Interview de M. Dominique Baudis, vice président de Force démocrate, dans "Démocratie moderne" du 25 octobre 1996 sur son livre sur Raimond VI et le rattachement du Languedoc à la couronne de France.

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Circonstance : Parution du livre de Dominique Baudis "Raimond le cathare" le 23 octobre 1996

Média : DEMOCRATIE MODERNE

Texte intégral

Démocratie moderne : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Raimond VI, personnalité méconnue, considérée comme un personnage secondaire de l'histoire de France ?

Dominique Baudis : Je me suis intéressé à Raimond VI précisément parce qu'il est méconnu. Il n'y a jamais eu de libre écrit sur lui, ce qui m'a d'ailleurs laissé une grande liberté pour mon récit. On a donc peu parlé de Raimond VI, et quand on en a parlé, cela a toujours été de façon très sévère, en lui attribuant toujours les mêmes qualitatifs de « louvoyant », d'« indécis », faute de s'être vraiment intéressé au personnage et d'avoir suivi le personnage comme fil conducteur au milieu des événements qui a traversés. Comme Toulousain, je trouve une certaine injustice à laisser dans l'oubli quelqu'un qui a vécu une épreuve terrible, qui s'est battu non seulement pour défendre ses territoires (soit 20 % environ de la France actuelle), ce qui était dans la logique de l'époque, mais aussi pour défendre ce qu'on appellerait aujourd'hui ses « valeurs », en particulier la valeur essentielle, la liberté de conscience. Il est certain que Raimond VI est un personnage méconnu. Son nom, contrairement à celui de Simon de Montfort, est ignoré. Mais il ne s'agit pas d'un personnage secondaire. Raimond VI a été l'un des acteurs principaux d'une page essentielle de notre histoire avec pour conclusion, quelques jours après sa mort, le rattachement du Languedoc à la couronne de France. Cette période a été la plus terrible de l'histoire de la région. La guerre a duré 40 ans. Elle a fait des dizaines de milliers de morts. Elle a fortement marqué des mentalités, par exemple les fresques de la mairie de Toulouse, datant du XIXe siècle, ont presque toutes été inspirées par cette période.

Démocratie moderne : Outre la liberté de conscience, quelles étaient les autres libertés que défendait Raimond VI ?

Dominique Baudis : Les libertés communales, qui se sont par la suite étendues au Nord de la Loire à l'époque de Raimond VI, les villes du Sud de la France étaient réellement administrées par des conseillers municipaux qui à Toulouse s'appelaient les « capitouls » ; la liberté testamentaire héritée du droit romain permettait à un homme de choisir librement ses héritiers sur son lit de mort, alors qu'au Nord de la France dominait la loi salique prévoyant que seul héritait le fils ainé ; la liberté des moeurs également.

Démocratie moderne : En choisissant un héros du XIIIe siècle, souscrivez-vous à l'analyse des observateurs du monde d'aujourd'hui qui pensent que nous vivons un « nouveau Moyen Âge » ?

Dominique Baudis : Ce qui est vrai aujourd'hui c'est que nous assistons à un retour en force du religieux sur la scène mondiale. Je suis convaincu que lorsque les historiens analysent l'histoire de la fin du XXe siècle. Ils seront frappés par la concomitance entre la mort des idéologies, notamment du marxisme, et la résurgence du religieux. EN Algérie, en Afghanistan, au Proche-Orient, on tue et on meurt au nom de Dieu. C'est pourquoi l'histoire de Raimond VI contre la croisade dirigée par Simon de Montfort s'est jouée sur une question qui est encore d'actualité aujourd'hui quelles sont les relations entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique ? Le pouvoir politique doit-il être le bras armé d'une Église ou le prince doit-il respecter les choix religieux ou moraux de ses sujets ? C'est parce que Raimond VI a fait le choix de la séparation entre le spirituel et le temporel qu'il a été excommunié et que ses terres ont été envahies.

Démocratie moderne : Raimond VI était le vassal à la fois de Philippe Auguste, du roi d'Angleterre Jean Sans Peur et de l'empereur de Germanie Othon. Il a également épousé une soeur de Richard Coeur de Lion, puis une soeur du roi d'Aragon Pierre II.

Les relations d'interdépendance entre les pays constituent-elles finalement un phénomène aussi « moderne » que nous le pensons ?

Dominique Baudis : Ceux qui exerçaient des responsabilités importantes, les souverains et les féodaux, concluaient des mariages qui étaient des actes politiques.

Les gens voyageaient dans une zone allant du Danemark à la moitié de l'Espagne et jusqu'au Proche-Orient. Par exemple le prédicateur Dominique de Guzman, devenu Saint Dominique, l'un des personnages de mon libre avait été envoyé par le Roi de Castille à la Cour du Danemark pour accompagner une jeune princesse danoise qui devait épouser un prince de Castille.

Démocratie moderne : Pouvez-vous préciser la part des personnages « réels » et celle des personnages inventés dans les « mémoires apocryphes » de Raimond VI ?

Dominique Baudis : Tous les personnages du roman ont existé : le prince bosniaque Kouline, dont la conversion publique à la foi cathare a entrainé le Pape Innocent III à déclarer la croisade contre Raimond VI ; les enfants naturels de Raimond VI ; les « capitouls » de Toulouse ; le prédicateur Dominique de Guzman, qui avait fondé à Toulouse en 1216 l'ordre des Dominicains ou Frères prêcheurs, précisément pour lutter contre l'hérésie cathare ; et celui que j'appelle « l'Anonyme », l'un des rédacteurs de « La Chanson de la Croisade albigeoise » dont j'ai repris des extraits dans mon libre. Le portrait que je trace du Pape Innocent III est également fondé historiquement. Ses lettres conservées montrent par exemple qu'il a été choqué des excès de la croisade conduite par Simon de Montfort.

Démocratie moderne : Pensez-vous que votre roman contribuera à laver, enfin, Raimond VI de l'accusation d'avoir embrassé lui-même la foi cathare ?

Dominique Baudis : Raimond VI n'a pas embrassé la foi cathare. Sa vie et les attaques qu'il a subies sont là pour en témoigner. Mais il a protégé les cathares de son comté.