Interview de M. Daniel Vaillant, secrétaire général adjoint du PS et secrétaire national aux élections et à la coordination, à RTL le 2 juin 1997, sur la victoire de la gauche aux élections législatives 1997.

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Texte intégral

O. Mazerolle : Les nuits sont courtes après une victoire, mais hier soir ça n’était pas la joie débridée comme en 1981, c’était une joie contenue. Pourquoi cette différence ?

D. Vaillant : Tout simplement, parce que d’abord, on l’a vécu comme ça. Ce n’était pas non plus quelque chose d’artificiel ou de réfléchi totalement. C’est vrai que cette victoire nous a un peu surpris de toutes les façons par son ampleur, en tout cas par le fait que les Français nous ont donné finalement cette majorité comme ils l’ont fait. Et puis, d’une certaine manière, je pense que, par réflexe, on ne voulait pas non plus être triomphants. Et devant cette France qui souffre et qui, finalement a voté pour nous, justement, en raison de sa situation sociale, je crois qu’il n’aurait pas été raisonnable de faire une fête complètement « débridée » comme vous le disiez à l’instant. Parce que, tout simplement, on sait que c’est difficile, que les Français nous ont élus pour réussir mais ils savent aussi que le chemin sera finalement assez difficile.

O. Mazerolle : Les mots qui revenaient souvent hier soir dans la bouche des dirigeants socialistes était : « nous n’avons pas le droit de décevoir ». Mais en disant ça, vous pensez à qui : à ceux qui ont voté pour vous ou à l’ensemble du pays ?

D. Vaillant : À l’ensemble du pays. Parce qu’on voit bien qu’il faut tenir les deux bouts de la chaîne. J’entendais M. Hollinger juste avant. Il est clair qu’on a, à la fois, à répondre à la préoccupation majeure des Français, c’est-à-dire le chômage et tout ce qui va avec : les problèmes de précarisation, d’exclusion. Cela, c’est l’axe central de nos préoccupations. Et en même temps, on sait très bien que, pour réussir à lutter contre le chômage, à le faire reculer – et c’est ça l’objectif – il faut maintenant réussir économiquement. Donc, nous pensons que les mesures que nous avons présentées, les engagements que nous avons présentés dans le pays et pour lesquels nous avons donné des éléments de financement, eh bien sont de nature effectivement, d’une part, à régler un peu les problèmes sociaux, à faire en sorte que le chômage recule, notamment le chômage des jeunes ; et en même temps, il faut qu’économiquement, ce soit la relance de la consommation par le pouvoir d’achat. Et que les entreprises, et notamment les PME et les PMI, y trouvent leur compte et qu’elles aient à la fois un accompagnement social et une réussite économique.

O. Mazerolle : Mais précisément, vous vous trouvez en face d’exigences contradictoires : il y a d’une part les réalités économiques, la Bourse, la révolution technologique, et puis il y a les attentes sociales sur lesquelles insistent les communistes ou bien D. Voynet qui disait carrément : « s’il y a déception, eh bien on sera prêts à défiler dans les rues avec les militants » ?

D. Vaillant : Évidemment que si nous décevons… et quand je dis « nous » c’est l’ensemble de la gauche : la gauche est rassemblée, la majorité est plurielle, il faut bien en tenir compte. En même temps, notre devoir à toutes et tous, c’est de rassembler pour diriger le pays parce que c’est ça que les Français ont voulu hier en s’exprimant par leurs bulletins de votre. Je pense que chacun prendra ses responsabilités en ce sens. Et pas ailleurs, les engagements que nous avons pris avec L. Jospin, devant le pays, sont ceux qui fondent formellement la politique que le Gouvernement va suivre. Donc, bien évidemment, il faudra discuter de tout cela. Pourquoi pas défiler si nous ne respections pas les engagements que, ensemble, nous nous sommes fixés ?

O. Mazerolle : F. Mitterrand avait coutume de dire « qu’il fallait des circonstances exceptionnelles pour que la gauche ait la majorité politique et sociologique dans ce pays ». Est-ce que vous croyez pouvoir conserver cette majorité alors que vous aurez devant vous un Président de la République de droite ?

D. Vaillant : Écoutez, nous sommes nous, après ces élections, relativement confiants. Pourquoi ? D’abord, les Français ont voulu ce changement, ils l’ont voulu, ils ont sanctionné la politique de la majorité et la majorité elle-même, sortante. Et quelque part, ils ont une aspiration, par rapport à une équipe, par rapport à des engagements et notamment par rapport à L. Jospin. Je pense qu’ils savent qu’avec L. Jospin, et celles et ceux qui vont l’entourer dans l’action gouvernementale, ils ont une forme de sécurité. Je l’ai souvent dit sur votre antenne. C’est quelqu’un qui a défini à la fois une méthode, qui a pris des engagements mais qui sont réalistes. Et que nous allons essayer d’appliquer pendant cinq ans, progressivement.

O. Mazerolle : Précisément vous êtes un très proche de L. Jospin. Comment travaille-t-il ? Est-ce qu’il écoute beaucoup ce qu’on lui dit ? Il prend ses décisions tout seul ?

D. Vaillant : Je pense que c’est un homme qui écoute beaucoup ce qu’on lui dit, énormément ce qu’on lui dit. Il est très ouvert sur l’extérieur. Il comprend les messages. Il fait lui-même ses propres synthèses. Et une fois que cette synthèse est faite, il décide.

O. Mazerolle : Pour beaucoup de Français qui regardent Canal Plus, il est « M. Yoyo… »

D. Vaillant : Vous faites allusion aux « Guignols » que j’aime bien par ailleurs. Mais je pense là qu’ils n’ont peut-être pas totalement saisi qui était le personnage de L. Jospin. On l’a présenté un peu comme un naïf et un peu mou. On s’aperçoit qu’en réalité, c’est un homme qui réfléchit beaucoup et qui avance à son rythme. Maintenant c’est dans le cadre de l’action gouvernementale, pour peu que le Président de la République lui confie cette mission, qu’il va avancer à ce rythme. Mais ce qu’il a réussi pour le PS, j’espère vraiment pour mon pays qu’il le réussira pour la France.

O. Mazerolle : Quand il a dit hier soir « par tout, tout de suite », ça lui ressemble ?

D. Vaillant : Totalement. C’est tout à fait J. Jospin qui considère que ça n’est pas « un gouvernement pour 100 jours » ni pour 40 jours d’ailleurs, pour revenir à ce qu’avait annoncé A. Juppé à l’époque. Non, L. Jospin est quelqu’un qui estime qu’on doit gouverner dans la durée, dans la cohérence et la durée. Et pour cela, il faut un rythme, une sorte de calendrier. Je pense que L. Jospin, quand il s’exprimera à l’Assemblée nationale, dira un peu comment il voit effectivement le déroulement de cette action gouvernementale.

O. Mazerolle : Quel doit être le profil du gouvernement de gauche ? Beaucoup de têtes nouvelles, pas beaucoup de ceux qui étaient là en 1981 ? Des femmes ?

D. Vaillant : Écoutez, je pense qu’il faut, d’une certaine manière, là encore respecter un rythme. Le Président devra appeler le futur Premier ministre. Celui-ci devra préparer un gouvernement. Et donc L. Jospin, a priori, devrait lui faire ce travail de réflexion. En même temps, il a annoncé que le gouvernement devrait être ramassé, c’est-à-dire qu’il ne devrait pas comporter un nombre de membres plus important que – je ne sais pas – quinze ou vingt, pour vous donner une fourchette. Et puis je pense qu’il est clair qu’il doit y avoir des femmes, nous l’avons annoncé. Je suis heureux et fier, personnellement, que beaucoup de femmes rentrent à l’Assemblée nationale par la décision que nous avons prise d’en présenter aux élections. Et puis je pense qu’il doit y avoir, effectivement, une part d’expérience bien évidemment mais aussi une part de renouvellement, parce que je crois que les Français sont très sensibles à cette dimension, je dirais qualitative, de notre programme, des engagements sur la démocratie, le renouvellement. Je pense que ça doit se traduire aussi à l’échelon gouvernemental.