Texte intégral
Je me suis engagé à donner aux lecteurs de L'Express des nouvelles régulières de la construction européenne, puisque nous allons assister, dans les deux prochaines années, aux tentatives faites pour régler deux problèmes européens décisifs : la réforme politique des institutions européennes et la mise en place d'une monnaie européenne unique.
Où en sommes-nous ?
Sur la réforme des institutions, on piétine ! C'est le moins qu'on puisse dire. La négociation, qu'on désigne sous le nom de Conférence intergouvernementale (CIG), a été lancée au début de l'année à Turin, sous la présidence italienne. Elle n'a donné jusqu'ici aucun résultat. On s'est contenté d'évacuer discrètement un certain nombre de sujets, sur lesquels des avancées étaient pourtant indispensables et qui faisaient partie de nos programmes électoraux !
C'est ainsi qu'on a renoncé à modifier l'absurde rotation semestrielle de la présidence du Conseil européen. Cette pratique, qui était peut-être acceptable entre les 6 États fondateurs, est dépourvue de tout sens pour les 15 États qui constituent désormais l'Union, et encore plus pour les 25 membres qu'elle est appelée à réunir après son élargissement. Cela signifie qu'un président des États-Unis, même s'il accomplit deux mandats successifs, n'aura jamais l'occasion de rencontrer deux fois le même interlocuteur pour représenter l'Europe. Beau gage de continuité !
De même, l'obligation d'avoir une même loi électorale pour l'élection au Parlement européen a été mise de côté. Le Parlement européen sera la seule institution parlementaire au monde dont les membres seront élus selon plus d'une dizaine de lois différentes. Ce qui ne renforce pas sa représentativité.
La négociation se concentre désormais sur des sujets importants mais techniques : la pondération des droits de vote entre les États, la liste des décisions soumises au vote à la majorité qualifiée, la réduction du nombre des commissaires, de manière à simplifier et à alléger la bureaucratie bruxelloise. Et encore, on ne se met pas d'accord sur les solutions. Les chefs de gouvernement réunis à la fin de la semaine dernière en Irlande, avec pour objectif prioritaire de traiter ce sujet, se sont contentés d'effleurer les thèmes, en reportant le débat sur le fond à Amsterdam en juin 1997.
Il ne faut pas s'étonner de cette évolution. Elle est inévitable dès lors qu'on s'est précipité pour annoncer de nouveaux élargissements dans les plus courts délais, en oubliant qu'il avait fallu près de quarante ans aux pays fondateurs pour établir leur marché unique, et dès lors aussi qu'on cherche à trouver des solutions communes entre des pays qui aspirent à un modèle fédéraliste et d'autres qui sont parfaitement heureux de se contenter d'une grande zone de libre-échange.
Cette grande Europe, à la dimension du continent, dans laquelle nous sommes désormais imprudemment – mais irréversiblement – engagés, ne peut connaître qu'un degré d'intégration limité. Trop de différences historiques, économiques, culturelles séparent les modes de vie de ses peuples ; trop de contradictions apparaissent entre les options diplomatiques et militaires de ses États pour qu'il puisse en être autrement. Par conséquent, le succès ou l'échec probable de la CIG n'a guère d'importance : la grande Europe se fera a minima.
En revanche, l'Union monétaire, de son côté, a maintenant des chances sérieuses d'être réalisée. Depuis le début de cette année, sa crédibilité, alors vivement contestée, s'est renforcée. Pour le moment au moins, les marchés financiers ne jouent plus contre elle.
Les Gouvernements font des efforts sérieux pour se rapprocher - sans encore les atteindre - des fameux critères de Maastricht. Il existe une probabilité raisonnable pour qu'ils y parviennent, bien que les déficits sociaux ne soient pas encore maîtrisés. Les décisions de l'Allemagne sont plus vigoureuses que les nôtres. Elles sont favorisées par une reprise économique naissante, qui ne se manifeste toujours pas chez nous.
Le système financier français se prépare très activement à adopter l'euro. Il faut saluer ses efforts, qui témoignent d'une compétence et d'un dynamisme nouveaux, soutenus par l'émergence d'une génération de jeunes dirigeants, bien formés et largement féminisés.
Mais une question essentielle ne reçoit toujours pas de solution. Est-il bon pour la France d'entrer dans un système monétaire durable avec une économie languide, des chefs d'entreprise démoralisés et démotivés par l'excès de charges, des risques d'OPA internationales sur les fleurons de son industrie et un taux de chômage tristement inamovible ? Cette entrée contribuera-t-elle à la guérir de ses maux ou à l'y enfoncer pour longtemps ?
Cette question est centrale, vitale, à la fois pour la réussite du projet et pour le progrès économique de notre pays. Il ne me semble pas qu'elle soit sérieusement analysée.
Pourtant, lorsque nous avons lancé, avec le chancelier Helmut Schmidt, le projet d'Union monétaire, nous visions non pas un, mais deux objectifs : doter l'Europe d'une vraie monnaie internationale et assurer à nos États un socle monétaire solide pour construire une croissance durable.
Ce second résultat est essentiel : sans une croissance plus forte, la France aura beaucoup de mal à respecter honnêtement les critères de Maastricht à la fin de 1997. Et je ne crois pas souhaitable pour notre pays d'entrer dans la grande aventure monétaire européenne en état de faiblesse économique et sociale.
Notre réglage macroéconomique, c'est-à-dire la fixation des principales grandeurs de référence de notre économie, est-il bien adapté aujourd'hui à l'ancrage de la monnaie française dans le système européen, d'une manière qui permette à notre économie d'en tirer avantage ?
Je pèse mes mots : je ne le crois pas. Et c'est bien là que le bât blesse !