Texte intégral
L'Humanité : En cette rentrée, le lien avec le mouvement social de décembre dernier est dans toutes les têtes. Mais c'est une référence qui peut se révéler à l'usage un handicap, car on ne réussit pas tous les ans une telle mobilisation et de telles convergences syndicales. Votre crainte n'est-elle pas d'abord celle d'un certain attentisme chez les salariés ?
Louis Viannet : Pour ce qui me concerne, j'ai un moral d'enfer. Tout simplement parce que les éléments qui confirment que les salariés sont vraiment décidés à ne pas se laisser faire se multiplient. C'est une raison d'optimisme parce que, en réalité, s'il y a de la morosité dans le pays – et ce n'est pas moi qui vais le contester – elle ne s'explique pas par les discours des uns et des autres, mais par les actes, les décisions du gouvernement. Lorsqu'un salarié rentre de congé et qu'il apprend que son emploi va être supprimé, que son service va fermer, que son entreprise va être délocalisée, il n'a pas besoin de discours pour avoir le moral à zéro. Je voudrais souligner que, premièrement, il n'y a pas eu de « sortie ». Une des grandes caractéristiques de cet été, c'est le nombre de luttes qui se sont déroulées. Des luttes de masse, unitaires, fortes, avec – et je le dis avec beaucoup de force parce que cela me paraît être une caractéristique de la période – avec des succès. Les salariés ont lutté et ils ont gagné. Ils ont gagné sur les salaires, sur les primes, pour faire modifier des plans de licenciement, ils ont gagné en empêchant des fermetures d'entreprise qui étaient décidées. L'idée que l'action cela paie est susceptible de donner de la confiance ; elle est même susceptible de déboucher sur une réflexion toute simple : il n'y a que l'action qui paie.
L'Humanité : Mais qu'est-ce qui fait, très précisément, que cette année la rentrée sera cette fois vraiment chaude ?
Louis Viannet : Il y a ce que je viens d'indiquer, ce qui s'est passé cet été. On peut y ajouter la mobilisation pour les sans-papiers, en plein mois d'août ! L'unité qui s'est réalisée autour de cette lutte. Ce sont des signes qui montrent qu'il y a des choses qui évoluent dans l'état d'esprit des salariés, et même d'ailleurs au-delà d'eux. De plus, aussi bien sur le plan de la combativité que sur le plan de l'unité d'action, il y a des éléments qui permettent de penser que les gens ne sont pas prêts à se laisser faire.
L'Humanité : Vous avez dénoncé le fait que plus de la moitié des 200 000 suppressions d'emploi prévues sont programmées dans le secteur public et nationalisé. Cela veut-il dire qu'il vaut mieux aujourd'hui travailler dans le secteur privé ?
Louis Viannet : Cela veut dire qu'il n'y a plus de secteur protégé comme certains disent. On est vraiment en présence d'une sorte de boulimie de casse de l'emploi qui devient plus que préoccupante. Jamais l'écart n'a été aussi grand entre les discours, les déclarations et les actes. Tous les discours que l'on entend, qu'ils viennent du côté du gouvernement ou du côté du patronat, parlent de souci de l'emploi, de priorité à l'emploi, de la nécessité de placer cette question au centre des réflexions et des décisions… Autrement dit, on bavarde sur l'emploi. Mais, en ce qui concerne les actes, c'est autre chose. Le chiffre de 200 000 suppressions d'emploi, la moitié concernant des secteurs où le gouvernement peut agir directement – 7 000 dans les services de l'État, 2 500 dans l'enseignement, sans compter 15 000 à 20 000 maîtres auxiliaires, qui non seulement ne sont pas sûrs de retrouver un emploi à temps complet, mais ne sont pas sûrs tout simplement de retrouver un emploi. C'est enfin entre 30 000 et 40 000 emplois menacés dans le secteur de la défense. Je suis persuadé qu'on peut s'opposer par la lutte, à ces suppressions d'emplois.
L'Humanité : Comme le 21 septembre avec FO ?
Louis Viannet : Ce n'est peut-être pas le bon exemple. Si on veut donner un prolongement aux luttes qui commencent à se développer et ouvrir une perspective crédible, il faut que la démarche unitaire soit plus affirmée. Je sais que Blondel est réticent au rencontres moi, je n'ai pas de préalable. Il faut qu'il y ait, dans la démarche des syndicats, suffisamment de signes marquant notre volonté de travailler ensemble, pour que les salariés le perçoivent et apportent une dynamique supplémentaire au mouvement de mobilisation.
L'Humanité : Comment imaginer, en l'absence d'élément catalyseur fort – comme l'a été le plan Juppé –, que puisse se rejoindre la diversité de colère des salariés ?
Louis Viannet : L'avenir dira comment les salariés eux-mêmes feront apparaître un ou des catalyseurs. Quand on regarde la situation des salaires, de la précarité, de la protection sociale, on est amené à faire le constat suivant : nous avons un ensemble qui tire le pays vers le bas. Ces éléments risquent de converger vers quelque chose qui aggrave la situation des salariés, dans la mesure où chacune de ces composantes nourrit l'autre. Or il n'y a pas de perspectives d'amélioration, ni dans la politique du gouvernement ni dans les choix des entreprises, contrairement à ce que dit Jacques Chirac. Cet ensemble peut déboucher sur un catalyseur permettant des initiatives unitaires des organisations syndicales. Les salariés ne répondent pas à des incantations. Si nous voulons développer le mouvement social, il est important de s'appuyer sur les aspirations des salariés, pour faire grandir les exigences fortes.
L'Humanité : Vous avez parlé d'unité syndicale. Se nourrit-elle du mouvement social ou le mouvement social se nourrit-il de l'unité syndicale ?
Louis Viannet : Si l'aspiration à l'unité est aussi forte, c'est parce qu'elle se nourrit de la prise de conscience que, si l'on veut modifier durablement les choix, il faut créer un rapport de forces le plus favorable possible. Quand les syndicats sont divisés, qu'ils s'affrontent sur des dossiers, cela constitue un handicap considérable pour la mobilisation. Je voudrais faire plusieurs constats. D'abord, pratiquement toutes les actions menées depuis des mois se construisent dans l'unité d'action. Deuxième remarque : le réflexe unitaire continue à se développer quelles que soient les relations entre les confédérations. C'est un point d'appui et c'est aussi la marque de ce qui a déjà bougé.
Troisième remarque : les enjeux des affrontements sociaux aujourd'hui sont tels qu'il y a besoin en permanence pour les dirigeants que nous sommes de regarder le chemin parcouru et de voir ce qu'il reste à faire. Mais c'est aussi pour les salariés la possibilité de tirer les enseignements de ce qu'ils viennent de vivre.
L'Humanité : Quelles sont vos propositions concrètes pour une autre politique en faveur de l'emploi ?
Louis Viannet : Parler d'une autre politique en faveur de l'emploi, c'est parler véritablement d'autres choix que ceux faits par le gouvernement actuellement. Il écrase la consommation, il écrase la prime de rentrée scolaire, les salaires. Et dans la préparation du budget 1997, ce sont les dépenses publiques utiles qui prennent les coups les plus durs. Nous disons qu'il faut stopper tout ça, en imposant un moratoire sur toutes les suppressions d'emplois et il faut donner le droit de veto aux comités d'entreprise en cas de restructuration. Je pense aussi à un contrôle des fonds publics par les salariés. Il faut arrêter le développement de la précarité, de ces emplois amputés qui vont conduire la France à une situation comparable à celle des États-Unis. La question du plein-emploi est donc décisive. Mais cette question implique des augmentations de salaires, avec un SMIC à 8 500 francs, en instaurant un système de péréquation permettant aux grosses entreprises d'aider les PME-PMI. Il faut aussi relever les indemnités chômage et le RMI.
L'Humanité : On parle beaucoup de la réduction du temps de travail, qui suscite négociations et discussions. Mais cette question ne fait pas l'objet d'un grand débat national. Pourquoi à votre avis ?
Louis Viannet : Je conteste le terme de négociations. Elles n'existent pas puisque, au point de départ de la discussion, le patronat refuse de parler de réduction du temps de travail. Il parle d'une nouvelle organisation du travail, de l'annualisation, mais surtout pas de la réduction du temps de travail. D'où notre proposition d'une loi-cadre
L'Humanité : Quelles sont vos positions en ce qui concerne l'immigration ?
Louis Viannet : L'affaire des sans-papiers de Saint-Bernard a conforté l'analyse de la CGT et a permis d'aller sur le fond des choses. Je me félicite de la prise de conscience et du champ de solidarité qui se sont affirmés ces dernières semaines. Mais, dans le même temps, on ne peut pas sous-estimer le problème que nous pose la persistance des idées racistes. Je suis très inquiet de la vulnérabilité des gens vis-à-vis des discours qui ne reposent sur rien. Je suis indigne des récents propos de Le Pen, théorisant sur la supériorité de la race blanche. On pensait qu'il s'agissait de théories d'un autre temps. Cette situation très grave doit interpeller beaucoup de monde.
RTL : mercredi 4 septembre 1996
M. Cotta : Les syndicats d'enseignants, dont la CGT, ont annoncé une grève pour le 30 septembre. Est-ce, selon vous, le début des grandes manœuvres d'automne ?
L. Viannet : Je ne sais pas si c'est un début, ensuite je ne sais pas s'il y aura de grandes manœuvres, mais ce que je sais c'est que les motifs qui justifient cette décision sont particulièrement lourds et judicieux puisqu'en fait le Gouvernement supprime des emplois, et d'une façon conséquente, dans l'enseignement et en même temps prévoit pratiquement de ne pas embaucher quelque 15 000 ou 20 000 maîtres-auxiliaires.
M. Cotta : En faisant valoir qu'il y a 50 000 maîtres de moins chaque année.
L. Viannet : Oui, mais si vous faites le rapport entre le nombre d'élèves en moins et le nombre d'écoles, cela fait à peu près un élève de moins par école. Et ce n'est pas ce qui peut justifier une décision aussi importante que celle qui a été prise par le ministre de l'Education nationale et le Gouvernement.
M. Cotta : Ceci étant, les mouvements de revendication, pour l'heure, sont différents. Votre volonté est-elle de trouver, dès la rentrée, le catalyseur qui les fera se rejoindre ?
L. Viannet : Je considère qu'en définitive, il est nécessaire de contribuer à ce que les salariés se mobilisent sur les problèmes qu'ils considèrent prioritaires et qui sont effectivement différents d'un secteur à l'autre. Il est évident que, par exemple, les secteurs qui sont actuellement sous la coupe d'une décision de suppressions d'emplois, d'abandon d'activité ou de fermeture, sont beaucoup plus sensibilises par les problèmes d'emploi que beaucoup d'autres qui eux sont sensibilisés sur les problèmes de salaire. Ceci étant, je crois que – quel que soit le secteur, public ou privé, quelles que soient les catégories de salarié – il y a véritablement aujourd'hui une aspiration à ce que les choses changent.
M. Cotta : Souhaitez-vous vraiment – puisque la référence au mouvement social de décembre dernier est dans toutes les têtes – que cela prenne la même forme, ou bien considérez-vous que c'est positif ?
L. Viannet : L'histoire ne se répète jamais deux fois, et en tout cas jamais deux fois de la même façon. Cela me paraît tout à fait évident. Ce que je peux dire c'est que, pour sa part la CGT fera tout pour travailler à la convergence entre secteur public et privé et à la convergence des actions qui pourront se développer dans les différentes branches parce que c'est la condition pour que les salariés parviennent à se faire entendre, c'est ce qui compte.
M. Cotta : N'y a-t-il pas dans cette annonce perpétuelle, renouvelée, d'une rentrée chaude, quelque chose qui peut effectivement, comme l'a dit le président de la République, « saper le moral des Français ». Êtes-vous sensible à cela ?
L. Viannet : Oh, je suis sensible à cela, et surtout au fait que ce qui sape le moral des Français, ce n'est pas les discours ou les déclarations, ce sont les actes et les décisions. Quand un salarié rentre de congé et qu'il apprend que son emploi est mis en cause, que son atelier ferme, ou que son entreprise est menacée, c'est cela qui lui sape le moral, beaucoup plus que les discours ou les déclarations !
M. Cotta : Vous dites que, sur les 200 000 emplois dont vous annoncez la suppression, plus de la moitié sont dans le domaine public. Pourquoi faites-vous cette distinction ? Vous pensez que l'action est plus facile à organiser dans le secteur public ?
L. Viannet : Pas du tout ! Mais parce que je pense que c'est l'illustration de l'écart, qui grandit aujourd'hui, entre les discours du Gouvernement, les déclarations du ministre du Travail ou du Premier ministre, et puis la réalité. Nous sommes bel et bien en présence de secteurs ou le Gouvernement a le pouvoir par exemple d'imposer un moratoire, par exemple d'exiger que les différentes dispositions prévues soient revues, donc de peser sur ces décisions. Le Gouvernement ne le fait pas. Il perd toute crédibilité dans les discours qu'il développe sur la priorité à l'emploi, qui serait au cœur de ses préoccupations.
M. Cotta : Revalorisation des salaires, 35 heures, moratoire sur les suppressions d'emploi en cours, droit de veto des comités d'entreprise... À laquelle de ces propositions attachez-vous le plus d'importance ? Toutes à la fois ou vous allez privilégier quelque chose ?
L. Viannet : Elles sont toutes nécessaires. Il n'y aura pas vraiment de reprise de création d'emploi s'il n'y a pas une relance de l'activité et pour qu'il y ait relance de l'activité, il faut qu'il y ait une relance de la consommation. Je pense qu'on ne dit pas assez que la part des salaires aujourd'hui, dans le revenu national, est au niveau où elle était il y a trente ans. Depuis une quinzaine d'années, la part des salaires par rapport à la part des profits s'est considérablement affaiblie dans le partage de la valeur des choses produites et cela pèse terriblement, y compris sur la consommation.
M. Cotta : Pourquoi J. Chirac vous écouterait-il alors que sur les sans-papiers, par exemple, il ne vous a pas écouté ? Au moment où le président de la République annonce sa volonté de garder le même cap économique, qu'attendez-vous ?
L. Viannet : J'attends qu'il regarde en face les réalités. Je pense qu'un président de la République qui continue de tenir un discours que l'on pourrait résumer par le thème « ça va mal, je continue et je garde les mêmes", prend le risque, effectivement, de créer des situations conflictuelles de plus en plus tendues.
M. Cotta : FO appelle à un rassemblement le 21 septembre, les syndicats de l'Education nationale le 30 septembre. On a l'impression d'une action syndicale un peu désordonnée ?
L. Viannet : Je crois que, parallèlement au constat que vous faites, il faut noter que les premières décisions qui sont prises, que ce soit dans les finances, dans l'enseignement, que ce soit dans l'industrie textile, que ce soit dans l'industrie de la chaussure et bien d'autres secteurs, que ce soit dans l'agro-alimentaire, ce sont toutes des décisions qui sont prises dans l'unité de tous les syndicats. Et, personnellement, je suis convaincu que c'est un courant qui va aller en se développant parce que l'aspiration à l'unité est très forte parmi les salaries et parce que c'est l'intérêt de tout le monde, des syndicats et des salariés, de créer les conditions pour être plus fort, pour peser sur les choix et les décisions.
M. Cotta : Lorsque M. Blondel dit « attention à la politisation du mouvement de mécontentement », que lui répondez-vous ?
L. Viannet : Je ne sais pas sur quoi et sur quel constat M. Blondel s'appuie pour...
M. Cotta : G. Suffert dit aussi ce matin que vous êtes, en quelque sorte, des « fantassins politiques de l'opposition » ?
L. Viannet : C'est un couplet qui a servi longtemps à masquer les véritables motivations de la lutte sociale. Je pense que les salariés aujourd'hui sont suffisamment conscients de l'importance des défis qui leur sont lancés pour dépasser ce genre de considération et pour faire en sorte que l'élu social prenne bien en compte leurs propres aspirations. En tout cas, moi, ce que je peux dire, c'est que la démarche de la société s'appuie précisément sur la prise en compte de la volonté des salariés, et cela personne ne pourra le lui contester.
Le Peuple : 5 septembre 1996
Conférence de presse de rentrée du bureau confédéral Louis Viannet secrétaire général de la CGT
À l'évidence, la lecture des indicateurs économiques, des chiffres du chômage, des annonces des plans dits « sociaux » annonçant de nouveaux cortèges de licenciements et suppressions d'emplois cadrent mal avec l'optimisme officiel affiché par le gouvernement. La situation est trop grave pour se laisser aller aux pronostics ou aux spéculations quant à l'intensité revendicative des prochaines semaines mais tous les ingrédients de tensions sociales fortes sont aujourd'hui réunis.
En réaffirmant, ensemble, leur volonté de garder le même cap, président de la République et Premier ministre doivent savoir qu'ils rajoutent à la colère qui s'exprime.
Car la méthode Coué ne suffit pas aujourd'hui pour améliorer la situation de l'emploi ni atténuer les dégâts des restructurations décidées et mises en route à marche forcée.
La France est en train d'étouffer littéralement sous les dogmes d'une pensée unique qui continue inlassablement à dénoncer le coût du travail, les rigidités comme responsables du chômage et à rechercher des issues pressurant toujours plus les salariés, les retraités, les chômeurs.
Tous les choix du gouvernement restent marqués du sceau d'experts et conseillers divers qui ne sortent pas des sentiers battus et rebattus dont la caractéristique aboutit à pénaliser les salariés et favoriser les profits.
Plus les mesures d'aide aux entreprises, d'allégement des charges s'accumulent, plus s'alourdissent les conséquences pour les salariés, plus grandit le chômage et s'accroissent les inégalités. C'est aujourd'hui toute la France qui produit, crée, pense, invente, qui est tirée vers le bas par les conséquences de choix qui privilégient le marché et les grandes fortunes au détriment de l'intérêt national.
En état de légitime défense
Les salariés, retraités, chômeurs sont en droit de se considérer victimes d'une agression caractérisée et de réagir en état de légitime défense.
À ceux qui voulaient opposer les salaires à l'emploi, les chiffres répondent que l'on a, à la fois, hausse du chômage et stagnation des salaires.
À ceux qui en appellent à la précarité et au temps partiel pour faire baisser le chômage, les chiffres (enquête Insee mars 1996) répondent que l'augmentation des contrats à durée déterminée, des emplois d'intérim, la multiplication des emplois à temps partiel accompagnent l'accroissement du nombre de privés d'emplois tandis que la durée moyenne du chômage s'établit autour de 15 mois, sans la moindre perspective d'amélioration.
À ceux qui ne veulent pas voir que la marche forcée vers la monnaie unique, sous la houlette des grandes multinationales, conduit dans tous les pays d'Europe à sacrifier les dépenses sociales, réduire les investissements utiles, tirer l'économie vers le bas, rendant plus hypothétique encore la perspective d'une relance européenne, la force de la réaction des salariés et des syndicats dans nombre de pays d'Europe est un bon élément de réflexion. C'est dire combien sont légitimes la colère et l'inquiétude des salariés placés sous la menace des plans de licenciement.
La campagne confédérale
Pour l'essentiel, il s'agit de mesures qui n'ont d'autres justifications que la recherche de plus de profit. L'arrogance des directions d'entreprises, des patrons trouve évidemment un précieux renfort dans l'attitude du gouvernement et la complaisance du ministère du Travail.
Intervenant dans une situation déjà dégradée, ces mesures plongent des régions entières dans un désarroi total.
C'est vrai de Péchiney, Moulinex, des industries de la défense, de la SFP, de la casse totale qui menace les industries du Textile-habillement-cuir et notamment de la chaussure avec les dossiers Myris, Bally et d'autres encore. C'est vrai encore dans le secteur des banques et assurances ou, à terme, plus de 40 000 emplois sont en jeu. C'est vrai de la fonction publique ou les 7 500 suppressions d'emplois annoncées vont se percuter dans le secteur de l'enseignement avec la non-reprise à temps plein de quelque 20 000 maîtres-auxiliaires.
Et sur ce fond de boulimie de casse de l'emploi, le processus de privatisation, qui place dans le collimateur des requins de la Bourse nos grandes entreprises publiques, de EDF-GDF à France Télécom en passant par Renault, la SNCF, Air France ou la SFP, constitue à la fois une menace pour l'emploi et surtout une lourde hypothèque pour le devenir car elle prive l'État des leviers d'intervention essentiels pour orienter l'économie.
Public ou privé, grandes ou moyennes entreprises, les salariés ont donc intérêt à :
– imposer la prise en compte d'exigences fortes et urgentes ;
– imposer un moratoire sur les suppressions d'emplois en cours et un droit de veto des comités d'entreprise en cas de restructuration ;
– stopper les cadeaux aux entreprises abusivement appelés « aides à l'emploi » et redéfinir les financements publics, leur utilisation et leur contrôle ;
– mettre en œuvre un processus de transformation des emplois précaires en emplois stables ;
– exiger de véritables négociations salariales qui tiennent compte des besoins non satisfaits. On ne relance pas la consommation sans une véritable dynamique d'augmentation des salaires, un réel relèvement des bas salaires conforme à la revendication du Smic à 8 500 francs bruts et un relèvement du niveau des salaires d'embauche pour chaque niveau de qualification. De même doivent être revalorisés les indemnités versées aux chômeurs et aux Rmistes ;
– enfin, il n'est plus supportable que ceux et celles qui ont un emploi travaillent de plus en plus tandis qu'augmente le nombre de privés d'emplois.
Nous appelons les salariés à construire dans une même démarche la mobilisation pour exiger la semaine de 35 heures sans perte de salaires et l'évaluation entreprise par entreprise, service par service, des emplois nécessaires à l'amélioration des conditions de travail et la satisfaction des revendications en matière de durée du travail, de formation, d'emplois stables et de nouvelles qualifications.
Pour la CGT, l'exigence d'une loi cadre pour les 35 heures hebdomadaires sans pertes de salaires et le retour à 37,5 annuités de versement pour pouvoir bénéficier de la retraite à 60 ans vont de pair dans la recherche de créations d'emplois.
Ces exigences, nécessaires pour un véritable assainissement de la situation économique et sociale, s'accommodent mal des coupes budgétaires opérées par le gouvernement pour 1997 qui visent essentiellement des dépenses utiles et qui ont été précédées d'une diminution de 500 francs de l'indemnité de rentrée scolaire.
Amputation des crédits au logement de 13 milliards de francs, suppressions des emplois dans la fonction publique, réductions des crédits à l'urbanisme, des transports, de l'industrie, etc.
Près de 60 milliards de francs au total, qui vont peser en négatif sur l'activité en 1997, alors même que les rentrées fiscales restent inférieures aux prévisions.
Dans de telles conditions, le chiffon rouge de baisse des impôts transpire la démagogie et les pronostics de croissance, même ramenés à 2,25 % manquent de crédibilité.
Pour autant, nous appelons les salariés à la vigilance quant à la réforme fiscale envisagée qui pourrait bien amorcer un nouveau tour de vis au détriment du plus grand nombre et au profit des professions libérales, des revenus du capital et des cadres dirigeants des entreprises.
De manière plus générale, la réforme pourrait bien aboutir à un transfert entre une part de l'impôt sur le revenu enlevé aux plus aisés et plus de prélèvements au titre de la CSG ou de la TVA. La justice à l'envers en somme.
C'est donc peu de dire que nous sommes en désaccord complet avec les options de ce gouvernement qui prévoit d'autre part d'alourdir la CSG pour tenter de combler un déficit de l'assurance maladie qui s'accroît d'autant plus vite que se multiplient les exonérations patronales.
La nocivité du plan Juppé devient chaque jour plus apparente au fur et à mesure de sa mise en œuvre. La lutte pour une protection sociale à la hauteur des besoins financée autrement que par l'écrasement des salariés est donc plus que jamais à l'ordre du jour.
Un tel contexte donne évidemment un relief particulier aux différentes initiatives syndicales en vue de favoriser la mobilisation des salariés.
Face à des choix qui attisent le vent des injustices, des inégalités, des reculs sociaux, gouvernement ou patronat ne doivent pas s'attendre à une accalmie sociale. Pour sa part, la CGT ne ménage aucun effort pour soutenir les luttes en cours ou en préparation, favoriser la convergence des actions entre secteur public et secteur privé, et œuvrer à tous les rapprochements unitaires possibles.
Exigence de l'abrogation des lois Pasqua
Car les luttes de l'été, leur caractère massif et unitaire, les succès qu'elles ont permis, en imposant la des reculs sur des projets dangereux, ici des avancées sur des revendications importantes, sont significatives d'un état d'esprit combatif qui ne va pas en s'atténuant. Des personnels de la Défense, aux mineurs de la Mure, des personnels des banques, aux salariés de la Fnac, d'Air France, Elf Aquitaine, Moulinex, Myris, Bally, la lainière de Roubaix, Telecom d'Île-de-France, de la SFP, ou des cheminots, pour en arriver à la lutte des sans-papiers, c'est en fait sur le plan social que l'été a été particulièrement chaud.
Le soutien apporté à la lutte des sans-papiers, montre que le chemin de l'autoritarisme est un chemin dangereux pour le gouvernement dès lors que les salariés ne sont pas décidés à se laisser faire. Comme nous le disons depuis le vote de la Loi Pasqua, ce sont bien les libertés publiques, individuelles et collectives que met en cause cette loi.
Laisser frapper les sans-papiers aujourd'hui, ne pas dénoncer le côté inique de l'application rétroactive de la loi qui jette brutalement des salariés dans une situation illégale, ne pas démystifier la lamentable opération diversion du gouvernement, rejetant sur les immigrés la responsabilité d'une situation créée par sa propre politique, aurait été lourd de conséquences. Le fait que nombre d'exclus, de rejetés se soient sentis concernés dans cette lutte témoigne de la sensibilité qui entoure aujourd'hui toutes les actions de solidarité.
Combativité confiance dans l'action collective
La maîtrise des flux migratoires, implique en priorité la mise au pas de ceux qui organisent l'immigration clandestine car ils en vivent. S'en prendre aux victimes comme si elles étaient des coupables, au mépris des droits de l'Homme, du respect de la dignité, ne peut que donner des ailes à tous ceux pour qui l'immigration est dans son ensemble, responsable de tous les maux, passant sous silence le fait que l'immigration est un phénomène inscrit dans l'histoire de notre pays depuis le début du siècle et que depuis 20 ans, la part immigrée de la population française est stable. Cette vérité ne peut que nous conforter dans l'exigence de l'abrogation des lois Pasqua.
C'est donc sur ce fond de combativité, de confiance grandissante, dans l'action collective, de prise de conscience plus nette, de la nécessite d'une riposte d'envergure que vont se développer dans les prochains jours d'importantes initiatives de luttes, ou de préparation de luttes, toutes unitaires.
Dans le secteur public, les finances, les fonctionnaires, l'enseignement, ont ou vont annoncer des luttes. Les personnels de la défense sont appelés à une marche nationale dans les prochains jours et cet effort dynamique de rassemblement ne doit laisser de côté aucune de nos grandes entreprises nationales.
Dans le secteur privé, Myris, Bally, mais aussi Moulinex et sans doute beaucoup d'autres prolongent les actions engagées pour la défense de l'emploi. La CGT est déterminée à multiplier les initiatives, dans les entreprises, les groupes, les branches pour donner de l'ampleur à la mobilisation et saisir toutes les occasions pour favoriser la convergence des luttes.
Nous appelons solennellement les salaries à prendre résolument l'offensive à formuler leurs revendications et à engager l'action sous les formes qu'ils auront déterminé. Les prises de position des dirigeants des différentes organisations, témoignent de possibilités grandissantes de construction du processus unitaire que la lutte dans le soutien des sans-papiers a largement confirmé.
FO a, dès avant les vacances, annoncé une initiative pour le 21 septembre. La forme choisie et l'absence de propositions unitaires précises ne facilitent pas l'engagement de celles de nos organisations disposées à participer à cette journée mais ce peut être un point d'appui pour d'autres échéances qui doivent être préparées ensemble pour avoir leur pleine portée. Certaines des revendications et propositions de Nicole Notat, de même que les déclarations de la CFTC, de la CGC, le positionnement de la FSU témoignent de possibilités réelles de développement de l'action unie.
Forte de cette mise en mouvement, la CGT réaffirme sa volonté de tout faire pour qu'ensemble, les organisations syndicales se donnent les moyens de relever les défis lancés au monde du travail. Plus grandissent les enjeux, plus s'affirme la responsabilité du syndicalisme pour créer un rapport de forces qui permette de peser sur les orientations du pouvoir et de modifier les comportements du patronat. Pour sa part, la CGT affirme clairement sa volonté de tout faire pour parvenir à créer les conditions d'un puissant mouvement d'ensemble, où s'épauleront, unis, salariés du public et du privé, des grandes entreprises, des groupes, des PME, PMI, actifs et retraités, précaires, et privés d'emplois. C'est à cet objectif que nous allons travailler.