Texte intégral
P. Lapousterle : Dans 48 heures exactement, les bureaux de vote ouvriront. On n’a pas le droit de parler des sondages mais disons qu’apparemment, quand même, l’humeur des Français est maussade ce matin. Ils ne sont pas très enthousiastes pour aller voter et pour aller voter pour les gens de la majorité.
J.-L. Debré : Je n’ai pas du tout votre sentiment. Moi, j’ai fait beaucoup de réunions dans mon département de l’Eure et j’en fais beaucoup dans toute la France ; je crois que les Français ne veulent pas qu’on leur raconte n’importe quoi et ils ne sont pas amnésiques, ils se souviennent parfaitement de la gestion socialiste pendant quatorze ans et ils disent : cinq ans avec Jospin, attention les dégâts ! Par conséquent, ils ont déjà fait leur choix et je suis persuadé qu’ils vont donner au président de la République les moyens du nouvel élan pour la France.
P. Lapousterle : Mais il y a quand même plusieurs dizaines de milliers de déçus chez vous, dans votre électorat ?
J.-L. Debré : Il y a des gens qui se rendent compte parfaitement, et d’autres moins, que réformer la France après quatorze ans de socialisme, c’est difficile. Il faut quand même savoir – on ne le dit pas parce que les socialistes ne veulent pas que l’on parle de leur bilan – qu’aujourd’hui, le deuxième budget civil de la nation c’est le remboursement des dettes socialistes. Le socialisme, c’est ça : on dépense et on laisse la facture aux autres. On dépense aujourd’hui plus à rembourser les dettes socialistes que l’on ne consacre d’argent, c’est-à-dire d’impôt – l’impôt des Français – au logement, à la sécurité, à l’agriculture. Il faut en sortir. Depuis deux ans, le gouvernement a fait des efforts pour bien gérer les finances publiques, pour remettre la France à flot et maintenant, c’est une nouvelle étape, c’est l’étape du nouvel élan. Les Français voudraient que ça aille plus vite – moi aussi, je voudrais que ça aille plus vite – mais il ne faut pas oublier ce que nous avons reçu en héritage.
P. Lapousterle : Au poste où vous êtes, c’est-à-dire au ministère de l’Intérieur, vous savez plus de choses que d’autres, est-ce que vous craignez une forte abstention ce dimanche ?
J.-L. Debré : Je vous dirai cela dimanche soir.
P. Lapousterle : Mais est-ce que vous le craignez ?
J.-L. Debré : Mais moi, je souhaite qu’il y ait, pour les élections, le moins d’abstention possible parce que l’élection, c’est l’expression de la démocratie et il faut faire vivre la démocratie.
P. Lapousterle : Alors, Lionel Jospin a dit hier – dernière phrase de son meeting : « ils ont peur de perdre », en parlant de la majorité.
J.-L. Debré : Pas du tout, nous n’avons pas peur de perdre. Moi, ce que je crains c’est la cohabitation parce que ce n’est pas un bon système de gouvernement, fort de l’expérience des années précédentes et surtout conscient des problèmes qui sont devant nous et que la France devra régler – le problème de l’emploi, le problème de la sécurité. Cohabiter avec des gens qui ont fait passer la France de 1,5 million de chômeurs à 3,5 millions, gouverner avec des gens qui ont été incapables d’assurer la moindre sécurité en France puisque la délinquance et la criminalité ont augmenté lorsqu’ils étaient au pouvoir de façon considérable, je dis : ce n’est pas une bonne solution parce que, face aux problèmes qui sont les nôtres, il faut une unité de commandement. Et puis qui va cohabiter avec qui ? Avec Jospin ? Mais Jospin ne s’entend pas avec Chevènement, Chevènement ne s’entend pas avec Fabius, Fabius n’aime pas Hue, Hue n’aime pas Jospin…
P. Lapousterle : Dans la majorité, il n’y a que des gens qui s’aiment ?
J.-L. Debré : Je crois que la majorité donne le sentiment, qui n’est pas simplement une apparence, d’unité et de sérieux. Nous avons tous une volonté de travailler ensemble, nous avons beaucoup réfléchi ensemble aux problèmes de la France et par conséquent, face à la désunion et à la cacophonie de l’opposition, je crois que nous avons trouvé enfin une unité.
P. Lapousterle : Mais quand on entend M. Madelin et M. Séguin, par exemple, on n’a quand même pas le même regard sur le rôle de l’État ?
J.-L. Debré : II y a des approches différentes mais l’un et l’autre considèrent qu’ils se placent sous l’autorité du président de la République qui, étant l’arbitre et le guide de la nation, impose la direction.
P. Lapousterle : Je voudrais que l’on revienne un moment sur la cohabitation : lorsque vous vous êtes présentés en 1986 et en 1993, vous n’avez pas pensé à l’époque que la cohabitation était mauvaise puisque vous avez remporté les élections et que vous avez gouverné en cohabitant avec le président de la République. Je ne me souviens pas qu’à l’époque vous ayez dit, pendant la campagne…
J.-L. Debré : Sauf que vous devriez, cher Monsieur, regarder les déclarations que j’ai faites en disant qu’effectivement, la cohabitation était prévue par les institutions – qui avaient été combattues d’ailleurs par les socialistes –, mais que la cohabitation n’était pas un bon système pour sortir la France de la crise. C’est un pis-aller.
P. Lapousterle : Mais les Français n’ont pas un mauvais souvenir de la cohabitation ?
J.-L. Debré : Parce que Jacques Chirac était Premier ministre et qu’à ce moment-là, il s’est fait des choses.
P. Lapousterle : On va parler un peu de votre loi, qui porte votre nom, la loi Pasqua-Debré. Dans l’application de cette loi, il semble qu’il y ait quelques problèmes. On a entendu parler de brutalités policières récentes avec les sans-papiers au Grand stade.
J.-L. Debré : Vous parlez des sans-papiers ?
P. Lapousterle : Oui.
J.-L. Debré : Vous voulez parlez, en réalité, des personnes qui sont en France en situation illégale, qui sont entrées dans notre pays en violation complète de notre législation ou qui ont été condamnées par la justice à une mesure d’expulsion ou de reconduite à la frontière et qui veulent se maintenir en France en violation des lois et des décisions de justice. C’est de ceux-là que vous parlez ?
P. Lapousterle : Je parle des gens qui étaient au stade.
J.-L. Debré : Ne parlons pas de gens sans papiers mais de gens qui sont en violation de la loi !
P. Lapousterle : Les anciens sans-papiers.
J.-L. Debré : Il faut faire attention à toute manipulation. Ce sont des gens qui sont dans l’illégalité, or en France, vous le savez, la loi doit être la même pour tous. La loi est élaborée par les députés et sénateurs et eux seuls, par délégation du peuple – c’est cela l’élection. Ces principes, ce sont ceux de la République. Et la France doit être, en ce qui concerne la République, exemplaire c’est-à-dire que la loi doit s’imposer à tous. Et abandonner ou écarter cette idée républicaine du respect de la loi, c’est accepter soit un retour au système monarchique, soit un regard vers l’arbitraire. Or, moi, je ne veux ni la monarchie, ni l’arbitraire. Je veux la République. Les forces de l’ordre sont là pour faire respecter la loi et les citoyens, quels qu’ils soient, doivent respecter la loi. Si nous voulons intégrer à la communauté nationale les étrangers en situation régulière, il faut appliquer la loi et appliquer la loi à ceux qui, étant en situation illégale, veulent imposer leur loi. Si nous acceptions cela, ce serait une régression à l’égard de l’idée républicaine et ce serait une insulte à l’égard des étrangers en situation régulière.
P. Lapousterle : La loi est la loi mais il y a plusieurs manières d’appliquer la loi. Avez-vous connaissance de brutalités policières, le 14 mai ?
J.-L. Debré : Je n’ai pas connaissance de brutalités policières.
P. Lapousterle : Il n’y a pas d’enquête en cours ?
J.-L. Debré : Je n’ai pas connaissance de brutalités policières à quelque moment que ce soit. S’il y en avait, il est bien évident que je prendrais des sanctions.
P. Lapousterle : Sur votre loi, on a très peu parlé…
J.-L. Debré : Ce n’est pas ma loi, c’est la loi de la République !
P. Lapousterle : Mais elle porte votre nom.
J.-L. Debré : Oui, mais attention à la valeur des mots ! Les mots ont un sens. On ne dit pas « sans-papiers », on dit « personne en situation illégale ». On ne dit pas la loi de monsieur Untel, on dit la loi de la République parce que si on commence à personnaliser les lois ou si on commence à employer les mauvais termes, alors on ne va pas dans le bon sens.
P. Lapousterle : Pour la loi que M. Jean-Louis Debré a présenté à l’Assemblée, qui a été votée par les députés et qui est donc devenue loi de la République, quelle est la politique française sur l’immigration ?
J.-L. Debré : La politique française est très claire ! La France a une tradition d’accueil des étrangers depuis des générations et des générations, c’est son honneur, c’est sa responsabilité, c’est son génie. Mais cette tradition suppose un principe : le respect de la loi par tous, quelle que soit son origine, quelle que soit sa couleur de peau, quelle que soit sa religion ! À partir du moment où vous venez en France, vous respectez les droits de la République. Il n’y a pas un pays qui accepte une dérogation à ce principe. Par conséquent, les étrangers qui sont en situation régulière, qui sont venus régulièrement, qui respectent nos lois, qui ne sont pas condamnés par la justice sont les bienvenus en France. Par contre, celles et ceux qui sont venus en violation des lois de la République, qui ont été condamnés par nos juridictions à des peines délictuelles ou à des mesures de reconduite aux frontières doivent comprendre que l’on doit respecter la loi. Si nous voulons intégrer à la communauté nationale les étrangers en situation régulière, il faut être ferme sur l’application de la loi à l’égard de ceux qui sont en situation irrégulière. Ce n’est ni du racisme ni de la xénophobie, c’est simplement l’expression de la République.
P. Lapousterle : Sur ce point, va-t-on changer la loi ou vous paraît-elle être exactement ce qu’il faut ?
J.-L. Debré : D’abord, la loi, il faut qu’elle s’applique car elle vient d’être votée ; les décrets d’application sortent ; les circulaires sont adressées aux autorités administratives et la loi donne des moyens à l’État de faire respecter la loi et de faire repartir hors de France celles et ceux qui sont situation illégale.