Texte intégral
France 2 - mercredi 25 septembre 1996
G. Leclerc : Faut-il parler d’un traité historique, avec la signature du Traité d’interdiction totale des essais nucléaires, à partir du moment où deux pays qui sont en mesure de faire des essais nucléaires, l’Inde et le Pakistan, n’ont pas signé ce Traité ?
H. de Charrette : C’est vrai que c’est un fait regrettable, qui n’est pas sans conséquence. En effet, l’Inde et le Pakistan sont des pays du « seuil », à savoir des pays qui sont considérés comme capables de produire, plus clandestinement, des armes nucléaires, même des armes rustiques. Mais c’est quand même un événement d’une très grande importance car, après cinquante années pendant lesquelles les cinq puissances nucléaires ont consacré beaucoup de temps, d’efforts, d’argent, quelques-uns de leurs meilleurs ingénieurs, une partie importante de leurs recherches scientifiques pour avoir des armes nucléaires, et, s’agissant de l’Union Soviétique d’hier et des États-Unis, de s’engager dans une course aux armes nucléaires, après ces cinquante années donc, on tourne la page. Et les cinq puissances nucléaires, comme tous les autres pays au monde, s’engagent à ne plus faire d’essais nucléaires. C’est donc un événement très important puisque ça signe la fin de la course au tout nucléaire dans le domaine militaire.
G. Leclerc : Quelle sera la prochaine étape ? Sera-t-elle de convaincre les pays non signataires ou alors d’aller plus loin, par exemple interdire la production de matériaux qui servent à l’arme nucléaire ?
H. de Charrette : Un peu les deux. Naturellement, il faudra travailler, dans la période qui vient, à convaincre l’Inde de signer ce Traité. On comprend pourquoi elle n’a pas accepté : elle est entourée de la Chine, qui a l’arme nucléaire, du Pakistan qui est un pays du « seuil ». Je crois donc qu’il faut prendre la question sous un angle régional, toute la région de l’Océan Indien, et trouver des garanties de sécurité, des mécanismes qui donnent la sécurité à l’Inde. Première chose à faire : que l’Inde signe. Ça prendra malheureusement quelque temps. Deuxième progrès qui est devant nous : c’est s’engagé sur une négociation ayant pour objet un accord, au terme duquel les pays s’engageraient à cesser de produire toute matière fissile nouvelle. De sorte qu’il n’y ait vraiment plus devant nous la perspective d’une croissance de l’armement nucléaire. Après cela, il y a encore une troisième dimension : faire en sorte que les puissances qui ont des stocks d’armes très importants – je pense aux États-Unis et à la Russie qui reste une grande puissance nucléaire – s’engagent à réduire, progressivement mais fortement leurs stocks d’armes. Tout cela, ce sont les voies du futur pour poursuivre l’œuvre accomplie aujourd’hui, qui est très importante. J’ajoute que la France est aujourd’hui la seule des cinq puissances à avoir fermé son centre d’essais. Le président de la République a annoncé, nous avons mis en route la fermeture du centre de Mururoa. Nous sommes désormais le seul des cinq grands nucléaires au monde, à avoir fermé son centre d’essais. Ce qui montre bien la détermination de la France dans cette négociation, qui a été une détermination très forte.
G. Leclerc : B. Clinton a été très dur hier contre les États terroristes, il a proposé « leur isolement ». Au moment où vous, vous vous prononcez pour l’application de la résolution de l’ONU, avec l’Irak, l’échange pétrole-nourriture. Il y a un désaccord, là ?
H. de Charrette : Ce sont deux choses différentes. La résolution 986, à laquelle vous faites allusion, est destinée à permettre à l’Irak de vendre un peu de pétrole. En échange de quoi, et avec cet argent, il pourrait acheter de la nourriture, des médicaments, pour la population irakienne. Or, sans doute, ceux qui nous écoutent et nous regardent ne le savent peut-être pas, mais la situation de la population irakienne est vraiment tragique. L’Irak a certes une lourde responsabilité mais je pense que la Communauté internationale doit, c’est son devoir, se préoccuper de la situation de cette malheureuse population. C’est l’objet même de cette résolution. Ça fait neuf mois qu’on en parle, qu’on en discute. Je crois que, maintenant, tous les problèmes qu’il y avait ont été réglés. Et donc la France, en effet, insiste pour que cette résolution soit désormais appliquée.
G. Leclerc : Vous êtes un des responsables du PPDF, une des composantes de l’UDF. Le Figaro titre ce matin : « Juppé veut reprendre la majorité en main ». Il est devant le groupe parlementaire UDF, au moment où, effectivement, F. Léotard a critiqué hier « les fausses pistes du Gouvernement », sur le mode de scrutin, sur la loi Toubon, sur l’ouverture. Il y a une dissension au sein de la majorité ?
H. de Charrette : S’agissant de la majorité, je dirais qu’il y a « deux dangers desquels il faut s’écarter » pour parler comme F. Léotard. Le premier ce serait la division qui annonce les déchirements, c’est le prélude à la défaite électorale. Et donc, naturellement, la majorité doit se rassembler. Et de ce point de vue, je crois que c’est très bien que le Premier ministre décide de présenter une déclaration de politique générale à l’ouverture de la session qui arrive, de façon à permettre à la majorité d’écouter le Premier ministre, le voir exprimer une nouvelle fois les choix du Gouvernement. Que le Parlement se prononce, que la majorité se rassemble à l’Assemblée, je crois que c’est une très bonne chose et c’est tout à fait indispensable. En même temps, l’unité de la majorité ça ne peut pas être l’uniformité. Il faut donc laisser les formations, les personnalités, les sensibilités s’exprimer. Pourvu que ça ne se transforme pas en cacophonie. On a quelques sujets devant nous. Je trouve bien que l’UDF exprime sa personnalité, cela va de soi. J’ai entendu aussi bien F. Bayrou que F. Léotard, dire qu’ils n’étaient pas favorables au scrutin proportionnel aux élections législatives. C’est tout à fait mon avis. Je crois que si débat il y a, l’UDF exprimera un point de vue commun. Le scrutin majoritaire, c’est celui qui permet d’avoir une majorité, comme son nom l’indique, à l’Assemblée et à nos concitoyens de faire des choix. Je suis tout à fait sur cette ligne. Je crois qu’il y a aussi, à l’UDF, le souci que les questions de l’immigration soient traitées avec clarté et force. Personnellement, je fais partie de ceux qui pensent que, dans ce domaine, il faut dire la vérité aux Français, il faut le dire aussi à nos partenaires étrangers. Il faut être clair. Le pays a besoin de détermination, d’audace et de clarté.
France Inter - mercredi 26 septembre 1996
A. Ardisson : Vous êtes à New York pour l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, session marquée par la signature du traité d’interdiction totale des essais nucléaires, mais qui est l’occasion pour chaque pays de faire entendre sa différence ou sa spécificité. Une phrase a été très remarquée dans votre discours : vous évoquez les dangers de l’unilatéralisme. Pouvez-vous traduire ?
H. de Charrette : D’abord, cette session traditionnelle des Nations unies permet de voir se rassembler les ministres des Affaires étrangères, parfois les Premier ministres et les chefs d’État, de tous les pays du monde. C’est donc vraiment un très haut lieu pour la communauté internationale et un moment très important. C’est le moment où chacun s’exprime, fait part de ses préoccupations, de ses sentiments. Avant de répondre à votre question sur l’unilatéralisme, je voudrais vous dire qu’il apparait très clairement que, pour la communauté internationale tout entière, les grandes questions qui dominent la vie des peuples aujourd’hui, c’est la lutte contre le terrorisme, c’est la lutte contre la drogue, contre la grande criminalité et enfin – c’est une bonne chose qu’on en parle enfin – c’est l’exploitation des enfants sous toutes ses formes, ce qui est une des tragédies les plus abominables de notre temps.
A. Ardisson : Et l’unilatéralisme ?
H. de Charrette : Le monde d’aujourd’hui est fait de nations dont un certain nombre n’avaient guère de présence internationale il y a encore dix ans – je pense aux pays émergents d’Asie, je pense à quelques grands pays d’Amérique latine qui sont de plus en plus présents, je pense même à l’Afrique qui commence à s’exprimer, dont la voix s’entend désormais aux Nations unies. Tous ces pays veulent être autour de la table, traités comme des égaux, avoir la parole. Ils sont comme nous : ils n’ont pas envie qu’une puissance, fut-elle la première du monde, prenne des décisions qui s’imposent aux autres. Nous avons eu le cas flagrant de la dernière période : c’est la loi Helms-Burton et la loi d’Amato, deux lois qui portent le nom de parlementaires américains et qui prévoient des sanctions à l’intérieur des États-Unis contre les entreprises extérieures, étrangères aux États-Unis, qui commercent les unes avec Cuba, les autres avec l’Iran. Franchement, la réaction internationale, la réaction européenne – je l’ai constaté ici même – est assez forte et franchement négative. La lutte contre le terrorisme, tout le monde est d’accord – on peut discuter sur les moyens mais tout le monde est d’accord. Mais personne dans la communauté internationale n’a le droit de s’arroger le privilège d’imposer aux autres des règles. Il faut qu’il y ait des règles communément acceptées, communément négociées et communément appliquées.
A. Ardisson : C’est quand même un peu David contre Goliath ?
H. de Charrette : Je pense que la communauté internationale, 180 et quelques pays, ce n’est pas David ! C’est l’aspiration d’un monde qui souhaite que chacun ait sa place, soit entendu et soit respecté".
A. Ardisson : Si les Américains ont cette tentation, c’est aussi parce qu’il n’y a plus personne en face, plus personne à craindre. Parle-t-on dans les couloirs de l’ONU ou dans les conversations bilatérales, de la maladie de B. Eltsine et des incertitudes qui pèsent sur le gouvernement de la Russie ?
H. de Charrette : Franchement, non. On en parle peu parce que, à l’ONU, ce ne sont pas les journalistes qui font les commentaires ou les pronostics : ce sont les hommes politiques qui ont des responsabilités.
A. Ardisson : Cela n’interdit pas de se poser des questions !
H. de Charrette : Naturellement, cela ne l’interdit pas. Mais je crois qu’ici, tout le monde souhaite que la santé du chef de l’État russe soit bonne parce que tout le monde s’est réjoui de son élection, comme une sorte de gage que la Russie est engagée sur la voie de la construction progressive, probablement de la démocratie et de l’économie de marché. Et cette Russie-là, c’est celle que l’on espère et que l’on attend.
A. Ardisson : Puisque nous en sommes à parler des hommes, vous avez rendu un hommage très appuyé au Secrétaire général de l’ONU. Vous défendez Monsieur Boutros-Ghali mais vous n’excluez pas qu’un Africain lui succède, avez-vous dit.
H. de Charrette : Non, ce n’est pas cela que j’ai voulu dire. J’ai voulu dire des choses très simples que je vais répéter devant vous. La tradition est que le Secrétaire général, qui a fait un premier mandat, en fasse un deuxième. Le fait est qu’aujourd’hui, c’est un Africain qui occupe le siège de Secrétaire général. Boutros-Ghali est, comme vous le savez, Égyptien, et la tradition veut donc que le prochain mandat revienne à un Africain. J’ajoute, et c’est très important, que l’OUA, l’Organisation de l’Unité Africaine, s’est réunie et a émis un soutien très fort en faveur de Monsieur Boutros-Ghali. Tout cela, comme d’ailleurs l’impression extrêmement positive que la France porte sur la façon dont Monsieur Boutros-Ghali, qui parle couramment et remarquablement français, a assumé ses fonctions, nous conduit à souhaiter que Monsieur Boutros-Ghali puisse poursuivre son action à l’occasion du prochain mandat de Secrétaire général. Voilà, très exactement, la position de la France.
A. Ardisson : Hier encore, il y eu des affrontements entre Israéliens et Palestiniens, avec des morts, de nombreux blessés. Sentez-vous les Américains aussi inquiets que vous sur l’évolution du processus de paix au Proche-Orient, aussi décidés à faire pression qu’ils l’étaient il y a quelque temps ?
H. de Charrette : Eh bien, il y a un tout petit nombre d’heures, c’était la nuit à Paris mais encore le jour à New York, nous avions un long déjeuner de travail avec les quinze ministres des Affaires étrangères européens et W. Christopher, le secrétaire d’État américain. Nous avons évoqué cette question et je crois que nous sommes tombés d’accord pour exprimer notre commune inquiétude sur l’évolution des choses sur le terrain et pour demander aux parties, aux uns et aux autres et en particulier aux Israéliens, de prendre des initiatives qui permettront au processus de paix de repartir du bon pied. Chacun comprend bien que les Palestiniens sont aujourd’hui dans une situation très difficile et qu’il appartient à la fois à nous, parce que nous avons des responsabilités internationales, et aux Israéliens de prendre des initiatives et de faire les gestes nécessaires.
A. Ardisson : Je vous sais très attentif à ce qui se passe en France, même quand vous êtes à l’étranger. En tant que responsable d’une des composantes de la majorité, comment interprétez-vous la décision d’A. Juppé de demander un vote de confiance aux députés, car il est manifeste qu’il veut s’adresser d’abord à sa majorité ?
H. de Charrette : Je crois que c’est un geste à la fois prévisible et tout à fait bien venu. Il est, je crois, excellent, que le Premier ministre, au début d’une session parlementaire qui va durer dix mois, exprime le souhait de présenter sa politique devant le Parlement et de demander à l’Assemblée nationale un vote, de sorte que la majorité puisse marquer son unité. Franchement, je crois que nos concitoyens demandent que la majorité fasse preuve de plus d’unité. Naturellement, cela ne doit pas empêcher ni le travail parlementaire, ni l’expression des propositions et des sentiments des uns et des autres. L’unité, ce n’est pas l’uniformité.
A. Ardisson : Ce ne sera pas « silence, dans les rangs ! » ?
H. de Charrette : Je ne pense pas. De toute façon, A. Ardisson, franchement, vous ne vous y attendez sans doute pas. Mais je le répète : exprimer les propositions que l’on peut avoir à exprimer, la sensibilité particulière ou les préoccupations… J’ai vu que mon groupe parlementaire avait exprimé un certain nombre d’idées sur l’immigration que, personnellement, je partage tout à fait. Tout cela, c’est bien. De la même façon, j’ai entendu plusieurs dirigeants de l’UDF marquer leur attachement au scrutin majoritaire pour les élections législatives. Je l’avais fait moi-même quelques jours avant. Je suis très attaché à ce scrutin majoritaire parce qu’il est complètement lié à nos institutions. Cela fait partie du débat tout à fait légitime au sein de la majorité. Je le répète : unité, rassemblement autour d’une politique clairement exprimée et définie – c’est ce que va encore refaire A. Juppé – et en même temps, respect des sensibilités et de la diversité au sein de la majorité.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec la presse (New York, 25 septembre 1996)
Juste quelques mots pour ouvrir notre réflexion.
Cette semaine, que nous consacrons les uns et les autres à l’ONU par tradition, est une bonne occasion de rencontrer beaucoup de monde et de croiser les représentants d’un très grand nombre de pays. C’est aussi l’occasion de prendre conscience de l’émergence de la communauté internationale. Et celle-ci est marquée désormais par les grands changements du monde qui sont intervenus depuis près de 10 ans et qui vont continuer, car le changement s’accélère.
Dans ce monde nouveau, les sujets et préoccupations internationales ont beaucoup évolué. Quand on écoute les discours que prononcent les chefs d’État, les gouvernements ou les ministres des Affaires étrangères à la tribune de l’Assemblée, je comprends bien qu’il faut un peu de courage et de patience car c’est toujours fastidieux, mais on sent bien ces changements. Désormais les questions qui sont au cœur des réflexions internationales sont quelques conflits régionaux majeurs qui dominent encore, hélas, mais le débat porte de plus en plus sur les nouvelles menaces qui sont des menaces de société, qui touchent à l’organisation même de nos sociétés. Au premier rang le terrorisme. J’ai bien aimé la formule de Bill Clinton hier, « tolérance zéro » contre le terrorisme et la lutte contre la drogue, la grande criminalité généralement reliée aux deux précédentes. Tout à coup, on prend conscience, à la suite de drames particuliers, de l’immense question de l’exploitation des enfants. Ce sont des sujets très importants qui vont dominer probablement la vie de nos nations mais qui maintenant deviennent des sujets majeurs du débat international.
Naturellement, il y a des débats sur la façon de lutter contre ces grands fléaux. Je vais vous dire que la campagne présidentielle française avait permis de faire émerger un thème de campagne qui est d’ailleurs un thème très électoraliste. Le président Chirac s’en était pris, à de nombreuses reprises, à ce qu’il appelait, après d’autres, mais c’est lui qui a mis en valeur ce thème, la « pensée unique ». Je ne suis pas sûr que vous soyez tous des spécialistes de la vie politique intérieure française mais la pensée unique, ça voulait dire qu’il y avait des gens qui passaient leur temps, depuis vingt ans, à dire qu’il n’y a qu’une seule façon d’agir face aux problèmes. Naturellement, vous devez comprendre que c’est exaspérant pour les autres. De même au plan mondial, il n’y a pas de pensée unique. Il y a forcément plusieurs façons de répondre aux grandes questions qui sont posées à notre société et donc il y a des débats et on entend ces débats à la tribune et dans les couloirs de l’Assemblée. La France vit avec l’idée, sans doute présomptueuse, qu’elle a une place dans le monde, que cette place n’est certainement pas la première, mais certainement pas la dernière et nous souhaitons participer à ces débats comme nous souhaitons d’ailleurs défendre nos intérêts. Cela me fait plaisir de dire devant vous qu’il y a des intérêts français et que nous avons l’intention de les défendre. Enfin, comme vous le savez, nous sommes engagés dans une aventure historique qui est la construction de l’Europe. Au jour le jour, c’est un travail de couturière, mais sur une ou deux générations, c’est un travail d’artiste.
Q. : À votre avis est-ce que M. Boutros-Ghali est plutôt une couturière ou un artiste ?
R. : Non seulement c’est une bonne question mais particulièrement avisée. Je crois que le Secrétaire général des Nations Unies ne doit pas être, j’ai vu cela dans la presse ce matin, seulement un gestionnaire. Il ne serait pas suffisant non plus qu’il soit un diplomate. Le Secrétaire général figure dans les statuts des Nations unies, c’est une institution au même titre que le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, le Conseil économique et social, c’est une institution qui a des responsabilités propres. Et donc, à certains égards, c’est le dirigeant du monde. D’ailleurs on attend de lui qu’il ait une certaine vision du monde. Bien sûr c’est aussi un gestionnaire mais c’est un gestionnaire par délégation. Encore faut-il que ceux qui lui ont donné cette délégation ne l’empêchent pas d’assurer sa mission, en tous cas, lui en donnent les moyens. Voilà, c’est donc à la fois un artiste et une couturière. Mais vous savez que le point de vue français c’est que, tout compte fait, pour cette conciliation difficile entre les travaux et les jours, le Secrétaire général actuel remplit bien sa mission. Un dernier point, une dernière observation. Comme vous le savez, il y a deux langues de travail aux Nations unies : l’anglais bien sûr et le français. Un bon Secrétaire général ne peut être à la fois l’artiste et la couturière, comme vous le proposez, que s’il pratique les deux langues.
Q. : Sur la position américaine quant à l’élection du Secrétaire général.
R. : Pour être tout à fait sincère avec vous Monsieur Katz, je ne sais pas. Je ne sais pas quelle est vraiment la raison qui conduit les États-Unis à contester l’éventualité d’un renouvellement du mandat de M. Boutros-Ghali. Je peux apercevoir plusieurs raisons comme vous naturellement, mais je suppose qu’il y a des raisons fortes puisque c’est une décision que les États-Unis ont rarement prise dans l’histoire des Nations unies, celle qui a consisté à annoncer plusieurs mois à l’avance leur intention d’y imposer un veto. Pour le reste, la position française est assez simple. L’habitude est que le Secrétaire général peut faire deux mandats. En toute hypothèse, c’est certainement à un Africain que revient la responsabilité d’assumer les fonctions de Secrétaire général. Nous constatons que les pays africains rassemblés au sein de l’OUA ont pris position fermement en faveur de M. Boutros-Ghali. Dès lors, nous nous rallions au choix ainsi exprimé par le continent africain. Nous ne souhaitons pas qu’il y ait sur ce sujet de grandes confrontations. Nous ne sommes pas du tout habités par cette idée. Nous pensons même qu’en réalité cette question n’est pas encore vraiment dans l’agenda de notre emploi du temps. Le mieux est de laisser le Secrétaire général assumer sa mission et que les réflexions se poursuivent et ce n’est, selon nous, qu’à partir du mois de novembre que cette question sera sur la table.
Q. : Les États-Unis ont fermement indiqué leur opposition concernant M. Boutros-Ghali, est-ce que vous avez un candidat ?
R. : Cela ne m’avait pas échappé que les États-Unis avaient marqué leur opposition ferme. Je vous remercie de me le confirmer. Pour le reste, nous nous avons dit tout le bien que nous pensions de M. Boutros-Ghali. Donc, nous ne sommes pas à la recherche de son remplaçant. J’ai d’ailleurs observé avec intérêt que, même ceux qui voulaient le mettre dehors, n’avaient pas d’idée claire sur son successeur éventuel puisqu’ils avaient fait des propositions sur un très grand nombre de candidats possibles, si j’ose dire de toutes les couleurs. C’est du moins ce que l’on murmure dans les couloirs de l’Assemblée.
Q. : (inaudible)
R. : Non, je suis surtout convaincu qu’il serait préférable que cette question n’empoisonne pas la présente session. J’imagine que le moment venu, c’est-à-dire à la fin de l’année, après les positions de principe affirmées, parfois avec brutalité, il faut bien le dire, on passera enfin aux choses sérieuses. Ceci étant, vous avez bien commencé votre question en disant que vous alliez poser la même question d’une façon différente, ce qui est un talent généralement reconnu aux journalistes. Peut-être peut-on passer à un autre sujet.
Q. : Le rôle de l’Afrique. Après son intervention au Rwanda, la France pourrait-elle jouer un rôle croissant en Afrique, au Burundi ? Pouvez-vous nous dire quels sont les intérêts stratégiques que la France estime avoir en Afrique ?
R. : L’Afrique est un continent sous-estimé, parfois même méprisé, très souvent maltraité. Je voudrais dire devant vous toute l’affection que la France porte au continent africain. La vie n’est pas simplement guidée par des intérêts, elle peut être guidée à l’occasion par le sens des responsabilités et par des liens que je peux qualifier de liens d’affection. Nous aimons l’Afrique. Elle connaît de grands problèmes, mais contrairement à ce qu’on dit généralement, c’est un continent qui fait de grands efforts pour traiter ses propres problèmes. Savez-vous que le taux de croissance moyen de l’Afrique aujourd’hui approche les 5 % par an. Beaucoup de pays africains ont fait un effort considérable et accepté beaucoup de sacrifices pour mettre en place des institutions démocratiques, pour s’adapter aux règles de l’économie du marché mondial, au prix de grandes difficultés. La France, quand elle regarde vers l’Afrique, ne pense pas en termes d’intérêts stratégiques. Elle pense aux obligations qui sont les siennes mais qui sont aussi des obligations que devrait assumer la communauté internationale : accompagner cette démarche des peuples africains. Si vous regardez l’aide publique au développement conduite par les États riches, on ne peut pas manquer d’être frappé de voir que cette aide publique poursuit un mouvement inexorable de réduction. Avec 58 millions d’habitants, la France n’est donc pas le pays ni le plus peuplé ni le plus riche, mais n’est pas pauvre non plus. Nous sommes la deuxième puissance du monde en valeur absolue par le concours que nous apportons aux pays pauvres. Nous en tirons quelque fierté mais en même temps cela nous désole parce que cela prouve que d’autres ne font pas ce qu’ils devraient faire franchement. Je vous le dis avec sérieux, sans ironie, la communauté internationale doit certes fonctionner sur des règles communément acceptées, mais elle doit aussi assumer l’exigence de solidarité qu’il y a entre les peuples. L’égoïsme des nations ne peut pas être un principe d’organisation du monde de demain.
Q. : (Sur l’Iraq)
R. : Le problème c’est qu’il n’y en avait pas, il n’y a aucune résolution du Conseil de sécurité qui permettait de fonder cette initiative américaine. Toutes les résolutions du Conseil de sécurité ont mis en avant le principe de base qui est celui de l’intégrité du territoire iraquien. Toutes ces résolutions reconnaissent que le gouvernement iraquien a autorité sur l’ensemble du territoire iraquien. Il est vrai que les Américains, les Britanniques et les Français ont pris l’initiative en 1991 de créer deux zones de non-survol. Ces décisions avaient été prises au lendemain de la guerre du Golfe, non pas pour empêcher les Iraquiens d’assurer l’application pratique du principe de l’intégrité territoriale, mais pour protéger deux catégories de population dont nous pensions que l’Iraq les avait, dans le passé, maltraitées. Pour ces raisons, nous n’avons pas participé aux opérations lancées par les autorités américaines. Il ne faudrait pas en déduire que nous soutenons le gouvernement iraquien dont chacun connaît les responsabilités écrasantes. Durant cette période nous n’avons cessé d’adresser des messages extrêmement fermes aux autorités iraquiennes pour leur demander successivement de se retirer dans les meilleurs délais du nord de l’Iraq, de préserver les populations civiles kurdes du nord de l’Iraq, de renoncer à leurs menaces de s’en prendre aux avions alliés survolant le territoire sur les deux zones de non-survol, de renoncer aux déclarations intempestives ou aux menaces inacceptables. Aujourd’hui, nous avons le sentiment que le climat s’est détendu et que la température a baissé. Je crois que c’est bien ainsi.
Q. : (Sur l’Iraq)
R. : Par principe, du côté du gouvernement plutôt que du côté des services. Je ne veux pas prendre parti dans un débat de politique intérieure américaine. Notre idée est très claire : nous sommes membres de la coalition alliée, nous entendons le rester, nous voulons dans le même temps apporter notre contribution. Quand il y a des décisions qui concernent cette coalition, nous aimons bien être associés aux réflexions et nous pensons que nous sommes en situation d’apporter une contribution utile. Je pense que ce que nous devrions considérer comme objectif prioritaire c’est l’application de la résolution 986. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit au Secrétaire général pour qu’il puisse constater que les dispositions techniques et pratiques qui ont fait l’objet de discussions laborieuses depuis neuf mois sont arrivées à leur terme.
Q. : (Sur l’Iraq)
R. : Naturellement, pendant la période de tension il n’était pas possible de mettre cette résolution en application parce que les conditions de sécurité n’étaient pas assurées dans le nord. Mais il me semble que maintenant que l’on a assisté à un certain retour à l’ordre précédent, ce devrait être possible. Nous avons aussi notre part de responsabilité à assumer s’agissant du sort des populations civiles de l’Iraq dont vous savez qu’il est tragique.
Q : (inaudible)
R : Il est normal d’ailleurs que vous m’interrogiez sur toutes les questions un peu compliquées mais je voudrais que vous soyez pleinement conscient que les relations franco-américaines sont pour nous une question tout à fait essentielle, la question centrale. Nous y attachons beaucoup d’importance et pour les Français et les Américains, les Européens et les Américains sont porteurs des mêmes valeurs, des mêmes conceptions dans le monde actuel. Ce sont des références, au-delà du raisonnable, à La Fayette. La France et les États-Unis, l’Europe et les États-Unis sont des peuples amis. Nous nous donnons la main dans la vie internationale mais naturellement, cela n’empêche pas que, pour être amis, il faut exister et nous pouvons avoir des sujets sur lesquels nous n’avons pas la même analyse. Il est donc normal que, dans les sujets de la vie quotidienne, il y ait non pas des désaccords mais des appréciations qui peuvent être différentes.
Je pense que vous êtes informés de cela : la loi Helms-Burton et la loi d’Amato ont provoqué de vraies émotions en Europe et dans d’autres parties du monde. J’en entends parler dans mes contacts avec les gens d’Amérique latine, j’en entends parler au Moyen-Orient et, même les pays d’Asie, qui sont éloignés de toutes ces questions, sont choqués comme nous le sommes. Simplement parce que chacun est libre de s’organiser lui-même comme il le veut. Mais nous avons pris ensemble des décisions communes au sein de l’Organisation mondiale du commerce.
Si nous voulons organiser un monde meilleur, il faut s’efforcer de faire progresser le caractère multilatéral de la société mondiale. Je ne peux pas en dire plus, nous n’avons pas, je l’espère, fait de déclarations exagérées sur ce sujet. Nous avons fait savoir que c’était un sujet de préoccupation et que nous ne pouvions pas accepter facilement des législations unilatérales qui touchent à la vie commerciale et internationale. Nous sommes conscients des préoccupations de la lutte contre le terrorisme, des questions intéressant l’avenir de Cuba. Nous sommes tout à fait disponibles pour en parler et nous en parlons souvent. M. Eisenstat est annoncé à Paris pour la fin du mois d’octobre, nous le recevrons avec plaisir. Mais j’ai observé que les pays d’Europe qu’il a déjà visités ont eu la même réaction que nous, car, sur ce sujet-là, il y a unanimité en Europe.
Q. : Pensez-vous qu’une fois que les élections américaines seront passées, cette question pourra être réglée ?
R. : On verra bien. Mais sur beaucoup de sujets, on dit que lorsque les élections américaines seront passées, le monde sera différent.
Q. : (Sur la Bosnie)
R. : D’abord, nous pouvons nous réjouir ensemble de ce que les accords négociés à Dayton et signés à Paris aient été appliqués. Néanmoins, nous mesurons jour après jour, et toujours davantage, combien les forces d’éclatement de la Bosnie-Herzégovine sont puissantes et sans doute plus actives que les forces d’unification. Les accords de Dayton ont été signés pour un an. Il y avait urgence mais chacun savait déjà qu’un an c’était trop court. C’est pourquoi nous avons proposé que soit mis en œuvre un plan de consolidation de deux ans, pour l’année 1997 et pour l’année 1998. Ce plan devrait permettre de poursuivre l’action internationale et de continuer à travailler à la réalisation d’un État bosniaque. Cette proposition a été acceptée par les États-Unis à l’occasion de la rencontre que j’ai eue avec Warren Christopher à Paris au début du mois de septembre et elle a été également considérée comme utile par nos partenaires européens. Les Russes la soutiennent également. Bref la communauté internationale est d’accord. Ce que nous aurons à faire pendant ces deux années c’est trois choses :
Premièrement, il serait très souhaitable que le mandat des institutions qui ont été élues le 14 septembre ait une durée de deux années. Ceci veut dire qu’après des élections, forcément imparfaites, de septembre 1996, on devrait avoir en deux années des élections où l’ensemble des forces y compris les forces démocratiques pourront s’exprimer pleinement et fournir l’occasion d’un choix durable. Deuxièmement, pendant cette période de deux ans, la communauté internationale devrait exprimer sa disponibilité à poursuivre son effort au service de la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine, et avoir à l’esprit l’objectif central d’assurer l’unité de la Bosnie-Herzégovine, malgré les forces d’éclatement qui sont à l’œuvre et qui sont puissantes. Sans doute faudra-t-il imaginer un dispositif d’accompagnement sur le plan de la sécurité dont les modalités pratiques n’ont pas encore fait l’objet de discussions entre les partenaires intéressés.
Q. : (Sur la Bosnie)
R. : Nous avons seulement dit qu’il faudra donc traiter les problèmes de sécurité. Il faudra pour cela un dispositif approprié au sol bien sûr. Les modalités pratiques feront encore l’objet de discussions internationales.
Q. :(Sur la Bosnie)
R. : La contribution française éventuelle dépendra du dispositif qui sera retenu.
Q. : (Sur la Bosnie)
R. : La question qui est en discussion pour l’instant c’est la question de l’application ou non des sanctions, la levée ou non des sanctions. Sur cette question, je crois que nous devrions avoir à l’esprit, le souci d’appliquer scrupuleusement les Accords de Paris. D’autant que sur cette question ils sont assez précis. Les accords, c’est comme un contrat, chacun s’oblige vis-à-vis des autres. Nous avons exigé un certain nombre de choses et nous l’avons dit : si ces choses sont prêtes et accomplies, nous en referons d’autres. De ce point de vue, je pense que la levée des sanctions est en quelque sorte la contrepartie, contractuellement acceptée, de l’organisation et du déroulement des élections.
Q. : (Sur la Bosnie)
R. : Oui. Il y a cette question de la certification qui paraît assez légitime parce que, s’il y a bien eu les élections, encore faut-il que l’autorité qui avait la charge de les contrôler déclare officiellement qu’elles se sont déroulées dans de bonnes conditions.
Q. : (inaudible)
R. : L’attention que vous portez à la douleur française me touche. Venez à Paris et vous verrez comme la situation est tragique. Je vais vous répondre Monsieur. La France est déterminée à tenir les engagements qu’elle a pris en ratifiant au suffrage universel le Traité de Maastricht. Nous serons prêts en temps et en heure. L’euro verra le jour à la date fixée, c’est à-dire, le 1er janvier 1999. Je crois d’ailleurs que le monde entier en est désormais convaincu. La détermination française, l’engagement allemand ne seront pas revus et, du même coup, autour de cette décision commune se cristallise des démarches et la volonté de beaucoup d’autres pays européens. À Dublin, il y a deux jours les ministres des Finances sont tombés d’accord sur un certain nombre de décisions pratiques. Tout ceci marque que l’euro est désormais en route et cette décision est une décision majeure. Elle est majeure, pour nous, les Européens, mais je crois qu’elle constituera un événement de portée mondiale. La communauté internationale a sans doute du mal à regarder loin devant mais vous verrez qu’inexorablement l’euro va devenir une monnaie mondiale qui va changer la donne.
Q. : (Sur le Moyen-Orient)
R. : C’est un excellent sujet pour la coopération franco-américaine. Nous sommes tout à fait conscients et respectueux de l’engagement américain très fort dans cette partie du monde. Je crois que le rôle de la France est désormais mieux compris et mieux considéré. J’ai payé de ma personne pour cela. Il n’empêche que la situation est très difficile, très préoccupante. La violence est à nos portes. Ne doutez pas qu’il y a des forces hostiles à l’aboutissement du processus de paix et je trouve la situation assez inquiétante. La reprise du processus de paix, que ce soit avec les Palestiniens ou avec la Syrie et le Liban, constitue un objectif majeur. Cela mériterait une conférence de presse particulière parce que le sujet est complexe et difficile. Mais face aux inquiétudes que je viens d’évoquer, je constate que dans le groupe de surveillance au sud-Liban, Français et Américains travaillent bien, en bonne coopération et que cela ouvre la voie à ce que nous pouvons faire ensemble pour aider à la reprise du processus de paix.
Merci, Mesdames, Messieurs d’avoir donné un peu de votre temps et vive l’amitié franco-américaine.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec la presse française (New York, 25 septembre 1996)
Q. : Est-ce que votre décision sur le soutien de Boutros-Ghali, le soutien de la France est irrévocable ? Est-ce que vous allez jusqu’au bout de sa candidature ?
R. : Je voudrais confirmer la position française parce que j’ai peur qu’il y ait eu certaines incompréhensions. Il suffit d’ailleurs de vous référer au discours que j’ai prononcé à la tribune de l’Assemblée des Nations Unies, il est extrêmement clair, précis, comme d’ailleurs tous les propos que j’ai tenus, y compris à votre demande, ici. Je répète, donc : la France apprécie la détermination, la vision de l’avenir du monde et la capacité réformatrice de M. Boutros Boutros-Ghali. C’est pourquoi nous lui exprimons notre confiance et nous souhaitons ardemment qu’il puisse accomplir un nouveau mandat.
Q. : Donc la France soutient la position de l’OUA ?
R. : Oui, nous nous sommes réjouis de constater que l’Organisation de l’unité africaine avait pris une position extrêmement claire en faveur de Boutros-Ghali et avait conforté la position qui est la nôtre.
Q. : Quelle est votre position sur la déclaration que vient de faire le ministre des Affaires étrangères de Chine qui a dit en anglais « I respect the decision made by the OUA to support Mr. Ghali or some Other African candidate » c’est-à-dire que si la position de l’OUA changeait pour un autre candidat, la Chine apparemment pourrait suivre. Est-ce la position de la France… ?
R. : Excusez-moi, ce que vous m’avez lu n’est pas aussi sophistiqué que ce que vous avez commenté après. Si la bouteille était plus petite et si Paris était plus grand ou plutôt l’inverse d’ailleurs, on pourrait mettre Paris dans la bouteille…
Q. : Je crois le soutien français irrévocable ?
R. : Je crois vous avoir dit tout ce que j’avais à vous dire du début à la fin. Nous avons une position, c’est la nôtre voilà…
Q. : Vous ne nous avez pas dit quelle a été votre réaction au veto annoncé des Américains ?
R. : Je vous donne la position française. Vous voulez que je commente la position des 185 membres de l’Assemblée générale des Nations Unies ?
Q. : Non, les Américains ont annoncé leur veto, c’est quand même extraordinaire ?
R. : Comme on dit dans le langage diplomatique, c’est inhabituel.
Laissez-moi maintenant vous dire que j’étais à l’instant au téléphone avec le président Arafat que j’avais appelé pour lui dire l’émotion du gouvernement français devant les événements tragiques qui se déroulent actuellement à Jérusalem, Ramallah, Bethléem, qui sont d’une extrême gravité. Je lui ai indiqué que nous allions, bien entendu, rester en contact avec lui. Je l’appellerai à nouveau demain, et nous allons faire tous nos efforts pour contribuer au retour au calme qui est absolument nécessaire pour sauver le processus de paix.
Aujourd’hui, j’ai rencontré le ministre des Affaires étrangères algérien, M. Attaf. Nous avons fait le point ensemble après la visite que j’ai effectuée en Algérie, à la fin de juillet dernier. Vous savez que nous avions mis en route un processus de travail en commun pour établir entre nos deux pays des relations positives, cordiales et étroites. Je crois que nous avons constaté que ce processus était mis en route dans de bonnes conditions. J’ai rencontré aussi le ministre des Affaires étrangères d’Iran, M. Velayati. Nous avons fait un tour d’horizon de la situation dans la région ainsi que des relations entre l’Iran et la France et l’Union européenne.
J’ai reçu aussi le ministre des Affaires étrangères de Yougoslavie ainsi que le ministre des Affaires étrangères de Bosnie-Herzégovine. Nous avons donc parlé de l’application du processus de paix après les élections, la mise en place de la présidence de Bosnie-Herzégovine et les travaux qui sont devant, c’est-à-dire, la constitution du gouvernement. J’ai rappelé notre projet de réunir à Paris une conférence ministérielle en vue d’adopter un plan de consolidation de deux ans qui, désormais, est dans son principe agréé par l’ensemble des partenaires de la communauté internationale. La conférence devrait avoir lieu dans la première quinzaine du mois de novembre. Comme vous le savez, M. Milosevic et M. Izetbegovic doivent se rencontrer à Paris, le 3 octobre. Je crois que cette rencontre qui sera suivie d’un déjeuner avec le président de la République et les deux chefs d’État, permettra d’apporter l’ensemble des questions concernant l’avenir de l’ex-Yougoslavie.
Avec la Norvège, nous avons parlé surtout des questions intéressant les problèmes de sécurité en Europe, un point sur lequel les Norvégiens et les Français partagent l’essentiel des points.
Q. : Vous allez voir les Iraquiens aussi ?
R. : Pour tout vous dire, je n’en sais rien.
Q. : Les Iraquiens l’avaient plus ou moins annoncé.
R. : S’ils l’ont annoncé, c’est qu’ils sont mieux informés que moi !
Q. : Avec M. Velayati, avez-vous évoqué le cas de Salman Rushdie ?
R. : Oui bien sûr.
Q. : Est-ce que la position de la République islamique a évolué ?
R. : Je n’ai pas l’impression. Vous connaissez la position française, vous connaissez aussi la position européenne. On peut résumer en disant que nous pratiquons ce que nous appelons des dialogues critiques.
Q. : À propos de l’Algérie, est-ce que les dossiers en suspens, par exemple celui du protocole financier d’Air Algérie a progressé ? Quand vous êtes allé à Alger vous nous aviez dit que vous aviez soulevé des questions générales politiques, ensuite on était entré dans le détail du dossier. Est-ce que ce dossier et les choses ont évolués ?
R. : En effet, quand je suis allé en Algérie, j’y suis allé non pas pour résoudre tel ou tel dossier précis, mais plutôt pour donner un nouveau départ aux relations franco-algériennes. Nous avons fait le point ensemble avec M. Attaf et nous sommes convenus que les experts puissent travailler ensemble sur les deux dossiers que vous avez évoqués et dans les prochaines semaines. Je pense que ces questions vont progresser. En tous cas, sachez que l’esprit des relations franco-algériennes est positif.
Q. : Pour en revenir à Israël, quelles sont les demandes de Yasser Arafat ? Qu’est-ce que l’on peut attendre de la France ? Est-ce qu’il y a des initiatives ?
R. : En effet, le président Arafat, dans cette période particulièrement difficile, tragique, a besoin du concours de la France pour contribuer à mettre un terme aux événements.
Nous entretenons un rapport très étroit, aussi bien avec les autorités israéliennes qu’avec les autorités palestiniennes, afin de résoudre ces incidents. Il n’en demeure pas moins que la cause de ces incidents se trouve dans le fait que des travaux ont été entrepris pour construire un tunnel sous les lieux saints, c’est-à-dire sous une partie du territoire qui concerne Jérusalem-est, donc sur une partie particulièrement sensible. Il est important que, du côté israélien, on mesure les risques que font prendre les retards pris par le redémarrage du processus de paix. Nous n’avons cessé de dire depuis des semaines que ces retards pouvaient provoquer une situation de violence qui serait à grands risques. C’est hélas ce qui s’est produit. C’est pourquoi, dans cette période, chacun doit faire preuve d’un très grand esprit de responsabilité pour parvenir à maîtriser les événements.
Q. : Est-ce que vous allez voir M. David Levy ?
R. : Vous savez, le président de la République a vu M. Netanyahu. Je n’ai pas encore d’indication. Je ne peux pas vous en parler, je suppose qu’il a fait des déclarations à Paris mais si c’est utile, en effet, je verrai M. David Levy avec qui, vous le savez, j’ai d’excellentes relations personnelles.
Q. : Concernant la Bosnie, sur quoi comptez-vous insister demain au cours de la réunion de contact ?
R. : Les préoccupations qui sont les nôtres sont très simples. Premièrement, la mise en place des institutions de la Bosnie-Herzégovine. Le gouvernement, la présidence, le parlement. Ensuite, la mise en place du plan de consolidation, ce qui est très important pour donner aux populations une visibilité à un projet. Sur ce que veut faire la communauté internationale (inaudible) donc, ce sont sur ces points que se concentrent aujourd’hui nos préoccupations.
Q. : (inaudible) des sanctions, c’est un détail pour vous ?
R : Non, mais je crois vous avoir déjà donné hier la position de la France. Il faut appliquer l’Accord de Paris…
Q. : Sans conditions nouvelles ?
R. : Oui, il faut les appliquer. Nous demandons aux parties sur le terrain d’appliquer ces accords. Je voudrais les appliquer avec rigueur. Je pense que du côté international, il faut faire preuve de la même disposition d’esprit. Donc, je pense que c’est une question qui peut être réglée rapidement. Ce n’est pas une question mineure. C’est vrai que les événements du Proche-Orient dominent l’actualité. On pouvait craindre qu’à un moment ou à un autre il se passe quelque chose, et voilà que cela survient. On ne pouvait pas savoir quand, mais ces incidents constituent un très sérieux avertissement. Je souhaite que l’on arrive à les maîtriser, à rétablir le calme, faute de quoi la situation pourrait devenir immaîtrisable.
Q. : Monsieur le Ministre, quelle est votre réaction à l’heure qu’il est aux événements qui continuent d’ensanglanter Jérusalem et Ramallah ?
R. : Mon sentiment est un sentiment d’inquiétude, d’inquiétude grave. Ces événements ajoutent aux incertitudes qui pesaient déjà sur le processus de paix. La reprise de travaux d’un tunnel sous la ville arabe de Jérusalem et tout particulièrement sous les lieux saints, a conduit à des manifestations qui ont donné lieu à des violences, avec des morts, des blessés graves et des centaines de personnes victimes de ces événements. Malheureusement, je crains que de nombreuses victimes et de nombreux blessés soient à déplorer. Il est particulièrement inquiétant que ces incidents et une partie d’entre eux, les plus graves, aient eu lieu dans la zone de Ramallah, c’est-à-dire une zone qui est désormais sous l’autorité palestinienne alimentant ainsi un sentiment de retour en arrière comme s’il n’y avait pas eu d’accords intérimaires avec les Palestiniens. C’est pourquoi nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur ces incidents et que toutes les mesures soient prises pour revenir au calme, rétablir la vie normale dans cette partie de la Palestine et que les conversations qui ont été engagées dans le cadre du processus de paix puissent reprendre leur cours. Il faut que tous les efforts soient faits pour que ces incidents arrivent à leur terme.
Q. : Vous venez de nous apprendre que vous vous étiez entretenu avec M. Arafat. Quelle a été la teneur de cet entretien ?
R. : Comme toujours, un entretien chaleureux avec le président Arafat. Nous avons du côté français des liens très étroits et en même temps une très grande émotion devant la gravité de ces événements. Le président Arafat souhaite que la France porte tout le poids de son autorité, de son influence dans cette partie du monde pour aider au retour au calme et au retour à la situation antérieure. C’est ce que nous allons faire.
Q. : Est-ce que vous considérez qui seraient les responsables du déclenchement de ces affrontements ?
R. : Avant de parler de responsabilité, regardons plutôt les choses. C’est la non-reprise du processus de paix, la lenteur et quelques maladresses que je viens d’évoquer, c’est-à-dire la reprise des travaux sur un tunnel qui passe à travers le territoire de Jérusalem-est qui a provoqué ces incidents.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec les radios françaises (New York, 25 septembre 1996)
Q. : La situation est assez préoccupante à Ramallah, quel est votre commentaire sur cette explosion de violence dans les territoires palestiniens ?
R. : Je crois que la situation dans les territoires palestiniens et au Proche-Orient est une situation à risques. Les retards pris dans le processus de paix, l’impression que ce processus, non seulement n’avance pas, mais peut paraître à certains comme un processus bloqué et, source possible d’un grand danger : la violence rôde au Proche-Orient et il est grand temps que les forces de paix marquent leur détermination à poursuivre le processus engagé depuis maintenant plusieurs années pour régler définitivement le sort de cette région à difficultés.
Q. : Concrètement, qu’est-ce que la France compte faire sur cet incident particulier ? Une initiative ?
R. : Comme vous le savez la France a des contacts « permanents », avec les uns et les autres. Nous pressons les autorités israéliennes de reprendre, de façon active et claire, le processus de paix qui est le seul capable de répondre aux aspirations de sécurité du peuple d’Israël.
Q. : Monsieur le Ministre, vous avez rencontré ce matin votre collègue algérien. Est-ce qu’on peut savoir autour de quoi a tourné la conversation, ce que vous vous êtes dit ?
R. : C’était un contact, en effet avec M. Attaf, ministre des Affaires étrangères d’Algérie. À la suite du voyage que j’ai effectué à Alger en juillet dernier, nous avons fait le point ensemble sur la relance des relations entre nos deux pays sur le plan politique, économique, commercial, en tous domaines. Je crois que les relations franco-algériennes sont des relations fondées, comme nous en avons décidé à Alger, sur un esprit de cordialité et de respect mutuel.
Q. : Monsieur le Ministre, les Allemands, ce matin, ont annoncé ou confirmé leur participation à ce qu’ils appellent « la brigade des pompiers » en Bosnie, c’est à dire les forces qui resteront après le retrait ou le début du retrait américain à la fin de cette année. Et nous ?
R. : Nous n’en sommes pas à ce stade. Comme vous le savez, la France a proposé un plan de consolidation de deux ans qui fera l’objet d’un examen au cours d’une conférence internationale qui sera réunie à Paris dans les toutes prochaines semaines ; ceci, c’est pour le volet civil. Pour poursuivre l’effort de reconstruction de la Bosnie-Herzégovine, est-ce qu’il faudra qu’après l’IFOR dont le mandat s’achève le 31 décembre 1996, il y ait un autre dispositif de sécurité ? C’est probable. Selon quelles modalités ? Avec qui ? Ce sont des questions qui restent en discussion et, en toutes hypothèses, dans notre esprit, il est très clair que la France y sera présente autant que les autres parties prenantes le seront également. De ce point de vue, les informations que vous m’apportez concernant la position allemande, qui jusqu’à maintenant n’est pas présente en Bosnie-Herzégovine et n’y a jamais été, est un signe positif de l’engagement de la République d’Allemagne.
Q. : Si les Américains partaient, nous partirions aussi ?
R. : Certainement.
Q. : M. Boutros Boutros-Ghali, vous lui avez rendu un hommage particulier au début et à la fin de votre discours…
R. : …vous n’avez pas été surpris ?
Q. : Est-ce que cela veut dire qu’il mérite cinq ans de plus, « five more years », comme l’on dit ici en Amérique ?
R. : Il mérite notre confiance. Nous ne pensons pas que le moment soit venu d’ouvrir les discussions sur le prochain mandat qui doit commencer le 1er janvier prochain. Je crois que cette agitation, que j’entends dans les couloirs de l’ONU, est prématurée. Nous parlerons de tout cela le moment venu, tranquillement, probablement courant novembre. En parler avant, c’est troubler l’atmosphère de travail de l’ONU et c’est sans doute affaiblir celui qui exerce ce mandat avec toutes les qualités que je lui reconnais, M. Boutros-Ghali. Je crois que la sérénité doit continuer de régner dans cette maison.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « France Inter » – Extraits (New York, 26 septembre 1996)
Q. : Vous êtes à New York pour l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, une session marquée par la signature du Traité d’interdiction totale des essais nucléaires, mais qui, traditionnellement, est l’occasion, pour chaque pays, de faire entendre sa différence ou en tout cas, sa spécificité. Une phrase a été très remarquée dans votre discours : vous y avez évoqué les dangers de l’unilatéralisme, Qu’en termes diplomatiques, ces choses-là sont dites. Pouvez-vous traduire ?
R. : Je veux vous dire d’abord que cette session traditionnelle des Nations Unies permet de rassembler les ministres des Affaires étrangères, parfois les Premiers ministres ou les chefs d’États de tous les pays du monde. C’est donc vraiment un très haut lieu pour la communauté internationale et un moment très important. C’est le moment où chacun s’exprime, fait part de ses préoccupations et de ses sentiments. Avant de répondre à votre question sur l’unilatéralisme, je voudrais vous dire qu’il apparaît très clairement que, pour la communauté internationale toute entière, les grandes questions qui dominent la vie des peuples aujourd’hui, c’est la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la drogue, la grande criminalité et enfin, parce que c’est une bonne chose que l’on en parle enfin, l’exploitation des enfants sous toutes ses formes qui est une des tragédies les plus abominables de notre temps.
Q. : Autant de thèmes qui ont été évoqués, comme autant d’effets pervers de la mondialisation.
R. : Le monde actuel est fait de nations dont un certain nombre n’avaient guère de présence internationale il y a encore dix ans. Je pense aux pays émergents d’Asie, à quelques grands pays d’Amérique latine qui sont de plus en plus présents, l’Afrique où quelques pays commencent à s’exprimer, dont la voix s’entend désormais aux Nations Unies. Tous ces pays veulent être autour de la table, traités comme des égaux, avoir la parole, et ils sont comme nous, ils n’ont pas envie qu’une puissance, fut-elle la première du monde prenne des décisions qui s’imposent aux autres. Nous avons eu un cas très flagrant au cours de la dernière période : la loi Helms-Burton et la loi d’Amato, deux lois qui portent les noms de parlementaires américains et qui prévoient des sanctions à l’intérieur des États-Unis contre les entreprises étrangères aux États-Unis qui commercent les unes avec Cuba, les autres avec l’Iran. Franchement, la réaction internationale, la réaction européenne, je l’ai constaté ici même, est assez forte et franchement négative. Sur la lutte contre le terrorisme, tout le monde est d’accord, mais personne dans la communauté internationale n’a le droit de s’arroger le privilège d’imposer aux autres les règles. Il faut qu’il y ait des règles communément acceptées, communément négociées et communément appliquées.
Q. : C’est quand même un peu David contre Goliath ?
R. : Je pense que la communauté internationale, 180 et quelques pays, ce n’est pas David. C’est l’aspiration d’un monde qui souhaite que chacun ait sa place, soit entendu et soit respecté.
Q. : Si les Américains ont cette tentation, c’est aussi parce qu’il n’y a plus personne à craindre de leur part. Parle-t-on dans les couloirs de l’ONU, dans les conversations bilatérales, de la maladie de Boris Eltsine et des incertitudes qui pèsent sur le gouvernement de la Russie ?
R. : Non, franchement non. On n’en parle peu car à l’ONU, excusez-moi, nous ne sommes pas des journalistes qui font des commentaires ou des pronostics, mais des hommes politiques qui ont une responsabilité.
Q. : Ça n’interdit pas de se poser des questions ?
R. : Naturellement, mais je crois qu’ici tout le monde souhaite que la santé du chef de l’État russe soit bonne parce que tout le monde s’est réjoui de son élection. C’est comme une sorte de gage que la Russie est engagée sur la voie de la construction progressive, probablement de la démocratie et de l’économie de marché. C’est cette Russie-là que l’on espère et que l’on attend.
Q. : Puisque nous en sommes à parler des hommes, vous avez rendu un hommage très appuyé au Secrétaire général de l’ONU, vous défendez Monsieur Boutros-Ghali, mais vous n’excluez pas qu’un Africain lui succède, avez-vous dit ?
R. : Non, ce n’est pas cela que j’ai voulu dire. J’ai voulu dire des choses très simples que je vais répéter devant vous. La tradition est que le Secrétaire général qui a fait un premier mandat en fasse un second. Le fait est que, aujourd’hui, c’est un Africain qui occupe le siège du Secrétaire général. M. Boutros-Ghali est, vous le savez, Égyptien. Et la tradition veut donc que le prochain mandat revienne à un Africain. J’ajoute, c’est très important, que l’Organisation de l’unité africaine s’est réunie et a émis un soutien très fort en faveur de M. Boutros-Ghali. Tout cela, comme d’ailleurs l’appréciation extrêmement positive que la France porte sur la façon dont M. Boutros-Ghali, qui parle couramment français, a assumé ses fonctions, nous conduit à souhaiter que M. Boutros-Ghali puisse poursuivre son action à l’occasion du prochain mandat de Secrétaire général. Voilà très exactement la position de la France.
Q. : Hier encore il y a eu des affrontements entre Israéliens et Palestiniens, avec des morts, de nombreux blessés. Sentez-vous les Américains aussi inquiets que vous sur l’évolution du processus de paix au Proche-Orient, aussi décidés à faire pression qu’ils ne l’étaient il y a quelques temps ?
R. : Il y a un tout petit nombre d’heures, c’était la nuit à Paris mais encore le jour à New York, nous avions un long déjeuner de travail avec les quinze ministres des Affaires étrangères européens et Warren Christopher, le Secrétaire d’État américain. Nous avons évoqué cette question. Je crois que nous sommes tombés d’accord pour exprimer notre commune inquiétude sur l’évolution des choses sur le terrain, et pour demander aux parties, aux uns et aux autres, en particulier aux Israéliens de prendre les initiatives qui permettront au processus de paix de repartir du bon pied. Chacun comprend bien que les Palestiniens sont aujourd’hui dans une situation très difficile, et qu’il appartient, à nous, comme ayant des responsabilités internationales, mais aux Israéliens surtout, de prendre les initiatives et de faire les gestes nécessaires.
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec « National Public Radio » (New York, 26 septembre 1996)
Q. : (Sur la Bosnie)
R. : La France a proposé une période de consolidation et de stabilisation d’une durée de deux ans pour poursuivre, en 1997 et 1998, l’action de la communauté internationale. Pendant cette période de deux ans, c’est principalement une action civile que nous devrons conduire pour aider à la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine. Dans le même temps, nous pensons que certains moyens seront nécessaires sur le plan de la sécurité. Cet effort doit être un effort conjoint de la communauté internationale, comme nous l’avons fait en 1996. Nous estimons que la poursuite de cette action internationale doit se faire dans le cadre de l’OTAN. Nous avons dit que, si l’un partait, nous partirions, mais ceci n’est pas à l’ordre du jour. L’heure est à la réflexion, au cours des prochaines semaines, des prochains mois, en tout cas avant la fin de l’année, sur la façon d’organiser nos efforts pour la période de deux ans qui est devant nous. La question principale n’est pas d’ordre militaire. Elle porte sur la poursuite de l’action civile de reconstruction de la Bosnie et de la constitution d’un État, le nouvel État de Bosnie-Herzégovine.
Q. : (Sur la Bosnie)
R. : Je vous en prie, n’insistez pas sur une éventuelle position différente des États-Unis. L’important est d’observer que nous travaillons tous ensemble en Bosnie, que nous avons fait du bon travail et que nous entendons continuer de la sorte. Il est vrai que nous sommes soucieux de ne pas accroître les moyens militaires en Bosnie-Herzégovine. Nous œuvrons, en effet, pour la paix, pour la reconstruction et il serait avisé de limiter les capacités militaires des différentes parties. Je crains que, dans le cas contraire, cela n’encourage les Serbes à rester dans leur coin alors que nous avons besoin de les amener au sein de la nouvelle Bosnie-Herzégovine, afin qu’ils se retrouvent aux côtés des Bosniaques et des Croates pour construire le nouvel État de Bosnie-Herzégovine.
Q. : (Sur la Bosnie)
R. : Vous avez raison, c’est une vraie question, c’est un défi. Mais nous n’avons pas d’autre choix car l’alternative serait une seconde guerre en Bosnie-Herzégovine. C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé si dur depuis si longtemps, cinq ans. Beaucoup de soldats français sont morts en Bosnie-Herzégovine. Nous avons consenti ces sacrifices pour assurer la possibilité de la réalité d’une nouvelle Bosnie-Herzégovine dans laquelle trois populations, les Bosniaques, les Croates et les Serbes seraient capables de vivre ensemble. Je sais que cela est difficile. Je sais que cela n’est peut-être pas l’objectif poursuivi par tous, mais c’est dans ce but que nous travaillons. Nous avons obtenu quelques vrais succès avec nos partenaires et nous continuerons d’œuvrer dans ce sens.
Q. : (Sur l’Iraq)
R : Je dirais tout d’abord que la France entend bien être un membre actif de la coalition alliée. Nous avons les mêmes objectifs que nos partenaires, les Américains en particulier. Ceci ne nous interdit pas d’avoir nos propres positions. Ainsi, lorsque Saddam Hussein a envoyé ses troupes dans le nord de l’Iraq, nous avons estimé qu’une réponse militaire n’était pas la bonne solution. Nous avons pensé qu’elle était susceptible d’affaiblir la position alliée dans la région et c’est cela qui s’est produit. Nous avons donc dit à nos amis américains qu’il serait préférable d’être plus prudent. Permettez-moi de redire que, si ces différences sont réelles, elles ne sont pas majeures et nous entendons, avec nos amis, au sein de la même coalition, garder le même objectif, c’est-à-dire obtenir de Saddam Hussein qu’il respecte complètement les résolutions du Conseil de sécurité.
Q. : (Sur l’Iraq)
R. : Non. Lorsqu’il y a des divergences, il est très difficile de les cacher à la presse et aux observateurs. S’agissant de la résolution 986, que l’on appelle « pétrole contre nourriture », je voudrais souligner que la population iraquienne est dans une situation très difficile, très sérieuse. La responsabilité principale incombe aux autorités iraquiennes et tout particulièrement à Saddam Hussein. Je pense également que la communauté internationale ne peut rester indifférente à cela et j’estime que nous pouvons contribuer à une partie de la solution du problème, avec la résolution 986 : elle prévoit que Saddam Hussein soit autorisé à vendre une quantité limitée de pétrole, charge à lui d’affecter le produit de cette vente à l’achat de nourriture et de médicaments destinés à la population. Nous pensons que les discussions aux Nations Unies sont arrivées à leur terme et que nous devons mettre en œuvre cette résolution. Nous plaidons pour qu’il en soit ainsi et, en aucune façon, vous l’aurez compris, en faveur de Saddam Hussein. Nous avons en effet, comme les autres membres permanent du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, une responsabilité vis-à-vis du sort de cette malheureuse population.
Q. : (Sur l’élection du Secrétaire général)
R. : Comme vous le savez, nous soutenons M. Boutros-Ghali pour un second mandat. Notre position est claire car, selon la tradition, le Secrétaire général peut se voir confier un second mandat. Il est africain et tous les pays africains sont favorables à un second mandat de M. Boutros-Ghali. Permettez-moi, par ailleurs, de vous dire que je ne comprends pas les raisons pour lesquelles les autorités américaines ont dit « non ». Quelqu’un peut-il me l’expliquer et l’expliquer à la communauté internationale ? Que les autorités américaines disent « non », je l’accepte. Mais je n’en comprends vraiment pas les raisons. M. Boutros-Ghali est une personnalité d’envergure internationale et bénéficie du respect des pays du monde. Je ne comprends donc pas ce « non ». En ce qui nous concerne, nous maintiendrons notre position jusqu’au bout.
Q : (Sur l’action de l’ONU en Bosnie)
R. : De 1991 à 1994, voire 1995, la situation en Bosnie était très difficile et la position des Nations Unies était très délicate car il n’y avait pas d’accord entre les grands pays sur ce qu’il fallait faire exactement en Bosnie. Dès que cette situation a changé, le problème de la Bosnie a commencé à être réglé. Ceci s’est produit lorsque la France, à la suite de l’élection du président Chirac, a indiqué qu’elle ne laisserait plus ses troupes se faire humilier par les soldats serbes. C’est alors que les Américains ont changé leur position en indiquant leur disposition à contribuer à la solution du problème. Ces deux événements se sont produits en juin 1995 et cela a constitué un réel changement. Auparavant, les Nations Unies rencontraient de grandes difficultés car il n’y avait pas d’accord clair entre Américains, Français, Britanniques et Allemands, et les autres pays européens. Ces différences de position expliquaient, dans une très large mesure, les difficultés de l’ONU. L’ONU peut être très utile et efficace quand les pays sont d’accord sur ce qu’il convient de faire.
Q. : (Sur les relations franco-américaines)
R. : La France et les États-Unis sont deux pays amis, liés depuis des années. Nous étions alliés durant les deux guerres mondiales et nous continuons de l’être sur les grandes questions. Je citerais en exemple les questions de sécurité, l’avenir de l’OTAN, les relations entre l’OTAN et la Russie. Ce que nous faisons aujourd’hui dans ce domaine est presque aussi important que la création de l’OTAN il y a presque cinquante ans.
En ce qui concerne la relation transatlantique, nous avons une approche commune. Je souligne tout ceci afin que vos auditeurs comprennent bien qu’entre la France et les États-Unis, il peut y avoir quelques différences, mais que lorsqu’il s’agit des questions essentielles, nous nous retrouvons sur la même ligne. Les vrais amis ne sont pas ceux qui disent tout le temps « oui ». Nous savons parler avec franchise, afin de trouver les meilleures solutions pour les deux pays.
Je vous remercie.