà frappé, à Oklahoma City l'an dernier par exemple. L'un des sujets de la conférence de Paris sera d'analyser ce phénomène, cette évolution, la diversité des formes du terrorisme.

Le Parisien : En quelques semaines, trois attentats ont frappé les États-Unis. Une base militaire en Arabie Saoudite, l'explosion en vol le 17 juillet du Boeing de la TWA probablement d'origine criminelle, encore une fois samedi à Atlanta. Peut-on établir un lien dans cette série ?

Hervé de Charrette : L'attentat de Dahran est lié à la présence des forces américaines en Arabie Saoudite, contestée par certains. Les trois attentats – si l'explosion de l'avion en est un – sont très différents. L'un suppose des moyens très importants. Le dernier s'est fait de manière très artisanale. Sans exclure totalement la possibilité qu'ils soient liés, il ne faut pas oublier que les États-Unis ont des ennemis extérieurs, mais aussi des contestations intérieures. La seule contestation que l'on puisse faire est que les États-Unis, pendant des années, ont été épargnés. Ils ne le sont plus. Raison de plus pour manifester envers eux notre solidarité, ce que fait le gouvernement français.

Le Parisien : Pensez-vous qu'il aurait été plus prudent d'arrêter les Jeux ?

Hervé de Charrette : Non, certainement pas. L'un des éléments déterminants de la lutte contre le terrorisme est de montrer la détermination des gouvernements, mais aussi la détermination des peuples. Lors de la vague d'attentats de l'été dernier à Paris, j'ai été frappé par la sérénité de la population française. Les gens ont continué à vivre. On a très bien vu la volonté populaire de refus et de résistance contre le terrorisme. Cet aspect-là est essentiel. L'un des objectifs du terrorisme est de déstabiliser les opinions publiques, de conduire les gouvernements à des mesures d'affolement. C'est l'inverse qui est vital. Que les gouvernements et les populations montrent leur détermination et leur sang-froid.

Le Parisien : Demain, les pays du G7 se réunissent pour prendre des mesures concrètes contre le terrorisme. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Hervé de Charrette : L'objectif est d'adresser un signal politique fort aux gouvernements du monde et aux opinions publiques et de marquer notre commune détermination. Pas une seule cause au monde ne peut justifier le terrorisme, quel que soit le bien-fondé de la cause. Les causes justes ne peuvent justifier l'emploi de moyens injustes. Nous voulons dresser la liste de ce que nous allons faire.

Le Parisien : C'est-à-dire ?

Hervé de Charrette : Depuis le sommet du G7 de Lyon en juin dernier, nos experts ont travaillé pour aboutir à un document qui propose vingt-cinq mesures contre le terrorisme. Un exemple : certaines associations caritatives, il en existe au Proche-Orient, servent de couverture à des activités terroristes. Nous voulons exercer un contrôle très vigilant sur ces associations, qui pourraient nous conduire à prendre des mesures d'interdiction et de dissolution.

Il faut aussi mieux contrôler les moyens de communication qu'autorisent les progrès technologiques et qui facilitent les actions terroristes. Très récemment, sur le réseau Internet, en expliquant comment fabriquer une bombe. Il faut empêcher cela, comme il faut empêcher les moyens de cryptage privé sur ce type de réseau, qui permettent aux terroristes de communiquer discrètement entre eux, il faut que ces réseaux soient soumis à une régulation matinale et internationale, qui rende impossible l'utilisation par les terroristes des moyens les plus modernes de communication et d'échange.

L'un des objectifs de la conférence est de renforcer la coopération internationale. Par exemple être très attentif en matière de droit d'asile. Cette conférence devra montrer que tous les pays se sentent désormais concernés.

Le Parisien : Allez-vous aborder la question de l'extradition dont les procédures sont parfois très lentes ?

Hervé de Charrette : Il est tout à fait important que l'ensemble des pays adhérent aux conventions d'extradition et que, le cas échéant, on puisse envisager l'extradition, même en l'absence de traité. Nous sommes attachés au respect du droit et des libertés publiques. Mais il faut cependant adapter nos lois internes et le droit international pour permettre de mieux pourchasser efficacement le terrorisme, partout où il se cache. Il faut poursuivre tous les réseaux, leurs moyens de financement, leurs moyens de communication. Donc développer nos outils juridiques et nos moyens de communication.

Les Européens sont opposés à la loi Amato-Kennedy qui pénalise les sociétés étrangères en Iran et en Libye, après avoir désapprouvé celle de Helms-Burton qui renforce l'embargo américain contre Cuba.

Ces lois américaines n'ont aucun rapport avec la lutte contre le terrorisme. Ce sont de mauvaises lois. Je suis totalement opposé à ce qu'un État puisse modifier les règles du commerce international à son profit, et l'imposer aux autres.

Le Parisien : La France doit donc poursuivre son « dialogue critique avec l'Iran » ?

Hervé de Charrette : Bien sûr. Cela ne sert à rien de l'isoler. L'isoler ne ferait qu'exacerber les tentations de ceux qui songeraient à mener des actions terroristes. Notre objectif est que l'Iran soit un partenaire responsable de la communauté internationale, et qu'il prenne toute sa part dans la lutte contre le terrorisme.

Le Parisien : Vous rentrez du Proche-Orient. Où en est la lutte contre le terrorisme ?

Hervé de Charrette : L'Autorité palestinienne a pris des mesures extrêmement fermes à l'égard des milieux et des groupes concernés. Elle a arrêté beaucoup de gens. Arafat a montré sa détermination. Les services des pays occidentaux ont été frappés par l'efficacité de la police palestinienne. Il faut arrêter de jeter la pierre à l'Autorité palestinienne.

Le Parisien : Craignez-vous des attentats en France ?

Hervé de Charrette : Pas particulièrement, mais personne n'est à l'abri. D'où l'importance de cette conférence internationale.


Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, avec « Europe 1 », à Paris, le 30 juillet 1996

Q. : Nous allons maintenant évoquer le sommet anti-terroriste qui s'ouvre aujourd'hui à Paris. Nous recevons le ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette. Monsieur le Ministre, bonjour ! Quelles mesures concrètes peut-on espérer aujourd'hui ?

R. : D'abord, à l'occasion de ce sommet, on va essayer d'analyser les formes nouvelles du terrorisme. Autrefois, on avait un terrorisme souvent inspiré directement par les États, et qui avait un caractère régional, cela intéressait les zones du monde en difficulté. Aujourd'hui cela concerne tout le monde, aucun pays n'est à l'abri !

On a eu au cours du mois de juillet des attentats aux États-Unis, on en a eu au Sri-Lanka, on a des drames au Moyen-Orient. Bref, l'ensemble de la planète est menacé par des formes nouvelles de terrorisme et ces formes nouvelles, ce sont celles qui viennent de groupuscules, de commandos, de petites équipes, d'associations parfois de nombre réduit, à contenu idéologique bien entendu très souvent, parfois liées à des crises régionales, et qui avec des moyens extrêmement faibles peuvent semer la mort, comme on vient de le voir aux États-Unis.

Q. : Mais ce n'est pas vraiment la ligne que semblait suivre le président des États-Unis hier où on l'entendait citer nommément quatre États, et sans doute pensait-il à d'autres États contre lesquels il voulait un renforcement de sanctions. Visiblement, ce n'est pas la ligne que vous semblez suivre ce matin…

R. : Non, il ne faut rien se refuser quand il s'agit de lutter contre le terrorisme. Tous les moyens légaux doivent être utilisés par la communauté internationale et ce que nous verrons aujourd'hui me semble t-il – enfin, je crois qu'il n'y a pas de doute sur ce point – ce sera de marquer la détermination des responsables des huit pays les plus importants du monde à se donner la main, à travailler au coude à coude pour lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes. Il peut y avoir des sujets de désaccord, vous venez d'évoquer l'un d'entre eux. Mais franchement, ce n'est pas parce qu'on désigne tel ou tel pays que l'on résout un attentat comme celui d'Atlanta dont tous les commentaires, y compris aux États-Unis, laissent à penser que ce sont des groupuscules extrémistes américains, qui se trouvent sur le territoire américain, qui sont à l'origine de ce drame.

Q. : Il y a quand même beaucoup de scepticisme ce matin, Monsieur de Charrette, des doutes notamment sur l'efficacité de ces grand-messes. On a vécu récemment le sommet de Charme el-Cheikh, on a vécu le sommet du G7 à Lyon, et vous le dites vous-même, les attentats continuent. Écoutez, par exemple, ce que nous dit Frédéric Helbert, qui a écouté ceux qui luttent tous les jours contre les terroristes.

(F. Helberg – Les doutes des hommes de terrain : ils n'ont jamais cru aux vertus des grand-messes anti-terroristes ; c'est à chaque fois la même chose, dit un policier, les politiques font des sommets en temps de crise, ils promettent des changements, du concret, ils font des grandes déclarations de principe et puis une fois que la messe a été dite, on s'aperçoit que rien ne change. Au menu du sommet, des mesures, dit-on, pour renforcer la coopération internationale, terme récurrent commente un expert, mais quand on sait que dans un seul et même pays les différents services de lutte se font la guerre, comment espérer une vraie collaboration à l'échelon international ? Dans ce domaine les États ne coopèrent qu'épisodiquement, c'est du coup par coup, cela dépend des intérêts de chacun qui ne sont pas toujours, loin s'en faut, convergents. A Paris, les politiques devraient aussi discuter de l'harmonisation des procédures d'extradition des terroristes. Ce n'est pas pour demain, dit un magistrat. Entre les pays très sourcilleux sur la question des Droits de l'Homme, et ceux qui, par crainte des représailles, préfèrent remettre en liberté des terroristes, nous ne sommes pas au bout de nos peines. La France n'est d'ailleurs pas un modèle en la matière : il y a un an et demi, le gouvernement expulsait vers leur pays deux Iraniens réclamés à corps et à cri par la Suisse. Bref, les techniciens n'attendent pas grand-chose d'un sommet très politique : plutôt que d'organiser à grands frais cette grand-messe, ironise l'un d'entre eux, il aurait été plus utile de nous confier le budget, nous en aurions fait meilleur usage.)

Q. : Monsieur de Charrette, ironie mise à part, avouez que certains de ces reproches sont fondés tout de même ?

R. : Ecoutez, il y a un fait, c'est que la lutte contre le terrorisme, c'est Sisyphe. Cela continue sans cesse, et je ne vous promets pas en effet que ce soir on aura mis fin au terrorisme ça, c'est vrai. Parce que le terrorisme, qui est le mal absolu dans la société moderne, poursuit son œuvre et que lutter contre lui est très difficile. Mais il ne faut pas non plus faire de l'ironie ou du scepticisme facile, parce que nous allons poursuivre quelques objectifs pratiques. D'abord, donner un signal à la communauté internationale. Je crois que les opinions publiques ont besoin de voir qu'il y a une vraie détermination politique des grands pays du monde à aller vers un combat sans merci contre le terrorisme.

Ensuite, faire en sorte qu'il y ait une coopération toujours plus étroite. L'un de vos interlocuteurs disait : mais il y a déjà des problèmes de coopération dans les services français ; eh bien précisément, cela prouve que jour après jour il faut renforcer la démarche de coopération, au plan international en particulier.

Enfin, on va essayer de prendre des dispositions sur des points précis. Je vous donne un exemple : aujourd'hui, les réseaux Internet, les réseaux de communication modernes, cela sert pour passer de bons messages, cela peut servir aussi pour passer des messages de terrorisme. Il faut que nous mettions au point des dispositifs pour que les terroristes ne puissent pas utiliser ces systèmes ultra-modernes de communication qui se développent. Voilà un bon sujet de travail pratique.

Q. : Une dernière question, Monsieur le Ministre : vous partez pour l'Algérie demain, c'est un événement. Pourquoi maintenant ?

R. : Je vais en Algérie parce que je crois qu'il est nécessaire de renforcer avec ce pays les relations denses, les relations de travail, les relations de coopération qu'il y a entre la France et l'Algérie. Sans doute y serais-je allé plus tôt s'il n'y avait pas eu quelques drames, en particulier celui des moines de Tibéhirine, dont je peux vous dire qu'ils seront dans ma pensée dans ce voyage.


Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, avec « France Info », à Paris, le 30 juillet 1996

Q. : Au sommet anti-terroriste, aujourd'hui à Paris, les pays du G7 et la Russie vont tenter de renforcer leur dispositif contre le terrorisme dans le monde, dans le cadre d'une politique commune, mais des divergences existent entre les États-Unis, qui réclament des sanctions, contre l'Iran notamment, et la France, qui veut continuer sur la voie du dialogue critique. Hervé de Charrette, ministre des Affaires étrangères, espère tout de même que ce sommet donnera lieu à un consensus. Hervé de Charrette.

R. : Jusqu'à présent, dans les travaux préparatoires de cette conférence, nous avons observé une grande convergence de vues entre les huit pays qui seront assis autour de la table. C'est vrai que l'Union européenne, et la France en particulier, ne pensent pas qu'il soit très utile de désigner des États dans le monde comme des États terroristes. Ce qui est plus important, me semble-t-il, c'est de faire en sorte que chaque pays du monde soit convaincu de la nécessité de participer à la lutte contre le terrorisme et d'y prendre part. Ceci exige le dialogue avec tous.

Q. : Quand Bill Clinton réclame des fortes sanctions contre ces pays, quand il menace également de sanctions les entreprises qui travaillent avec ces pays, les entreprises étrangères, que peut répondre l'Union européenne ?

R. : Là, vous parlez de choses tout à fait différentes. Vous parlez de la loi D'Amato et de la loi Helms-Burton qui sont des lois intérieures américaines qui, en effet, permettent des sanctions contre les entreprises du monde, en particulier les entreprises européennes mais aussi canadiennes, mexicaines et autres qui commercent avec Cuba d'une part, l'Iran de l'autre. Franchement, je crois que c'est mélanger des choses tout à fait étrangères les unes aux autres. Le commerce international n'obéit pas à des lois nationales définies de façon unilatérale, mais à des lois communes définies en commun dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. L'Europe est contre ces deux législations américaines et l'a exprimé avec une très grande fermeté.

Q. : Vous espérez tout de même qu'à l'issue de ce sommet de Paris il y aura un consensus pour que le signal soit fort ?

R. : Je crois parce que ce qui est plus important aujourd'hui, voyez-vous, c'est d'observer les évolutions que l'on a constatés, malheureusement, en matière de terrorisme. De plus en plus, le terrorisme est l'affaire de groupuscules ou de groupes appuyés par des réseaux qui, a travers le monde, utilisent des moyens extrêmement divers. Il faut se préoccuper des moyens modernes de communication par lesquels ces réseaux dialoguent entre eux. C'est ainsi qu'on a vu sur Internet, récemment, comment on fabrique une bombe. Eh bien, évidemment, ce sont des moyens sur lesquels il faut exercer des contrôles pour que ce genre de choses ne se produise pas.


Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, avec « RFI », à Paris, le 30 juillet 1996

Q. : Monsieur le Ministre des Affaires étrangères bonjour. Vous présidez aujourd'hui le sommet anti-terroriste du G7 plus la Russie. Avec l'explosion du Boeing de la TWA et l'attentat des Jeux Olympiques, on peut dire que l'actualité projette une lumière particulièrement crue sur vos travaux.

R. : C'est vrai, on s'en serait bien passé. Vous savez quel a été l'événement qui est à l'origine de cet événement de Paris, c'est l'attentat de Dahran qui a coûté la vie, hélas, à plusieurs dizaines de soldats américains en Arabie Saoudite. Mais c'est vrai que depuis lors, il y a eu ces deux drames qui touchent également les Américains et, dans cette même période, il y a eu aussi au Sri-Lanka 70 morts dans un attentat. C'est dire que le terrorisme est hélas un fait de tous les jours.

On a changé de terrorisme. Il y a encore quelques années, on avait le sentiment que le terrorisme était régional. Certaines régions du monde avaient des problèmes politiques qu'elles n'arrivaient pas à résoudre, cela provoquait le développement du terrorisme. Ainsi cela a été le cas au Moyen-Orient pendant longtemps, et on pensait que les autres zones régionales du monde n'étaient pas concernées.

De même on pensait que certains États appuyaient des mouvements terroristes et les inspiraient, et que par conséquent si on parlait avec ces États ou si on les sanctionnait, selon le cas, on pouvait maîtriser le terrorisme. Or ces deux indications, la limitation régionale et la dépendance de quelques États pour le terrorisme dans le monde, ont disparu. Aujourd'hui, je crois d'abord que le terrorisme, malheureusement, est un phénomène mondial, qui frappe partout. Aucun pays n'est à l'abri. Les États-Unis ont été pendant très longtemps à l'abri du terrorisme, ils ne le sont hélas plus. Nous-mêmes savons que tout le monde est visé, et en même temps on voit que le terrorisme est de plus en plus le fait, non pas d'États, mais de groupes, parfois même de groupuscules, car désormais il faut très peu d'argent pour faire beaucoup de mal !

Q. : N'empêche que ce sommet de Paris n'est pas le premier du genre, mais on a l'impression maintenant qu'avec la psychose ambiante il y a une sorte d'obligation de résultats. Alors en quelques heures, serez-vous en mesure ce soir d'annoncer des mesures concrètes ?

R. : J'espère ! Mais de toute façon, restons modestes, le terrorisme ne se maîtrise pas d'un coup de baguette magique. Il n'y a pas de remède miracle, ce n'est pas parce que des dirigeants du monde se réunissent que tout va changer du jour au lendemain ; ça je ne le crois pas, il faut rester sages et prudents.

Q. : On parle tout de même de 25 mesures relativement prêtes.

R. : Oui, en effet, nos experts ont travaillé depuis un mois à la préparation de cette conférence et nous avons un certain nombre d'idées. Je vais vous donner quelques exemples pratiques : il y a un certain nombre d'associations caritatives, ou qui se déclarent caritatives, et qui servent en réalité de couverture à des mouvements terroristes. Il faut très clairement, désormais, que dans chacun de nos États, des législations appropriées et des dispositifs de surveillance concrets permettent de suivre de près ces associations, de lutter contre elles, de les dissoudre, bref, d'empêcher qu'il y ait une sorte d'habit de vertu pour des personnages douteux.

Deuxième exemple pratique : sur Internet aujourd'hui, vous pouvez lire comment on fait une bombe et cela veut dire qu'en réalité, les systèmes terroristes utilisent les moyens les plus sophistiqués de communication pour pouvoir passer leurs consignes, leurs ordres, leurs messages. Il faut, là aussi, empêcher que des moyens ultra modernes de communication, qui se développent très rapidement, servent de couverture et de moyens de communication à ces réseaux et à ces groupuscules. D'où la nécessité d'adapter nos législations nationales et d'organiser des moyens internationaux de contrôle.

Q. : A propos d'adapter les législations, sera-t-il question aujourd'hui d'un accord international sur le principe d'extradition ?

R. : Vous savez qu'il y a des règles en la matière. Nous souhaitons que le maximum d'États y souscrivent, c'est un point assez important qui, c'est vrai, se réfère à des règles très traditionnelles du droit international. Personnellement, je pense que ces règles-là sont très bien, mais que s'agissant du terrorisme, il faut savoir passer outre.

Q. : Est-ce que l'on peut imaginer une police qui dépasserait un petit peu, qui supplanterait un peu la police des États ?

R. : Non, parce que la police n'a de sens et n'a de prix que parce qu'il y a une volonté politique forte. Or qu'est-ce qui peut exprimer cette volonté politique ? Certainement pas un organisme administratif international, mais seulement les gouvernements, les gouvernants, les dirigeants, les chefs d'État qui affirment leur détermination dans la volonté de lutter contre le terrorisme. Cela seul compte, la volonté des hommes ! Et cette volonté existe là où il y a des nations et là où il y a des personnalités à la tête de ces nations, décidées à marquer leur temps.

Q. : Dans l'arsenal aussi, si l'on en croit le président Clinton, il y a le recours aux sanctions, et dès hier le président américain réclamait des sanctions à l'encontre de l'Iran, de la Libye, voire de la Syrie et du Soudan, des sanctions également applicables aux sociétés, commerçants, travaillant avec ces pays.

R. : Voilà un sujet sur lequel il y a, me semble t-il, de la confusion dans l'air. Je ne crois pas en effet que les deux lois américaines tout à fait récentes dont vous parlez – la loi Helms-Burton et la loi D'Amato, dirigées l'une contre les entreprises étrangères aux États-Unis qui commercent avec Cuba, l'autre, contre des entreprises étrangères aux États-Unis qui commercent avec l'Iran – soient des armes contre le terrorisme. C'est simplement des mesures unilatérales prises par les États-Unis pour dissuader des entreprises étrangères de faire du commerce avec ces pays.

Q. : En ce qui concerne l'Iran, c'est bien parce que l'Iran est accusé par les États-Unis d'alimenter un certain nombre de mouvements terroristes ?

R. : Accusé, naturellement, peut-être, mais pour l'instant sans preuve. Je vais vous donner un exemple très précis : si nous avons récemment pu obtenir un accord au Liban, c'est grâce à l'influence qu'a la France en Iran.

Si on a libéré récemment quelques détenus palestiniens en échange de dépouilles d'Israéliens qui ont été restituées à leur famille, c'est grâce à l'intervention allemande en Iran. Autrement dit, tenir l'Iran à l'écart, ce n'est sans doute pas la chose la plus habile. Ce qui est le plus habile c'est de faire pression sur l'Iran pour qu'il rentre dans la communauté internationale et qu'avec nous il lutte contre le terrorisme, ça je crois que c'est utile et c'est ce que nous faisons. Je comprends qu'il puisse y avoir le cas échéant un désaccord avec les États-Unis, ce n'est pas nécessairement impossible à résoudre.

En tout cas, sachez que nous, nous allons consacrer ce sommet anti-terroriste à essayer que les 8 pays réunis autour de la table, qui sont les 8 pays les plus importants du monde consacrent leurs efforts, non pas à discuter sur leurs choix diplomatiques, mais à mettre sur la table des mesures concrètes qui feront progresser la lutte contre le terrorisme.

Q. : En matière de lutte contre le terrorisme, vous avez été rassuré par votre rapide tournée au Proche-Orient ?

R. : J'ai été surtout intéressé de voir où en était le processus de paix. J'en reviens à la fois chargé d'espérance et d'inquiétude, excusez-moi de cette prudence verbale, mais d'un côté je vois bien que l'inquiétude provoquée par l'élection israélienne c'est un peu apaisée, de l'autre je vois aussi que le processus de paix va mettre du temps à reprendre. Or dans ce cas-là, le temps est un très grand danger, car les forces de la paix peuvent se mettre en mouvement et provoquer des drames qui ne feront que reculer la paix.

Autrement dit, je crois que le processus de paix presse. Là-bas, lutter contre le terrorisme, c'est accélérer le processus de paix.

Q. : Le terrorisme sera également au centre de vos entretiens à partir de mercredi en Algérie avec les responsables algériens ?

R. : Non, pas principalement. Naturellement je m'informerai auprès de mes interlocuteurs algériens sur la situation en Algérie et sur les questions de sécurité, comme j'évoquerai sans doute les aspects internationaux.

Mais pour l'essentiel, je vais en Algérie dans le cadre des relations normales que la France a avec ce pays, que nous souhaitons les plus chaleureuses. Nous avons des liens entre Français et Algériens que chacun connaît, nous avons des intérêts communs, nous sommes des partenaires nécessaires en Méditerranée, bref, nous avons des choses à faire ensemble, et il vaudrait mieux les faire.

Q. : Il y a également des dossiers difficiles. Est-ce que la mort annoncée de Djamel Zitouni change pour vous quelque chose, la donne, dans ces relations ?

R. : Vous savez que ce personnage est à l'origine de la mort de sept moine français. Jamais je ne l'oublierai et je l'ai dit, j'ai la mémoire longue, et la France a la mémoire longue. La disparition de ce personnage n'est pas confirmée, elle n'est pas une mauvaise nouvelle !