Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à France-Inter le 3 septembre 1996, sur la rentrée sociale, les appels à la grève chez les enseignants et la défense de l'emploi dans les secteurs en difficulté.

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Média : France Inter

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A. Ardisson : Vous avez un syndicat d'enseignants, chez vous, qui appelle déjà à une grève. Vous ne trouvez pas un peu choquant de parler de grève le jour de la rentrée des enfants ?

N. Notat : Oui, ça peut l'être pour l'opinion publique. Je crois que ce qu'il faut dire à l'opinion publique c'est que, peut-être, ce qui est le plus choquant aujourd'hui pour les enseignants, c'est cette espèce de réduction des moyens – même si c'est limité – d'une manière comptable, d'une manière aveugle, d'une manière générale. Alors qu'on sait qu'aujourd'hui, dans les établissements scolaires – dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées – les enseignements sont loin de vivre tous les mêmes réalités d'enseignement. Il y a des collèges et des écoles qui sont très difficiles ; il y en a d'autres, au contraire, où c'est moins difficile. Donc je crois qu'il faut tenir compte de cette réalité pour donner plus de moyens à certains qui en ont besoin – non pas moins à ceux qui ont besoin aussi –, mais en tout cas je crois que cette manière différenciée de traiter des moyens dans l'Education nationale devient quelque chose d'impératif, et ce n'est pas bien pris en compte par l'administration qui voit les choses à partir plutôt des ordinateurs que des réalités humaines et des réalités qui sont vécues dans les écoles.

A. Ardisson : Vous croyez que c'est en faisant une grève que ça s'arrangera ?

N. Notat : Malheureusement, toutes les grèves n'ont pas toujours fait la preuve de leur grande efficacité en matière de résultat, ce n'est pas, non plus, en ne faisant pas émerger les vraies questions de l'Education nationale. Donc moi, j'attends de voir ce que vont faire les organisations syndicales qui se réunissent. Pour le moment, c'est normal qu'elles confrontent entre elles les objectifs de leur action. Pour ma part, je pense qu'à partir de ce mécontentement – je crois que le mécontentement dans l'Education nationale existe bien plus et bien au-delà que la question des seuls moyens – les moyens risquent d'être le révélateur. Ce serait dommage qu'on en reste, dans les objectifs d'une action, seulement à un problème de moyens.

A. Ardisson : Après la rentrée scolaire, la rentrée sociale, vos homologues de la CGT, de Force ouvrière, annoncent que ça va barder. Vous-même, vous êtes engagée dans des actions ponctuelles. Vous attentez-vous à une forte agitation ?

N. Notat : Je suis très étonnée d'entendre dire que mes collègues annoncent que ça va barder. C'est vrai que l'un ou l'autre a pu faire une déclaration laissant sous-entendre cet aspect des choses mais je trouve que la CGT, cette année, fait une rentrée très modérée – un meeting à Paris, c'est très modéré. M. Blondel, le 21 septembre, fait un rassemblement de famille à Paris. Tout ça ne m'apparaît pas dénoter, aujourd'hui, une très, très grande volonté. Peut-être tout simplement parce qu'on sait aujourd'hui qu'il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton ; il ne suffit pas du volontarisme des leaders syndicaux pour que les gens se mettent dans l'action. Toute l'histoire ouvrière et toute l'histoire de ces derniers mois le montre. Donc, pour la CFDT, on ne va pas changer de priorité, on ne va pas changer de stratégie. Notre action ne varie pas selon le mode des variations saisonnières, de l'automne ou du printemps. Donc nous allons garder les mêmes objectifs ; nous ne serons ni des spectateurs ni des suivistes. Nous serons des gens qui avons l'intention d'être au coeur du jeu social par rapport à des problèmes de rentrée qui, malheureusement, existaient déjà au printemps, qui existent depuis fort longtemps. Simplement, nous allons agir mais nous n'agirons pas n'importe comment et pas sur n'importe quoi.

A. Ardisson : Quand on annonce une grande agitation à l'automne, c'est en référence au mouvement de décembre dernier qui n'a pas été résolu. On s'attendrait à un mouvement d'une même ampleur, que vous ne voyez pas venir.

N. Notat : Je ne le vois pas vraiment venir. De toute façon, quand ils arrivent, rares sont ceux qui les ont vus venir.

A. Ardisson : Même chez les syndicalistes ?

N. Notat : Même chez les syndicalistes.

A. Ardisson : Parmi vos adhérents, où sentez-vous que ça va être le plus dur ? Un secteur comme les arsenaux est sensible.

N. Notat : C'est évident pour les arsenaux, la défense nationale. Là, il faut s'y attendre, la date est fixée, ça fait plusieurs mois, plusieurs semaines que nos responsables y travaillent. La CFDT est une force qui pèse dans les arsenaux et la défense nationale. Quel est l'objectif poursuivi par les organisations syndicales et les préoccupations des salariés ? C'est qu'il y a de la restructuration dans la défense, que personne ne nie. Évidemment, il y a des choses qui évoluent en matière de défense, nous ne vivons plus dans le même monde depuis la chute du mur de Berlin. Simplement, comme des décisions n'ont pas été prises, là encore, peut-être suffisamment tôt, la restructuration se fait à la hussarde et les suppressions d'emplois risquent de se faire aussi à la hussarde. Les gens disent non à cela. Ils en ont assez d'avoir en permanence des plans sociaux – quels affreux mot. Vraiment, ce vocabulaire ! Ce n'est pas des plans sociaux, c'est des plans de suppression d'emplois, appelons un chat un chat. Donc, ils en ont assez que tout ce qui est évolution se traduise toujours non pas par une évolution des métiers, des qualifications, des emplois – ça, c'est la vie –, mais pas des suppressions d'emplois. Eh bien, on mettra tout en oeuvre, à la CFDT, dans les arsenaux comme dans les autres secteurs où il y aura des problèmes d'emploi, pour trouver des alternatives au problème des suppressions d'emplois.

A. Ardisson : Ces alternatives, ça peut être un rééchelonnement du calendrier des restructurations ?

N. Notat : Aujourd'hui, par rapport à la défense de l'emploi dans les secteurs menacés et plus globalement, pour ce problème de l'emploi et de la lutte contre le chômage, il y a me semble-t-il deux ou trois objectifs qui, s'ils pouvaient être mis en oeuvre, changeraient radicalement les choses. Le premier, je l'ai proposé dernièrement, c'est que je pense qu'il faut faire enfin la preuve que le chômage n'est pas une fatalité. Il faut réfléchir aux conditions Gouvernement-patronat-syndicats qui permettraient à ce que 400 000 à 500 000 personnes… Je pense surtout aux jeunes, ce n'est pas possible de laisser les jeunes éternellement sur le bord de la route. Que partenaires sociaux, Gouvernement et entreprises décident de proposer du travail à ces jeunes. Finalement, comment résoudre le chômage ? En proposant du travail aux gens, mais pas en attendant toujours que ce travail vienne de meilleurs résultats de la politique économique, de la croissance pour laquelle il faut par ailleurs tout faire. Un chômeur de moins, c'est un consommateur de plus. C'est donc du pouvoir d'achat en plus. Peut-être que la relance de l'activité, elle viendrait au moins autant par-là que par toutes les autres solutions.

A. Ardisson : C'est un rêve que tous les Gouvernements poursuivent depuis des années. Embaucher 500 000 personnes, ça ne se fait pas en claquant des doigts, ou alors il faut rendre l'embauche obligatoire.

N. Notat : Comment, ça ne se fait pas en claquant des doigts ? Mais c'est une question de volonté. Vous vous rendez compte ? 500 000 jeunes rapportés au nombre d'entreprises dans ce pays, rapportés au nombre de suppressions d'emplois qui se pratiquent tous les jours dans ce pays. C'est drôle, on ne s'étonne pas du fait que c'est possible, que c'est devenu banal de supprimer les emplois. Mais c'est devenu impossible d'embaucher, ne serait-ce qu'un jeune, deux jeunes par entreprise. Mais on vit dans un pays de fous. Donc je dis aujourd'hui que si les entreprises, si le Gouvernement font un sommet social utile, on s'entend sur cet objectif et on y avance, on se fait une obligation de résultat. Là il y aura un choc psychologique qui montrera qu'on peut résoudre le problème du chômage.

A. Ardisson : Dans un récent article du Monde, vous avez surpris en prenant position pour une accélération du calendrier de la monnaie unique. On entend de plus en plus de gens dire que c'est difficile, accélérons le mouvement et faisons-la tout de suite.

N. Notat : Justement, il faut arrêter de dire que c'est difficile. C'est difficile parce que ça arrange beaucoup de gens de dire que la monnaie unique, c'est difficile. On confond la fin et les moyens. On met en avant les critères, donc ce qui fait mal – la réduction des déficits, etc. – pour oublier ce que la monnaie unique va apporter de positif. Depuis le temps qu'on en a assez d'une économie de marché non régulée où les fluctuations monétaires, les dévaluations compétitives font que ça désavantage l'économie. Mais enfin, si en Europe on pouvait avoir des pays qui, définitivement, fixent leur monnaie et leurs parités, ce serait une force de l'Europe contre les autres pays du monde. Enfin, la monnaie unique, c'est un acte politique fort avec la modernisation des institutions pour que l'Europe serve peut-être à donner un nouvel élan sur les politiques sociales et de l'emploi.