Portraits de M. Helmut Kohl, Chancelier d'Allemagne, par MM. Valéry Giscard d'Estaing, ancien président de la République, Edouard Balladur, ancien Premier ministre et Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, parus dans "L'Expansion" du 24 octobre 1996 et intitulés "Kohl et moi".

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Média : L'Expansion

Texte intégral

« Kohl et moi »

Par Valéry Giscard d'Estaing

La première image que je garde d'Helmut Kohl est celle d'un homme timide et simple. C'était en juillet 1980. Je faisais un voyage officiel en Allemagne. Une étape était prévue à Hambourg, fief du chancelier Helmut Schmidt. Le nouveau responsable de la CDU, Helmut Kohl, avait demandé à me rencontrer. Cela avait déplu à Helmut Schmidt, car l'Allemagne était alors en pleine campagne électorale, et il ne voulait pas mettre en valeur son concurrent. Aussi avait-il organisé un entretien minimal sans éclat ni visibilité, dont Helmut Kohl m'a tenu rigueur pendant quelques années, à juste titre. Quand celui-ci est entré dans le petit bureau où je devais le recevoir, j'ai vu déboucher un géant embarrassé de lui-même, rempli de bonne volonté. Je n'ai pas deviné sa détermination : je l'ai pris pour un chef de parti, sympathique et modeste, sans voir percer le chancelier. Le chancelier, je l'ai eu sous les yeux à quelques mètres de moi, lorsqu'il est venu annoncer au Parlement européen, en novembre 1989, les conséquences de la chute du mur de Berlin. Il était accompagné de François Mitterrand, car la France présidait l'Union européenne – qui s'en souvient ? – quand s'est produit cet ébranlement historique. Le chancelier Kohl dominait la scène. Il était devenu le symbole de l'Allemagne en voie d'unification. Sa charpente s'était épaissie. Plus de trace, chez ce dirigeant herculéen, de sa timidité d'autrefois. À côté de la silhouette frêle du président français, il était, pour employer une image britannique towering : écrasant comme une tour. Et le mot a fait flèche dans mon cerveau : une tour, oui, c'était bien une tour, comme dans le jeu d'échecs. Cette pièce dont on garantit que – si on a l'avantage d'une tour, on est sûr de gagner la partie.

Par Édouard Balladur

Trois choses m'ont frappé chez le chancelier Kohl : le réalisme, la volonté, l'importance qu'il accorde à la relation franco-allemande au sein de l'Europe. Son attitude, lors du déploiement des euromissiles ou de l'unification allemande, a montré son caractère et sa détermination. La position qu'il a prise au moment de la crise monétaire de 1993 ou de la négociation finale de l'Uruguay Round témoigne qu'il a constamment le souci de tenir compte des intérêts fondamentaux de la France lorsqu'il sait qu'elle ne cédera pas. Aujourd'hui, il prend à bras le corps la modernisation du système budgétaire, fiscal et social allemand pour aborder cette année 1997, cruciale pour nos deux nations dans la perspective de la monnaie unique. Il aura marqué l'histoire de son pays, mais aussi celle de l'Europe, aussi fortement qu'Adenauer. Être le chancelier de la réunification et de l'Union européenne, quel destin !

Par Jacques Delors

Cet épisode date de près de dix ans, mais il illustre parfaitement trois dimensions du personnage : son autorité politique, son habilité dans la négociation et son engagement européen. Fin 1987, il devenait vital pour l'Europe, d'adopter un ensemble de mesures – ce qu'on a appelé le « paquet Delors » - qui allaient de l'adaptation de la politique agricole commune à la création d'une nouvelle ressource communautaire en passant par le développement des politiques dites structurelles. J'avais fait le tour des douze capitales, mais les blocages semblaient insurmontables. Au premier semestre 1988, l'Allemagne assumait la présidence de la Communauté. Helmut Kohl m'a accordé un soutien inconditionnel. Il a convoqué le Conseil européen pour les 12 et 13 février. Ensemble, nous avons longuement mis au point le texte, puis mené des entretiens bilatéraux avec les chefs de gouvernement. Le 13, à 23 heures, il a dit : « Je ne suis plus prêt à discuter ». Seule Thatcher continuait de résister. Vers 2 heures, nous avons fini par la convaincre… Ce jour-là, le chancelier a vraiment assuré la relance de la construction européenne.