Article de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale et président du mouvement Idées-Action, dans "Valeurs actuelles" du 31 janvier 1998, sur sa conception du gaullisme, intitulé "De Gaulle était un libéral".

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Intervenant(s) : 
  • Alain Madelin - président de Démocratie libérale et président du mouvement Idées-Action

Circonstance : Assises nationales extraordinaires du RPR à Paris du 31 janvier au 1er février 1998

Média : Valeurs actuelles

Texte intégral

Une France forte. Voilà la pensée majeure qui inspire la pensée et l’action du général de Gaulle. Ce que de Gaulle met en effet au-dessus de tout, c’est le rang de la France dans le monde. Il faut un Etat fort et une économie de liberté et de responsabilité : tel est le raisonnement du fondateur de la Ve République, contrairement à une histoire tendancieusement réécrite qui a pu donner de De Gaulle l’image d’un dirigiste et d’un étatiste.

De gaulle est marqué par l’effondrement dramatique de la France dont il a été le témoin privilégié. Ce qui le préoccupe au premier chef, c’est le rétablissement de l’autorité de l’Etat. Mais il sait aussi – et il en témoigne amplement dans ses discours et dans ses actes – que la grandeur de la France repose sur une économie prospère et équilibrée, fondée sur un régime de liberté économiques. Alors que l’étatisme et le dirigisme ne peuvent que déboucher sur l’impasse et sur la dépendance. Trois périodes distinctes de son action politique illustrent sa vision de l’Etat fort garant de l’économie libre.

L’opposant résolu au dirigisme (1947-1951). Dans les années de l’après-Deuxième-Guerre mondiale, l’économie française est enserrée dans l’étatisme et le dirigisme. L’économie de guerre a mis en place un régime de contrôle étroit des activités industrielles. L’économie de pénurie a suscité le rationnement et le contrôle des prix. Les déséquilibres des finances publiques et des paiements extérieurs ont déchaîné l’inflation et les revendications corporatistes.

Il ne faut pas confondre de Gaulle et son époque : le fondateur du Rassemblement du peuple français apparaît au contraire comme l’opposant le plus déterminé et le plus cohérent du système qui s’est mis en place à l’issue de cette période de troubles. Pour lui, l’Etat-Léviathan débouche sur l’Etat impuissant, sur le déchaînement des intérêts catégoriels et les surenchères démagogiques partisanes, le repli sur soi et l’affaiblissement de la France. Le mal est constitutionnel : le régime politique débouche sur le dirigisme et sur la faillite. Certains ont fait parler de Gaulle pour l’annexer à leurs idées : relisons-le.

• « Nous dépensons beaucoup trop par rapport à nos moyens. Toute notre administration doit être refondue en réduisant d’un bon tiers les activités et le train de l’Etat. Cela revient à supprimer des services entiers, à comprimer tous les autres » (discours de Vincennes, le 5 octobre 1947).
• « Rouvrir carrière à l’esprit d’entreprise et à la concurrence en rendant la liberté à toutes les activités. (…) Puisque le salut n’est pour nous ni dans les conquêtes à faire, ni dans les trésors à découvrir, ni dans des cadeaux à recevoir, cherchons-le dans le rendement ! Il s’agit de produire, avec ce dont nous disposons, beaucoup plus, beaucoup mieux, beaucoup plus vite, que ce que nous produisons » (discours de Saint-Étienne, le 4 janvier 1948).
• « Nous voulons, nous que le budget de l’Etat soit mis en équilibre, non par l’accroissement des impôts mais par la compression des dépenses, la restauration de l’autorité à tous les échelons administratifs, la mise en ordre des entreprises nationalisées, la réforme du fonctionnement des assurances sociales. Nous voulons que la production française soit accrue » (discours de Marseille, le 17 avril 1958).

En 1940, en 1947, en 1958, de Gaulle était à contre-courant.

Le plan de 1958 : l’alliance du gaullisme et du libéralisme. Après les troubles inflationnistes et les déficits de la IVe République – qui furent particulièrement aigus dans ses premières années (1945-1951) comme dans ses dernières années (1955-1958)  –, le plan économique de 1958 rétablit les grands équilibres de l’économie française et fonde les bases de l’expansion soutenue et harmonieuse de la période 1959-1973.

Réunis par le général de Gaulle, des personnalités politiques et de grands experts économiques libéraux – comme Antoine Pinay, Jacques Rueff, Louis Armand – inspirent les grandes mesures du Plan :dévaluation du franc, grand emprunt d’Etat, rééquilibrage des dépenses publiques, ouverture des frontières du marché commun, insertion de l’industrie française dans la compétition internationale, réformes de structures pour développer la concurrence dans les secteurs protégés, etc.

Les résultats sont rapides. Plein emploi, croissance, stabilité des prix, équilibres budgétaire et extérieur : l’économie française est installée pour une longue période dans un mouvement de croissance puissante et équilibrée.
La réussite du Plan n’était pas évidente a priori. La majorité de l’opinion paraissait opposée aux mesures. Le patronat était partagé. Les syndicats étaient hostiles. L’opposition la plus déterminée était celle des hauts fonctionnaires, convaincus que le franc fort était le meilleur rempart contre les revendications corporatistes et l’infernale spirale des salaires et des prix. Telle était la pensée unique de l’époque.

Entre les dirigistes, les socialistes, les chrétiens-démocrates et les libéraux qui composent son gouvernement, de Gaulle tranche en faveur de son ministre des finances, Antoine Pinay, porteur des idées de René Mayer et de Félix Gaillard, qui furent un peu l’équivalent des Turgot et Necker de l’Ancien Régime. La conviction profonde de Félix Gaillard est que c’est la libération des prix qu’on obtiendra la stabilité des prix, et que le contrôle des prix risque au contraire d’aggraver l’inflation au lieu de la contenir.

Opération vérité : de Gaulle démontre que l’indépendance nationale, ce n’est pas le repli sur soi – qui débouche sur l’humiliant déficit des paiements extérieurs – mais l’ouverture offensive sur le monde. Opération vérité : la monnaie forte, ce n’est pas une monnaie surévaluée. Il a suffit d’une volonté – répondant à l’aspiration profonde du pays – pour chasser les lobbies et les corporatismes, pour réduire au silence les langues de bois, pour dissiper d’un coup les charmes maléfiques qui endormaient les énergies. De Gaulle en 1958, c’est illustration de la politique dans le meilleur sens : l’art de rendre possible ce qui est nécessaire.

La doctrine monétaire de De Gaulle. Après avoir inauguré la Ve République en établissant la convertibilité du franc, de Gaulle précise sa doctrine monétaire. Elle est fondée, sous l’inspiration de jacques Rueff, sur le retour de l’étalon-or.

En prônant ce retour, à contre-courant de son époque, de Gaulle manifeste le caractère éminemment libéral de ses idées économiques. La stabilité et le crédit de la monnaie sont en effet le gage de la valeur des contrats, l’étalon de référence des libertés économiques individuelle. La base des contrats – donc de l’esprit d’entreprise et de création, et de la liberté d’échanger et de commercer –, c’est la confiance. La base de la confiance, c’est la crédibilité.

Ce n’est pas en exerçant sa souveraineté sur la monnaie ni en manipulant l’institut d’émission et le système bancaire que l’Etat est plus fort : il s’affaiblit, au contraire, en se livrant à toutes les pressions, à tous les corporatismes, à tous les féodalités qui cherchent à l’influencer pour agir sur la monnaie et sur le Budget.

Dans sa doctrine monétaire, de Gaulle ne se trouve pas là où la légende voudrait qu’on l’attende. La souveraineté monétaire n’est pas une orientation gaullienne. Son raisonnement permet de mieux comprendre la distinction fondamentale qu’il établit entre « l’Etat fort » et « l’Etat souverain ».

L’étalon-or respecte les monnaies nationales, chacune égale en droit, sans accorder à aucune de privilège sur les autres. Il établit ainsi l’indépendance nationale de chacun des Etats qui composent la communauté internationale, base des échanges et de la liberté des contrats. Mais en même temps, il dénie aux Etats le droit d’exercer une quelconque souveraineté monétaire – ni dans la gestion de la monnaie externe, puisque le taux de change est fixé en référence à l’or : ni dans la gestion de la monnaie interne, puisque la discipline de l’équilibre de la balance des paiements implique l’équilibre du Budget et la discipline du crédit.

Seule la convertibilité métallique des monnaies nationales est compatible avec l’indépendance des nations et avec un ordre monétaire national et mondial durable –c’est-à-dire avec une liberté des échanges et un développement économique durables. Tel est le raisonnement libéral à l’état pur.

Comme en 1940, comme en 1947, comme en 1958, de Gaulle était à contre-courant. Et l’Histoire lui a donné raison.