Texte intégral
Le Figaro, 17 mars 1998
Le Figaro : Les élus LO – notamment lorsqu’ils sont en position d’arbitre – voteront-ils pour des candidats à la présidence de la majorité plurielle ?
Arlette Laguiller : Si un candidat de gauche se présente à la présidence d’une région, nous lui demanderons de s’engager publiquement sur l’interdiction des plans de suppressions d’emplois, les licenciements collectifs, l’augmentation de l’impôt sur les bénéfices des grandes sociétés et la suppression des exonérations de cotisations sociales de ce grand patronat qui ne crée pas d’emplois et fait d’énormes profits. Si un candidat de gauche s’y engage, il aura nos voix. S’il ne le fait pas, nous nous présenterons à la présidence.
Le Figaro : Mais de telles décisions relèvent du Gouvernement…
Arlette Laguiller : Si, par exemple en Île-de-France, un proche de Monsieur Lionel Jospin comme Monsieur Huchon dit qu’il s’y engage, cela signifie que la décision a été prise à un haut niveau. Pour le moment, ce n’est pas le cas, on a vu comment Martine Aubry a vertement répondu à Robert Hue qui demandait un malheureux petit moratoire sur les licenciements. Je crains que peu de candidats de la gauche ne veuillent s’engager sur un tel programme. Mais nous essaierons, car nous pensons que nous pouvons jouer le rôle d’aiguillon pour changer la politique. Nous ne nous sommes pas présentés en faisant des tas de compromissions sur nos idées ou notre programme. Nous ne ferons pas plus de compromis en ce qui concerne l’élection des présidents de région. Mais je ne peux pas donner de réponse globale à des situations extrêmement diverses dans chacune des régions.
Le Figaro : Lutte ouvrière progresse-t-elle uniquement lorsque la gauche est au Gouvernement ?
Arlette Laguiller : LO ne progresse pas parce que la gauche est au Gouvernement, mais parce que la situation est dramatique pour les chômeurs dans ce pays. Ce vote est une protestation du monde du travail – de celui qui a la chance d’avoir du travail et de celui qui voudrait bien en avoir un – face aux mesures insuffisantes prises par le Gouvernement soit pour résorber le chômage, soit pour satisfaire les revendications pourtant modestes du mouvement des chômeurs.
Le Figaro : N’est-ce pas paradoxal d’afficher des élus alors qu’une fraction de LO vous reproche de refuser de gérer politiquement votre capital électoral présidentiel ?
Arlette Laguiller : Ces reproches sont un peu puérils. Notre score confirme LO comme un courant du mouvement ouvrier, modeste, mais qui existe et comptera. J’en veux pour preuve le nombre de nos élus et notre score qui va donner confiance à la population laborieuse, aux chômeurs qui nous regardent, mais ne sont pas complétement gagnés à toutes nos idées. Depuis trente ans, je milite pour ça, la création d’un parti actif à l’échelle nationale qui ne soit pas un parti électoral, mais de militants. Ce n’est pas quand ça commence à donner quelques fruits que nous allons arrêter notre effort.
Le Figaro : Votre succès est-il a contrario un désaveu de la mutation communiste engagée par Robert Hue ?
Arlette Laguiller : Je ne crois pas que l’on puisse simplement expliquer les scores de LO par les problèmes que rencontre le PC et un malaise des militants communistes qui se serait traduit par un vote en notre faveur. D’ailleurs, lorsque LO et le PC sont présents dans une même élection (comme la présidentielle), ça n’a jamais empêché LO de faire un bon score.
Libération, 17 mars 1998
Libération : Comment analysez-vous le sens du vote LO ?
Arlette Laguiller : Je crois que ceux qui ont voté pour Lutte ouvrière, les travailleurs, les travailleuses et les chômeurs, ont voulu signifier à la majorité l’insuffisance des mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre le chômage. Beaucoup d’électeurs de LO ont voulu dire que ça n’allait pas.
Libération : L’union voulue par le PCF avec le PS a-t-elle dégagé un espace politique pour LO ?
Arlette Laguiller : En 1995, Lutte ouvrière et Arlette Laguiller (sic) avaient fait plus de 5 % des voix à la présidentielle. Et pourtant Robert Hue était candidat. Aujourd’hui, il a décidé de se fondre dans la gauche plurielle. Je ne sais pas si ça lui a coûté en termes d’électeurs, mais ce qui est clair, c’est qu’il y a des mécontents dans le Parti communiste. Ces mécontents se sont-ils abstenus, ont-ils voté pour nous ? Je ne sais pas. Regardez dans le Pas-de-Calais, où la liste communiste était tirée par Rémy Auchedé, qui n’est pas réputé pour être un proche de Hue, nous faisons trois élus. Nous avons toujours été à la gauche du PCF : c’est sûr, il y a un courant qui existe à la gauche de la gauche et qui compte.
Libération : Pour l’élection des présidents de conseils régionaux, vous êtes dans le « ni ni », ni droite ni gauche. Votre position est-elle comprise ?
Arlette Laguiller : S’agissant des présidents de région, nous l’avons dit, nous ne voterons ni pour la droite ni a fortiori pour l’extrême droite. Si un candidat de gauche nous demande nos voix, nous lui demanderons en retour des mesures radicales contre le chômage, comme d’augmenter l’impôt sur les sociétés, à son niveau d’il y a vingt ans, et de taxer beaucoup plus les profits boursiers. Si ce n’est pas le cas, on présentera nos candidats.
Libération : En 1995, après la présidentielle, vous envisagiez la création d’un « grand parti des travailleurs ». Votre performance va-t-elle relancer cette idée ?
Arlette Laguiller : Vous savez, ça fait plus de trente ans, depuis 1962 exactement, que j’essaie de construire un grand parti des travailleurs. Nous continuons à vouloir le bâtir, nous n’y avons pas renoncé. Si aux régionales nous avons pu présenter soixante-neuf listes, c’est bien parce qu’une partie de nos électeurs sont présents. Il ne s’agit pas seulement pour eux de glisser un bulletin dans l’urne, mais de construire un parti de combattants. Mais on ne transforme pas ces électeurs en militants du jour au lendemain.
Libération : On reproche souvent à LO d’être absente des conflits des « sans-papier », des « sans-logis », des « sans-travail ». Que répondez-vous ?
Arlette Laguiller : Lutte ouvrière a été l’organisation qui a ramené le plus de travailleurs dans le mouvement des chômeurs, pour faire le lien entre eux et les salariés. Quant aux mouvements des sans-papier, nous les avons soutenus dans les manifestations. Il y a beaucoup d’idées fausses là-dessus. Nous ne sommes pas à l’origine de ces conflits, c’est vrai, mais on n’arrivera pas à opposer LO à ces mouvements.
Libération : On ne vous entend que le temps des campagnes électorales. Avez-vous la volonté d’apparaître plus fréquemment au grand jour ?
Arlette Laguiller : Honnêtement, croyez-vous que nous sortions d’un chapeau ? Les militants de LO sont connus et appréciés dans leurs entreprises, dans les quartiers, dans les associations où ils sont présents. Ce n’est pas parce qu’Arlette Laguiller est médiatisée qu’ils ne sont pas à pied d’œuvre. Il serait un peu fou qu’une organisation qui milite tout au long de l’année ne participe pas aux combats électoraux.
L’Est républicain, jeudi 19 mars 1998
Avec vingt élus « Lutte ouvrière » dans les conseils régionaux, dont une en Lorraine, Arlette Laguiller « ne boude pas son plaisir ». D’autant que, « depuis trois ans à travers les diverses élections, notre électorat se maintient à hauteur de 5 % des voix et représente un courant permanent ».
Pour ces régionales, LO a présenté 1 400 candidats dans soixante-neuf départements. « Dans le Nord – Pas-de-Calais, nous avons sept élus, mais ailleurs, à Belfort par exemple, où nous n’en avons pas, notre liste a dépassé parfois les 7 % ». Les meilleurs scores sont enregistrés « dans les grandes villes ouvrières, les banlieues et quartiers populaires ». Arlette Laguiller ne voit pas d’afflux d’adhérents déçus du PC de Hue. « De tout temps, il y a eu des transferts dans les deux sens, mais il est vrai que le PC ligoté par sa participation gouvernementale s’est éloigné de son programme de campagne 97 ».
Emploi, éducation, transport
Demain, lors de l’élection du président de l’Île-de-France, LO comptant dans ce conseil régional trois élus dont elle-même, Arlette Laguiller « bien entendu ne fera rien qui pourrait faire élire un candidat de droite ou du FN, mais si le candidat PS demande les voix LO, il devra se prononcer sur des mesures que nous défendons, comme l’interdiction des plans de licenciements ou la réquisition d’une partie des profits des entreprises pour financer de la création d’emplois ». Les élus de LO comptent « prendre toute leur place dans le fonctionnement des assemblées régionales, mais les participations aux commissions se décident à la proportionnelle ». « Dans la mesure du possible, on interviendra sur le plus utile à la population laborieuse, emploi, éducation, transport ».
Les indemnités des conseillers se situent entre 8 000 et 15 000 F suivant l’importance des régions. « Fidèles à la tradition du mouvement révolutionnaire communiste, les élus évidemment ne l’empocheront pas individuellement, mais la reverseront intégralement au mouvement ».
La liaison salariés-chômeurs
Pour Arlette Laguiller, « il est clair que les mesures prises par Jospin jusqu’à maintenant, ne règleront pas le problème prioritaire du chômage ». « Au rythme des seuls 50 000 emplois-jeunes créés en neuf mois, il faudra dix ans au moins, sans compter que le patronat ne prendra pas sa part des 350 000 prévus dans le plan 750 000 ». « D’autres mesures radicales s’imposent ».
Avec 8 000 adhérents, Lutte ouvrière « ne prétend pas avoir les moyens d’un parti capable d’intervenir au niveau national, nous sommes absents dans des centaines d’entreprises du pays, mais on construit avec nos forces et ce que nous sommes ». « Nous sommes présents dans de nombreux combats menés par la classe ouvrière dans les entreprises, mais aussi aux côtés des mouvements d’associations de chômeurs et nous essayons de faire la liaison entre salariés et chômeurs ».